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Citations sur Le colonel ne dort pas (65)

Le colonel arrive un matin froid et ce jour-là il commence à pleuvoir. C'est cette époque de l'année où l'univers se fond en monochrome. Gris le ciel bas, gris les hommes, grises la Ville et les ruines, gris le grand fleuve à la course lente. Le colonel arrive un matin et semble émerger de la brume, il est lui-même si gris qu'on croirait un amas de particules décolorées, de cendres, comme s'il avait été enfanté par ce monde privé de soleil.
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peut-être que nous sommes tous hantés sans
oser
le dire
en parler
chacun persuadé d'être une île
un cas particulier
j'aurais cru que ça me consolerait
mais c'est tout le contraire
j'aurais aimé penser que quand vous
m'emmènerez
mes ombres
je laisserai derrière moi un monde
plus réjouissant
plus beau plus
lumineux
d'autant plus beau qu'il sera enfin débarrassé
de
ma présence
peut-être qu'en partant j'emporterai
avec moi l'ombre et
la pluie
et la grisaille
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c'est fou ce que c'est lourd une ombre
on ne le croirait pas
avez-vous déjà remarqué
quand le soleil tombe à l'horizon
cette ombre longue et lourde le long des murs
accrochée à vos pas
ce qu'elle est lourde à traîner
et quand vous vous retournez
vous ne la reconnaissez pas
c'est qu'elle vous montre la part que vous ne voulez pas voir

la part d'ombre
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Il descend les escaliers aux arêtes tranchantes qui mènent au sous-sol et il a l'impression de descendre en lui-même, comme si à chaque marche il pénétrait dans une couche à la fois plus profonde et plus insensible de son esprit, comme s'il se recroquevillait à la manière d'un escargot pour qu'il y ait désormais, entre lui et le monde - entre lui et les hommes qu'il faudra briser aujourd'hui - une carapace.
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C’est l’heure moutarde l’heure mandarine l’heure ocre-mais l’ocre, comme les autres couleurs, a été absorbé dans la monochromie si bien que le Palais est baigné de cette même lumière grise, à peine teintée d’orange, pistil de safran tout de suite avalé par la cendre.
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On murmure derrière moi que je ne suis qu'une ombre grise
c'est vrai
mais je m'en accomode
j'ai renoncé au monde des vivants
je n'appartiens pas encore à celui des morts
je suis du monde des ombres
mes visiteurs du soir
mon peuple depuis si longtemps
c'était après la longue guerre
je suis passé à l'ombre
déjà vous les Hommes-poissons et toi
mon premier mort
à la renverse
et vous autres tous ceux qui avez suivi
dans cette guerre abominable
déjà vous étiez mon peuple caché
même si à l'époque il m'arrivait parfois encore
de dormir
de vous échapper
quelques heures
c'est déjà ça de pris
quelques heures de liberté
d'oubli
loin de vous de vos yeux vides de vos visages de cendre
loin de mes souvenirs
il y a bien longtemps que j'ai renoncé à l'oubli
vous êtes devenus mon peuple et chaque jour
dans la pièce du sous-sol

ou

dans d'autres lieux

au fond peu importe le lieu
je grossis vos rangs
je vous croîs et vous multiplie
vous le peuple des caves
vous mon armée d'ombres qui me dévore chaque nuit

c'est un peu comme
une forme de torture très lente
et très raffinée
le tortionnaire torturé
de sa propre main
le persécuteur persécuté
chaque jour dans la pièce du sous-sol
je regarde l'homme dans le cercle de lumière
dans cette lumière trop crue qui me brûle les yeux
à moi qui n'ai plus droit à
la lumière
je regarde cet homme
cette nouvelle recrue
cet homme qui va devenir mon ombre
qui va alourdir mon ombre sur mes pas
c'est fou ce que c'est lourd une ombre
on ne le croirait pas
avez vous déjà remarqué
quand le soleil tombe à l'horizon
cette ombre longue et lourde le long des murs
accrochée à vos pas
ce qu'elle est lourde à traîner
et quand vous vous retournez
vous ne la reconnaissez pas
c'est qu'elle vous montre la part que vous ne voulez pas voir

