Paul Chack a été exécuté ce matin.
La cellule où, un éternel sourire sur les lèvres, il attendait la mort depuis vingt-deux jours, est située au rez-de-chaussée, face à la mienne. J'ai donc pu assister, à travers l'œilleton, à son départ.
Quand j'ai regardé, un groupe d'hommes sombres se tenait, immobile, devant la porte ouverte. Mon avocat, Me Perrin, qui était aussi le défenseur de Paul Chack, sortait alors de la cellule. Quelques instants après, celui qui allait mourir apparut à son tour. Coiffé d'un béret basque, le cou enveloppé d'un ample foulard, un long fume-cigarette entre les dents, mains gantées...
Non ! Je n'oublierai jamais la silhouette de cet homme. Il était d'un calme extraordinaire, d'un calme hautain, impavide, méprisant. A peine manifesta-t-il quelque étonnement quand un garde s'approcha pour lui passer les menottes. Raidi, comme lointain, il tendit ses poignets...
Tout à coup, je ne vis plus rien. J'entendis un bruit de pas qui s'en allait, décroissant, et bientôt s'éteignit...
Alors un gardien entra dans la cellule et fit l'inventaire des affaires de Paul Chack.
J'ajouterai que l'administration pénitentiaire a eu l'idée délicate d'entreposer à l'entrée de la chapelle, au milieu d'un amoncellement de lits de fer tordus et de portes déchiquetées, vestiges du bombardement, les cercueils de bois blanc qu'elle tient en réserve pour les détenus que Dieu gracie.
Ainsi les fidèles qui vont implorer le ciel peuvent-ils, grâce à la Pénitentiaire, méditer à loisir sur la fragilité de la condition humaine.
La détention en Centrale m'apparaît, quand à moi, comme l'aboutissement logique de la manœuvre conçue et exécutée par les grands maîtres de l'épuration. Le but n'est autre que de déshonorer (et, pour les communistes, de supprimer) des adversaires politiques, d'une part en les inculpant d'un crime imaginaire, d'un crime qu'ils ne peuvent avoir commis, mais dont la gravité est susceptible d'entraîner le châtiment suprême ; et d'autre part, - excellente manière de créer une confusion dans l'esprit d'un peuple incapable de réfléchir après quatre ans d'un bourrage de crâne intensif - en les mêlant, sous la même étiquette, à la racaille affreuse née de l'occupation. Écrivains, journalistes, tueurs professionnels et délateurs subiront donc le même sort et affronteront les mêmes épreuves.
Quand à Bébert, il procède d'une tactique plus relevée. Son élégance de danseur professionnel, qui se devine même sous le droguet, fait presque de lui un cambrioleur mondain. C'est un de ces écumeurs de dancing qui, entre deux tangos, à la lumière douce des lampes voilées, évalue en carats le charme des vieilles dames.
De haute taille, épais et large, les lèvres tuméfiées, l'œil jaune, d'énormes mains d'étrangleur au bout des bras démesurément longs qu'il balance comme font les singes, il m'apparaît, dès le premier abord, comme une créature d'une hideur parfaite. Jamais bandit n'exhiba mufle plus révélateur. Il ferait la fortune d'un film sur Sing-Sing. Cet auxiliaire de l'administration, qui jouit du respect général, exerce en fait les fonctions de jardinier.
Il a violé une petite fille de quatre ans.
Je le vis un jour, monstrueux et pesant, qui taillait les rosiers du jardin avec des gestes tendres...
Extrait du livre audio "Poésies" de Stéphane Mallarmé lu par Jean-Pierre Malo. Parution CD et numérique le 17 février 2021.
Pour en savoir plus : https://www.audiolib.fr/livre-audio/poesies-9791035404437