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La Condition Humaine est un roman historico-politique engagé ayant pour thème la révolution communiste et la quête du pouvoir en Chine (à Shangaï en particulier) aux alentours du premier quart du XXème siècle.
En ce sens, je pense qu'il convient très bien à l'esprit de rébellion et d'idéal qu'on affiche lorsqu'on est lycéen ou jeune adulte, tout en présentant les nombreuses qualités d'écriture qui nous font encore vibrer bien des années plus tard, à l'heure des quelques désillusions que la vie n'oublie jamais de laisser sur son passage.
Dans sa narration, André Malraux prend d'emblée le parti pris de nous mettre les deux pieds dans l'action avec cette fantastique entrée en matière (une scène d'assassinat politique), dont je garde un souvenir puissant même bien des années après l'avoir lue. Jugez plutôt :

" Tchen tenterait-il de soulever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d'homme. "

(Imaginez en plus là-dessus la voix emphatique et modulée de l'auteur déclamant ces lignes et vous aurez une vague idée de l'impression que peut produire cette oeuvre si forte. N. B. : si vous n'avez jamais entendu André Malraux parler, je vous conseille à tout prix cette expérience, par exemple en écoutant l'un de ses discours sur Youtube.)
L'auteur nous invite donc à vivre de l'intérieur une révolution, ses préparatifs, les motivations de ses leaders ou de ses bras armés, les tiraillements, les dissensions, les compromis inévitables, l'abandon de l'individu au profit de " la cause ".
À cet égard, Malraux est probablement l'auteur français qui se rapproche le plus d'un Hemingway ou du Steinbeck d'En Un Combat Douteux.
Un style efficace, limpide, tout en étant recherché. Des psychologies de personnages brossées par l'action. Néanmoins, malgré la bonne compréhension du contexte historique et des enjeux politiques que ce roman nous apporte, je vous conseille tout de même, avant la lecture ou en parallèle, de potasser un peu l'histoire chinoise de cette époque, afin de savoir qui sont des personnages comme Tchang Kaï-Chek ou Sun Yat-Sen, ainsi que des cellules politiques comme le Kuomintang ou le Komintern en lien avec la vague communiste post 1917 et la création de l'U.R.S.S.
Malraux nous fait réfléchir (comme Hemingway et Steinbeck) sur la notion de combat politique ou de révolution, sur les enjeux et les compromissions, sur le décalage entre les idéaux et la réalité, le fossé entre les décideurs et le peuple.
Bref, un livre fort, beau, essentiel, qui fait honneur à la littérature française de l'entre deux guerres, à tout le moins, c'est mon avis, c'est-à-dire... pas grand-chose.
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Chaque fois que je relis les premières pages -Chen est mandaté pour commettre un meurtre politique sur un homme dont il voit juste le pied sorti d'une moustiquaire, il hésite, la fragilité du pied le trouble, il ne tuera pas, du moins pas cette fois- cela ne rate pas: le virus me reprend!

J' adore La Condition humaine! En ces temps de terrorisme, toute la problématique du fanatisme comme rachat d'une humiliation semble d'une actualité terrible.

Face aux indignités, aux peurs, aux lâchetés qui sont le lot des hommes, il y a quelques réponse: la plus désespérée et la plus désespérante est le terrorisme aveugle, celui de Chen, le métis, rejeté des deux communautés dont il est issu. Pour d'autres, le vieux Gisors, c'est la drogue, pour Clappique le jeu, pour May le sexe mais il y a aussi le don de soi, la fraternité pour Kyo et plus encore le don de sa propre mort: ainsi Katow donne son cyanure à plus faible que lui, à une main anonyme dans l'ombre d'un train blindé.
"Ce don de plus que sa vie, Katow le faisait à cette main..": je ne cherche même pas la citation exacte, pour la corriger ou la compléter, je préfère la livrer telle qu'elle est dans la mémoire de la lectrice de 18 ans qui a découvert ce livre puissant comme une révélation...

