Prière pour aller au Paradis avec les ânes
Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille,
chassez les mouches plates, les loups et les abeilles...
Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j'aime tant, parce qu'elles baissent la tête
doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
d'une façon bien douce et qui me fait pitié.
J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l'on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes qui font
les mouches entêtées qui s'y groupent en rond.
Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l'amour éternel.
L’EAU COULE DANS L’EAU
L’eau coule dans l’eau
et le vent dans l’air.
Savez-vous si c’est
une Espagnole ?
Je voudrais me fondre
à ses hanches rondes.
II
Comment t’appelles-tu,
toi qui glisses sous la main
comme l’huile douce
de jasmin ?
L’eau coule dans l’eau
et le vent dans l’air.
Il ne fait pas clair
dans l’auberge.
La pluie vous monte au cerveau.
L’eau coule dans l’eau
au-dessus des toits
misérables.
III
Viens près du feu noir.
Ta peau est d’orange.
Écoute l’orage
pleuvoir.
Cette odeur de ronce,
cette odeur de vin
se mêle à l’orage
de ta peau d’orange.
Cette odeur, amour,
c’est celle des outres
qui ont l’air, toutes,
de cochons morts.
15 novembre 1900
Léautaud parle de Maurice Barrès
Roger STEPHANE relate la découverte de
Paul LEAUTAUD dans le monde littéraire, après la Libération. Extrait des Entretiens radiophoniques avec
Robert MALLET sur des
photos de
LEAUTAUD; ce dernier y parle de
Maurice BARRES