Un, deux, trois… Soleil ! - Lu et vu par
Christian VAN MOER
Le starter vous lâche dans la course. Au trésor ? Au bonheur ?...
Comme l'écrit justement Marie-Claire George-Janssens, qui préface joliment l'oeuvre de
Josy Malet-Praud :
Il est certes des ciels plombés d'injustice, de misère, de menaces, d'hypocrisie, de colère, des ciels sans espoir, des ciels de mort et de vengeance. Viennent aussi les jours de soleil, de soleil d'après l'orage, de soleil espéré, les jours de rire, de coeur en balade.
Il est bien réconfortant d'espérer avec l'auteur que le soleil finira bien par faire revenir le beau temps après la pluie.
Sous le titre
Un, deux, trois, Soleil ! sont réunis 22 textes de facture variée, de longueur inégale, émouvants, surprenants, originaux qui, sans jamais l'enfermer dans l'édification ou la moralisation, déroutent le lecteur vers une réflexion ou une rêverie.
LES PRINCIPAUX THÈMES
- le soleil après l'orage :
Honneur au titre du recueil donc… le thème de l'orage – meurtrier ou salvateur, vaincu ou triomphant – est bien présent chez l'auteur. du sommet de l'Olympe, par la foudre, Zeus se rappelle au bon souvenir des hommes et trace toujours les messages divins au tableau noir du ciel.
- L'ange gardien :
Il illumine l'univers de
Josy Malet-Praud, et j'ai trouvé les récits qui illustrent ce thème particulièrement émouvants.
Divin ou humain, homme ou femme, objet de respect ou de dérision, l'ange gardien est là quand il le faut, mais ses pouvoirs sont limités : il fait ce qu'il peut.
Ainsi le père Gautier éloigne la jeune prostituée de l'avilissant trottoir ; Denis le S.D.F. sauve son jeune compagnon d'infortune de l'hypothermie fatale ; Galeo Ligalei – lisez
Galileo Galilei, bien sûr – dessille les yeux de la « sage » Gabrielle dont le vote doit déterminer l'avenir de l'Humanité ; et saint Joseph empêche le crash d'un A320.
Par contre, malgré ses efforts, la doctoresse n'est pas parvenue à sauver le petit Juan et la maman de Sofia ne pourra sans doute pas éviter à sa fille de mourir de son cancer du sein.
- L'émancipation de la femme :
Pour la femme dans l'ombre, effacée, soumise, trompée ou exploitée, la lumière peut un jour venir.
Ainsi, la tapineuse retrouve la joie de vivre dans sa Pologne natale ; la jeune maîtresse d'un médiocre employé de banque est désabusée grâce à une facétie du Destin ; une femme au foyer modèle trouve la force de se libérer d'un tyran domestique ; une autre épouse parfaite, jusque-là uniquement préoccupée par le bien-être des siens, découvre enfin l'existence et l'importance de son « moi ».
- La condition humaine :
Pour décrire la condition humaine, l'auteur reprend, sous la forme d'une allégorie originale, le mythe du paradis perdu, du jardin d'Eden dont l'homme, créature divine, est violemment expulsé.
Dans le ventre de la mère – Nidville – Moha est un foetus divin ; c'est « le Tout, la Conscience, la Connaissance, la Mémoire, le Mystère de l'Origine et de l'Avenir de l'Humanité.» Mais avec le traumatisme de l'accouchement, tout bascule. En devenant homme, l'image de Dieu voit « sa conscience s'effilocher rapidement et sa mémoire égarer une à une toutes les clés du mystère.»
Hommes ou femmes, avec leurs qualités et leurs défauts, les personnages de cette auteure sont attachants. Si quelques-uns viennent de l'ailleurs, vous reconnaîtrez aisément tous les autres pour les avoir déjà croisés ou côtoyés. Et ce qui vous sera peu à peu dévoilé, à travers leur histoire, c'est l'espérance derrière l'inquiétude, la sensibilité, l'humanisme de l'auteur.
L'écriture de
Josy Malet-Praud est impeccable. Sa langue est irréprochable et son style, travaillé sans outrance, élégant et attrayant. Elle a le don de dévoiler pudiquement le fond de sa pensée et maîtrise l'art de la métaphore pour typer un personnage ou décrire une situation.
Jugez plutôt.
- La pensée :
… il est des jours et des lunes, des saisons et des années où la poussière et la misère s'inclinent devant la dignité.
Elle laisse ses canaris voleter en liberté dans le logement. Madame Chapman porte un numéro à l'encre noire sur son poignet. Elle ne supporte pas les cages.
Les scientifiques donnent des clés pour ouvrir des portes. Mais… derrière se tiennent le bien de l'Humanité et le pire qui puisse lui arriver. Il suffit de si peu pour que les bonnes intentions débouchent sur l'enfer. L'Histoire sait de quoi je parle.
… l'Humanité crève de la vanité de croire en son éternité.
Et parce que cet Ancien aurait échappé à la peste de l'amertume et du renoncement, il sourirait.
Il dirait aux hommes de demain qu'ils ont encore le choix.
Alors, comme aux temps incertains de l'enfance, je convoque la lumière des jours plus heureux, l'antidote au poison lancinant des blessures tragiques.
Chassé de l'Olympe, tombé dans le Chaos, je suis né, m'acquittant du droit de passage dans l'Existence par la perte irrémédiable de la Conscience.
… dans les favelas d'Amérique Latine, des enfants qui n'ont rien, trouvent sous nos yeux déroutés par l'incompréhension, du bonheur à chanter en choeur et à danser au milieu de l'inconcevable.
… au milieu des sondes, des perfusions de la chimio, des petites têtes aux cheveux disparus, ce sont eux, enfants au destin peut-être éphémère, qui mènent la fête, nous rassurent et nous soutiennent dans – leur – épreuve.
- L'image :
Herbert, à moitié couché sur le tapis vert, maintint sa position précaire, grosse otarie en équilibre sur le rebord du billard noir.
Judith, une belle fille ronde à l'âge des moissons, cheveux longs ramassés en un faux négligé sur le haut de la tête. Echappées de l'ouvrage, des mèches rousses projettent des reflets mordorés sur un visage au teint de lait.
Un boulet de sarcasmes s'engage dans sa trachée : elle est prête à ouvrir les hostilités.
Les mots désobligeants et les reproches piétinent comme les sabots impatients des chevaux, juste avant qu'on soulève la barrière du champ de course.
Dans les yeux de Maria Rosa, j'ai vu passer la flèche incendiaire qui vise le coeur et le marque à jamais au fer rouge. Dans ses iris d'ébène, les cratères du désespoir se former.
Aux aguets derrière les meurtrières de ses rideaux faits main et jaunâtres comme la peau asséchée de son visage batracien, elle faisait le plein des petits riens de la rue qu'elle passait au tamis de son acidité, et rejetait aussitôt en paquets de scandales sous les portes des maisons du quartier.
J'ai su que c'était Lui et l'amour contenu sous la trappe de l'absence a jailli du fond des temps comme les laves incandescentes d'un volcan.
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