Après d'autres lectures, le recul, la maturité ont fait leur travail de tri, et même de sape. Les héros grandiloquents de Malraux m'ont agacée, sa mythomanie et son inébranlable gaullisme -malgré le SAC, Marcellin, et toute la clique- ont achevé de ruiner à mes yeux l'auteur de la Condition humaine et de l'Espoir..

Mais jamais ces deux oeuvres-là, qui sont restées longtemps au panthéon de mes livres favoris..Surtout La Condition humaine: Tchen, May, son mari Kyo, Katow, Clappique, et le vieux Gisors...Je les revois tous, intacts, se débattre individuellement contre l'absurdité de leur condition d'homme (ou de femme) et trouver, difficilement, une réponse, le plus souvent individuelle, pour justifier leur passage sur terre.

Un beau livre, de beaux personnages, avec, en trame de fond, une période historique agitée et complexe: la grève insurrectionnelle des coolies de Shangaï, larguée à la fois par le Kuomintern soviétique trop occupé à sa propre révolution et par le Kuomintang chinois qui attend un moment plus propice, et surtout menacée de l'intérieur par les armées nationalistes de Chang-Kaï Chek. La brève insurrection de ces" damnés de la terre" sera sacrifiée sur l'autel des révolutions manquées et vouée à une répression sauvage ...dans le ventre de la locomotive du train blindé déjà cité...
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André Malraux a toute sa vie défendu ses convictions les armes à la main, en combattant au côté des républicains espagnols et au sein de la France libre, en politique avec le général de Gaulles ou en littérature avec des livres comme celui-ci. C'est la révolte des sans grades qui s'exprimait dans cet ouvrage, une révolution dans les larmes et la douleur. L'auteur tentait de révéler à travers ces lignes les raisons qui poussent des individus à s'engager alors que la cause qu'ils défendent est perdue. Kyo et Tchen vivent à Shanghai quand la ville s'embrase sous le drapeau du communisme pour s'opposer aux troupes impérialistes de chan kan check. Chacun veut en finir avec l'oppresseur alors que les moyens en armes et en combattants sont très faibles. le début du livre est assez confus, on a du mal à cerner de quel bord sont les protagonistes d'autant plus que le contexte historique est très peu expliqué. Qui dirige cette ville ? Les chinois ? les français ? les anglais? les commissaires soviétiques ? Et où sont les intérêts de chacun ? Petit à petit on finit par comprendre dans l'âpreté des combats qu'un peuple se dessine, une communauté de la souffrance qui finira malaxé et écrasé par l'implacable puissance militaire comme les deux personnages principaux du livre. Un fanatisme se dessine aussi galvanisé par la radicalisation ideologique qui pousse certain a commettre des attentats suicides. Tout ça évidemment est vain car après le chaos il ne reste que la douleur d'un père devant le corps de son fils mort. "La condition Humaine" est un livre choc qui fait réfléchir sur le sens à donner à sa vie et à son existence en général...
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La Condition Humaine est un roman engagé qui a trait à la révolution communiste en Chine au début du XXème siècle. Insurrection, arrivée des troupes militaires, grèves et trafics d'armes sont ici racontées de manière romanesque avec le style littéraire bien particulier de Malraux. En effet, pour cet auteur, l'oeuvre littéraire doit nécessairement porter témoignage, illustrer une réflexion mais encore conclure à une leçon, le tout en tentant d'aborder les fondements d'un humanisme moderne. Il y décrit l'homme d'aujourd'hui, pris dans l'engrenage des nécessités de l'Histoire et la rigueur (fatalité?) du destin. Tel est le cas de Kyo, l'un des protagonistes de la Condition Humaine qui s'acharne pour arracher ses compagnons à leur humiliante servitude.
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Présente-t-on encore La Condition Humaine, prix Goncourt et -paraît-il- reconnu comme l'un des 5 plus grands romans du XXème siècle ? Je pense que oui, notamment parce qu'autour d'un sujet simple la composition du roman est complexe, et également parce que cette complexité se retrouve aussi dans les idées portées par son auteur.