la part d'ombre

mais moi je la regarde je la cherche
je la connais
et chaque jour inlassablement je l'accrois
je la nourris
si bien que
désormais
quand je longe les murs
on dirait que l'ombre a englouti la ville
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Ô vous tous
puisqu’il faut que je m’adresse à vous
que je ne peux plus vous ignorer
puisque vous êtes devenus les sombres seigneurs
de mes nuits
puisque vos ombres et vos cris
résonnent dans mes ténèbres
puisque les Hommes-poissons
ont pris possession de mes rêves
vous tous je m’adresse à vous
mes victimes mes bourreaux
je vous ai tués tous
chacun de vous il y a dix ans ou
 
dix jours
 
ou ce matin
 
et depuis je suis condamné à continuer
de vous tuer
chaque fois à chaque nouveau mort
j’augmente ma peine ma
 
condamnation sans appel
 
perpétuité
perpétuité
comme vous les Hommes-poissons
je vous revois flotter
dans l’eau grisâtre
flotter
vous revenez depuis peupler mes cauchemars
vous avancez en écartant les roseaux
vous tendez vers moi vos membres décharnés
gonflés par les eaux
vous tendez vos mains et c’est toujours alors
toujours que
je vous tue
 
à nouveau
 
tuer les morts vous tuer encore vous mes victimes
puisque c’est la seule voie puisque je vous ai déjà
tués
puisque bientôt vous me tuerez

(Incipit)
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Depuis qu'il est arrivé dans la Ville, il pleut sans discontinuer. L’eau n'arrête pas les opérations de la Reconquête, mais elle les ralentit. Heureusement, elle ralentit aussi l'Ennemi, désormais terré sur la rive droite, cette rive qui vue du Palais ne ressemble plus à rien, comme si un architecte fou était passé par là. Il faudrait inventer un nouveau vocabulaire pour la destruction de la matière, pense le colonel. De nouveaux mots qui rendent la destruction absolue d'une ville, d'un quartier, d'une maison, d'un homme. Comment appelle-t-on une rue que l'on ne reconnaît plus comme rue (c'est un peu comme un corps qui ne ressemble plus à un corps, mais cela le colonel n’y songe étonnamment pas).La grande rue, par exemple, cette artère de la rive gauche que la jeep emprunte chaque jour et qui semble un sillon tracé maladroitement, ouvert par une charrue de mort dans un mélange de béton, de métal, d'asphalte et de chair humaine, quelque chose d'éventré, les entrailles de la ville à l'air, la terre violée, dévastée, ici rien ne poussera plus, terre sans blé, sans moissons. Quand la jeep remonte la rue-sillon en cahotant, le colonel cherche dans sa tête des termes pour décrire ce qu'il voit et chaque fois s'irrite de ne rien trouver qui semble correspondre. (p.36)
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Quand il fait un effort et regarde en arrière (mais cela lui est de plus en plus difficile) il se souvient de son enfance, de sa jeunesse, de ces sommeils foudroyants qui n'étaient pas un combat et qui le saisissaient, l'emportaient, le défaisaient de son corps, oui c'est cela, cette sensation d'échapper quelques heures à son corps à sa vie ,à soi, et l'emportaient au loin puis le ramenaient quelques heures plus tard sur la rive comme déposé par une vague et il se souvient encore de cette sensation de coton qu’il éprouvait au réveil et qu'il n'a plus ressenti depuis de longues années.
Au début, le sommeil s'est seulement fait lent à venir, comme l'ennemi qu'on attend dans la plaine et qui n'apparaît pas, comme l'ami absent au rendez-vous. Mais cette époque -le colonel date ça vers la fin de l'ancien régime- il finissait par s'assoupir, souvent à l'aube, il se tournait et se retournait dans le lit devenu trop tiède poisseux jusqu'à apercevoir l'est, par la fenêtre, la première lueur de l’aurore et alors il avait la sensation qu'un poids dans sa poitrine se relâchait, comme si le lynx féroce lynx de métal et de velours assis sur son cœur et ses poumons se relevait et s'en allait de ses pattes feutrées, et les yeux fixés sur la lumière rosée, il finissait par fermer les yeux et pour quelques heures, parfois seulement quelques minutes, il s'échappait de son corps, il accédait à l'oubli bienheureux du dormeur. (p.27)
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tuer les morts vous tuer encore vous mes victimes puisque c'est la seule voie puisque je vous ai déjà
tués
puisque bientôt vous me tuerez
(p.14)
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