L’accoutrement des jeunes garçons, aussi surprenant qu’amusant, donne à voir aux passants intrigués pirates, policiers, pompiers, rappeurs, et ce, en l’espace de quelques coins de rue. Les déguisements bucoliques et bigarrés des petites filles tranchent avec la grisaille de la journée. Dans cette même rue, un groupe d’adolescents hilares discutent bruyamment tout en entonnant quelques chants, faisant écho à une musique aux sonorités entraînantes qui sort à fort volume des appartements voisins. Sous leurs costumes de marins, ils sautillent gaiement, bras dessus, bras dessous, en essayant tant bien que mal de suivre le rythme. Dans l’imaginaire collectif, l’incarnation de ces personnages divers et variés rappelle forcément l’Halloween, célébrée à la fin d’octobre.
Malgré leurs craintes originelles de s’établir en Amérique, les hassidim y ont finalement trouvé un terreau fertile pour s’épanouir, sans avoir à s’assimiler au pays d’accueil. Ils ont réussi à préserver leur mode de vie traditionnel et ont résisté avec succès à l’acculturation au contact des modèles occidentaux. C’est en érigeant des barrières culturelles, sociales et religieuses visant à se séparer de la société ambiante qu’ils y sont parvenus. Tout changement, écart par rapport à la norme ou adoption de comportements séculiers étant vu d’emblée d’un mauvais œil, les hassidim tendent à vivre en vase clos et à réduire au minimum les contacts avec ceux qu’ils considèrent comme «les autres», c’est-à-dire quiconque n’appartient pas à leur communauté.
La joie est d’ailleurs considérée comme le meilleur moyen de servir Dieu. Elle s’exprime et se manifeste par la danse et les chants. Une des maximes du Baal Shem Tov résume bien l’idée générale du hassidisme: «Il n’y a pas de mitzvah (commandement religieux) qui commande d’être joyeux. Pourtant, la joie amène plus de bien que n’importe quelle mitzvah. Inversement, la tristesse n’est mentionnée nulle part comme étant un péché. Pourtant, être triste rapproche plus de l’enfer que n’importe quel péché.» Sans pour autant négliger l’étude et l’apprentissage du Talmud, le Baal Shem Tov accorde une importance majeure aux attitudes extatiques.
Pour comprendre ce qui pousse un individu à vouloir s’émanciper de son milieu d’origine et à vivre par lui-même, il est, à mes yeux, primordial de saisir avant tout le fonctionnement de ces communautés hassidiques et plus précisément leur organisation sociale. Au-delà du folklore et de l’impression d’exotisme que peuvent parfois susciter les hassidim, le lecteur est d’abord convié à saisir de l’intérieur la vie au sein de ces communautés, par le prisme des «sortants», pour ensuite comprendre pourquoi et comment certains de leurs membres les désertent.
Le yiddish, langue couramment utilisée par les hassidim installés dans le quartier Mile-End, faisait barrage et me ramenait vite à la réalité, à la difficulté de pénétrer leur monde.
J’ai été très vite fascinée autant qu’intriguée par les hassidim devenus mes nouveaux voisins. J’étais surprise de voir à quel point cette communauté ultra-religieuse parvenait à vivre et à évoluer dans une société dont elle était à première vue totalement exclue.