De prime abord en effet, à une époque où l'Europe traverse une crise métaphysique -Mauriac, analysant les passions de l'âme, entre à l'académie française la même année-, André Malraux, dans sa trilogie asiatique -Les Conquérants, La Voie Royale, La Condition Humaine-, offre un souffle d'air du large, comme l'aventurier qu'il fut en partie. Mais on est là bien loin de l'exotisme de Pierre Loti...

La Condition Humaine nous immerge dans l'univers des révolutionnaires chinois du ShanghaÏ de 1927. le parfum d'opium du Lotus Bleu s'y fait plus délétère, la violence parle, et les héros de Malraux passent à l'action, dans un roman polyphonique prenant, aux allures de film noir genre Faucon Maltais, volontiers hâché dans son écriture comme dans sa narration. Il peut donc se lire comme un véritable roman d'aventure, à connotation sociale et de rébellion. En ce sens, Malraux est sans doute, aux côtés de Pierre MacOrlan, notre Hemingway ou notre Steinbeck français d'avant la seconde Guerre. Ayant lu jeune ce roman, je partage l'appréciation de Nastasia qu'il peut être apprécié comme tel par un public jeune. le conquérant Malraux nous prend aux tripes, dans un langage réaliste, journalistique.

Au delà d'une théâtralité autour de laquelle Malraux a construit son propre personnage, d'une mise en perspective quasi cinématographique en rupture avec les romanciers de son temps, et même si le Malraux des années 30 adhérait vraisemblablement pour partie à leurs idéaux anticolonialistes et de révolution par l'action directe, il serait naïf de croire que La Comédie Humaine n'est que l'apologie de héros révolutionnaires. L'écrivain, complexe, contradictoire, parfois mythomane et mystificateur, cherche dans ces événements historiques un prétexte à "des images de la grandeur humaine". Hanté par la grandeur et misère de l'Homme, par la conviction pascalienne que l'homme se situe "entre rien et tout", Malraux aboutit et communique le sentiment d'une urgence existentielle et un questionnement où le recours divin n'est plus, annonçant Sartre et Camus.

La Condition Humaine dépeint la grandeur de l'Homme dans l'action solidaire et l'engagement ; elle en révèle aussi -la poésie et l'utopie faisant le lien entre les deux- l'angoissante absurdité face au destin inéluctable. Quoi qu'il fasse, l'homme ne se connait jamais, pas même au jour de sa mort, et l'action héroïque, dans le roman, se retourne symboliquement contre ses instigateurs. Cette lutte sans espoir m'a aussi fait penser aux commentaires historiques de la Commune de Paris : comment un homme peut mourir en accomplissant un dernier acte de courage inutile, qui le transcende.. acte aussi magnifique que dangereux dans son extrémité... c'est en ce sens que Malraux, laissant le lecteur aux prises avec ses interrogations au moment de refermer le livre, entretient une ambiguïté entre le roman d'aventure proche du reportage, le roman politique et historique engagé, et une réflexion sur la solitude de l'homme, qui ne prend sens qu'à travers l'action.

Inutile de dire que cette oeuvre est pour moi non seulement un incontournable de la littérature, mais aussi un roman charnière dans mon parcours personnel, passerelle entre les romans d'aventure de Jack London, d'Henri de Monfreid ou la poésie de Blaise Cendrars, et la quête existentialiste. Un tel chef-d'oeuvre, apprécié et reconnu mais difficile à interpréter, commenté -seulement- 80 fois sur Babelio, méritait bien ces quelques mots.






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De mon temps, on lisait La Condition humaine à l'âge de vingt ans. Certains s'emballaient pour cet ouvrage et pour la lointaine jeunesse contestataire d'André Malraux, y trouvant comme un exutoire à leurs velléités personnelles d'engagement ; d'autres, dont je faisais partie, croyaient lire un polar ou un thriller d'espionnage et ils s'y ennuyaient.

