En tout premier lieu, merci à GeraldineB d'avoir ouvert une porte sur ce nouveau continent qui a pour nom
Eduardo Mallea. Merci à elle de nous avoir invités à y entrer et d'avoir provoqué le désir, et encore plus, le besoin, de vouloir explorer l'oeuvre de cet immense auteur.
Au commentaire de GeraldineB et aux autres belles critiques déjà disponibles, je n'ajouterai rien de plus que quelques remarques.
Chaves est un récit très court. Sa densité remarquable en fait toutefois un roman de grande envergure qui nous conte une histoire universelle. Ainsi, l'impact de
Chaves sur le lecteur a la puissance du conte, et c'est une des entrées possibles pour recevoir cette oeuvre – ce n'est pas la seule, la puissance poétique de l'écriture également ne cesse de nous emmener au-delà des frontières de l'ordinaire.
Concernant le conte, je citerai simplement les mots de
Walter Benjamin pour ce qu'ils nous révèlent d'essentiel à ce sujet :
« ... parce qu'il fut jadis le premier conseiller de l'humanité, (le conte) se survit de façon mystérieuse à travers l'art de la narration. La première narration authentique est celle du conte de fées, – et elle reste telle. Là où il était malaisé de trouver un bon conseil, le conte féerique a su le donner ; là où la détresse était la plus grande, c'est lui qui fut le mieux en mesure de porter secours à l'homme. »
Dans ce récit déchirant, « le verbe », la parole de l'homme, sont mis à l'épreuve de l'absurdité. L'art de Mallea est d'avoir sublimé par sa prose admirable ce qui est absurde dans le monde et ce qui est grandiose. Entre ces deux extrêmes, l'homme se fraie un chemin à travers la parole ; or, sa griserie langagière est un leurre. Elle ne lui sert à sauver personne, et dans le cas de
Chaves ni sa femme ni sa fille. Les deux moments où cette question atteint un paroxysme précèdent dans les deux cas la mort imminente, le comble de la parole impuissante et absurde revenant aux sommités médicales et à leurs divagations aussi désarmantes que bouffonnes. Leur déversement inouï de paroles insensées là où
Chaves attendait les lumières de la science est la preuve imparable que celle-ci est stérile, suffisante, incompétente et vaine au moment le plus aigu de la détresse humaine.
La morale est cruelle qui renvoie chaque être humain à sa quête impossible et à sa solitude, mais
Eduardo Mallea ne s'en tient pas toutefois à ce sombre constat. À ce qui semble sans espoir, la nature et l'amour sont en réel pouvoir de donner à chaque homme une réponse secourable. La nature et l'amour. La rencontre de l'Autre, si improbable soit-elle aux moments les plus hostiles, et ce que celui-ci représente en tant qu'autre, singulier et fraternel, censément possédé par la même quête que soi.