A la décharge de ces derniers, l'atmosphère qui se dégage du texte évoque indiscutablement les images des films noirs d'antan : bruine tombant d'un ciel bas et lourd, rues crépusculaires aux sols mouillés, silhouettes sombres aux cols relevés, enseignes lumineuses animant en clair-obscur des intérieurs sinistres… Mais si l'on ne connaît pas les événements rapportés dans le roman, force est de reconnaître que les deux premières parties de l'ouvrage, qui en comporte sept, sont un peu confuses.

Ces événements datent de 1927. Ils sont eux-mêmes confus et se situent principalement à Shanghai, poumon financier de la Chine. Pour mettre fin à la mainmise européenne sur l'économie locale, le Kuomintang, parti nationaliste dirigé par Tchang-Kaï-Chek, s'était allié au Parti communiste chinois. A l'instigation de ce dernier, des grèves massives et une insurrection sont déclenchées. Soudain, changement de programme ! Les insurgés sont réprimés de façon sanglante par l'armée de Tchang-Kaï-Chek, qui s'est finalement rapproché du monde des affaires.

Dans l'esprit de Malraux, en dépit de la violence insupportable de certaines scènes, peu importent les événements. Peu importe même l'intrigue. Son intention a été de montrer des « images de la grandeur humaine », selon les mots qu'il prononça lors de l'attribution en 1933 du prix Goncourt à La Condition humaine. C'est dans l'intensité de certaines scènes, que se révèlent la prise de conscience de l'absurdité de la condition humaine et la grandeur d'âme de ceux qui, quitte à mourir, vont au bout de leurs valeurs et de leurs convictions. Point de salut dans la dignité, à l'inverse, pour ceux qui tentent d'échapper à l'angoisse existentielle par l'opium, le sexe, le jeu ou la puissance financière.

L'intérêt de la lecture se trouve donc dans les personnages et leur comportement. Pour éclairer son propos, Malraux a imaginé des profils très variés de militants communistes venus à Shanghai de tous horizons : Tchen, Kyo, May, Gisors et Hemmelrich rencontrent chacun la destinée qui leur est naturelle. Deux autres personnages, français, complètent la distribution : un baron décavé en rupture de ban et un industriel, acteur majeur au sein de ce qu'on appelait la « concession française ».

La Condition humaine est un livre engagé, à contextualiser dans son époque. le traumatisme de la Première Guerre mondiale est encore vivace ; la révolution bolchevique de 1917 suscite d'immenses espoirs chez les uns, d'immenses craintes chez les autres ; la crise de 1929 paupérise les classes moyennes et contribue à la montée du nazisme en Allemagne (Hitler est nommé chancelier du Reich quelques mois avant la parution du roman). Les sympathies du jeune Malraux sont cohérentes avec les parcours d'intellectuel contestataire et d'aventurier sulfureux, qu'il avait menés en Asie les années précédentes (il avait même frôlé la prison pour trafic d'oeuvres d'art).

Malraux avait à peine plus de trente ans lorsqu'il écrivit La Condition humaine. Il n'en était pas à son coup d'essai d'auteur, ayant déjà publié plusieurs romans et livré de nombreuses chroniques littéraires… malgré l'abandon de ses études secondaires avant le bac. Cet autodidacte très lettré sera trente ans plus tard un ministre iconique de la Culture sous la présidence du Général de Gaulle.

Sur le plan littéraire, Malraux s'extrait de la tradition romanesque française, qui jusqu'alors s'appuyait sur un narrateur omniscient. le narrateur de la Condition humaine reste unique, mais il s'exprime tour à tour pour le compte des différents personnages, de façon subjective – et donc biaisée.

Mais tu as bien compris, lectrice, lecteur, que peu importe leurs interprétations. Ce qui est intéressant dans le livre, c'est ce qui les amène à ces interprétations, leur manière d'en vivre – ou d'en mourir.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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La condition humaine. Quel sujet. Quel titre !

L'homme naît immensément vulnérable, et dépendant de la bonté, de l'amour de ses parents. Il ou elle n'est pratiquement que potentiel. Et le travail de l'éducateur consiste à soutenir, à éveiller, à aider à réaliser ce potentiel. Avec l'infinie patience que seul l'amour confère. La vulnérabilité d'un être social qui ne peut croître, ou vivre, qu'en compagnie de ses congénères.

Cette sociabilité a donc été vécue sur le mode de la dépendance. Et peut-être qu'un jour elle le sera à nouveau. Nous souvenons nous ? Craignons-nous le futur ( encore ?) lointain ? Est-ce pour cela que nous voulons diminuer notre vulnérabilité en rendant nos relations asymétriques, en rendant les autres plus dépendants de nous, et nous-mêmes libres de répondre à cette dépendance selon nos intérêts ou nos humeurs ?

Shanghai, 1927. L'empire du milieu achève de se désagréger en tant qu'État et en tant qu'ensemble géographique. L'armée des nationalistes, menée par Tchang Kaï-Chek, et les communistes, soutenus par l'Internationale, essayent de couvrir ce qui fut un immense empire afin de récupérer le pouvoir. Ni l'un ni l'autre ne sont déjà assez forts pour le faire, et il faut tenir compte des puissances étrangères établies en Chine. Alors, on s'est alliés, temporairement, contre ce qui reste d'empire. C'est ici, à ShangaÏ, que se déroule une étape de ce gigantesque marathon dont la ligne jaune se trouve à des milliers de kilomètres de Shangaï, à Pekin.

Les communistes ont organisé les ouvriers des usines et du port. Fort mal armés mais déterminés, ils prennent la ville. L'armée nationaliste s'approche de Shangaï, selon ses dires pour en chasser les partisans de l'empire. Et l'Internationale, prise en main par Staline, décide que le moment n'est pas opportun pour soutenir la révolution chinoise. Les camarades sont priés de remettre leurs armes aux nationalistes. Qui les passeront à la mitrailleuse.

Dans ce climat de misère, de lutte, d'héroïsme, de trahison, et de mort, chacun se (re)trouve confronté à son vécu de la condition humaine. Vulnérable, menacé, à qui, à quoi s'en remettre ? Pour quoi vivre, ou mourir? Comment et pour quoi vivre, quand l'on a survécu à la perte d'êtres chers, ou de ses idéaux ? Quelle mort justifierait une vie ? Quel travail ou quelle lutte justifierait de continuer à vivre ?

Autant de réponses que de personnages. Kyo, Katow, préfèrent lutter à mort. Vologuine suit aveuglément l'internationale. Tchen, qui ne peut lutter que seul, choisit la mort du terroriste isolé. Clappique, une sorte de clown en smoking, vivant de commissions touchées sur des affaires louches, ne peut ni vivre ni mourir, et se réfugie dans l'humour absurde en attendant la folie. König, chef de la police politique de Tchang KaÏ-Chek, lui-même torturé naguère par les communistes, ne vit plus que pour en torturer et en exécuter un maximum. Gisors, le père de Kyo, ne peut maintenir son lien au monde en l'absence de son fils. Il s'en désintéresse, et devient un homme absent.

A qui ou à quoi se vouer, pour quoi vivre ou mourir, comment combattre cette peur viscérale de l'absence, de la souffrance, de la mort ? Questions universelles, auxquelles ce livre ne prétend pas répondre. Mais il aimerait bien vous les proposer.

Quant à moi, intrigué, séduit, fasciné par la voix qui porte ce roman et qui parle à travers lui, je n'en ai pas fini avec André Malraux.








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Une oeuvre aux multiples composantes, complexe et infiniment belle. L'écriture de Malraux est tout simplement incroyable pour moi. Non seulement, il a l'art de dire en une phrase ce qui nécessiterait une page au moins à la plupart, mais de plus, toutes ses observations, déductions et descriptions de la nature humaine sont délicates, brillantes, artistiques, cinématographiques même. Il n'est pas rare qu'au cinéma je sois amenée à verser une larme ce qui, en revanche, m'arrive rarement lorsque je lis. Et pourtant, en lisant ce livre où Malraux nous transperce de la souffrance de ses personnages, j'ai pleuré. Cela démontre, à mon sens, à quel point son écriture est magistrale sans qu'à aucun moment je n'aie senti l'immense travail qu'il a probablement dû demander à son auteur. J'ajouterais que le pan historique de ce livre a été du plus grand intérêt pour moi, n'ayant qu'une connaissance modérée de l'histoire de la Chine. Je reste bouleversée, ce livre est un Chef d'Oeuvre magistral à lire absolument.
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En 1927, à Shanghaï, les cellules communistes préparent le soulèvement de la ville. le dernier détail à régler repose sur les épaules de Tchen : il doit assassiner un trafiquant d'armes, afin d'équiper les futurs révolutionnaires. Son premier meurtre, qui le marquera à jamais.

Quand la révolution démarre enfin, les organisateurs s'aperçoivent vite qu'entre la doctrine officielle et les faits, il peut exister une sacrée marge : ils sont lâchés par l'échelon supérieur du parti, qui estime la prise de pouvoir prématurée. Les puissances étrangères qui ont investi dans la région ont placé trop de billes dans le pouvoir en place pour les laisser bousculer l'équilibre actuel. Si les forces armées présentes en ville se rangent mollement du côté du plus fort, la répression semble inévitable et le massacre qui en découle aussi.

La psychologie de tous les protagonistes est bien développée, mais celle de Tchen me semble la plus intéressante : après avoir goûté aux joies de l'assassinat, l'idée de recommencer se développe chez lui jusqu'à l'obsession. L'envie lui prend d'éliminer Tchang Kaï-Chek lui-même, l'attentat-suicide devient même une évidence.

Roman existentialiste, puisque les hommes se définissent à travers leurs actes et leurs engagements. Toutefois, on peut aussi se rendre compte que face aux compromissions et aux petits arrangements en coulisse, les individus et les grandes idées ne font pas vraiment le poids.
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Malraux. Personnage ambivalent s'il en est. Figure de l'anti-fascisme, combattant au côté des Républicains pendant la guerre d'Espagne, ministre de la culture sous De Gaulle… Mais aussi voleur et trafiquant d'antiquités khmers, auteur d'exploits totalement imaginaires contre les franquistes, et résistant de la dernière heure ayant réussi à obtenir un grade de colonel dans l'armée française libre sur un total coup de bluff et sans la moindre compétence militaire.

Une dualité qu'on retrouve en permanence dans son oeuvre emblématique. Derrière le combattant de la liberté, l'escroc mythomane n'est jamais loin. Se voulant Kyo, il se sait parfaitement être un Clappique. Ces deux-là sont les seuls vraiment complexes – autobiographiques ? Les autres personnages restent des symboles, dont la personnalité se résume grosso modo en un seul trait : May, la vie ; Tchen, la mort ; Katow, la générosité ; Ferral, le pouvoir et l'argent.

Et une dualité qu'on retrouve jusque dans l'écriture. Des passages sublimes en côtoient d'autres écrits façon sagouin. Les combats pendant la révolution sont racontés avec moins de soins que le saccage de la chambre de sa maîtresse par Ferral. Et de même dans l'histoire : un instant se pose la question de l'engagement alors que Tchen hésite à donner la mort, celui d'après May demande à Kyo si ça ne le dérange pas qu'elle ait couché avec un autre gars « parce que bon, le pauvre, il en avait tellement envie ». Elle, elle faisait ça seulement pour rendre service.

Les thèmes abordés – l'orient côté « opium et misère », la fin prochaine du colonialisme, le sens de l'engagement révolutionnaire – révèlent des fulgurances de lucidité étonnantes. Pour autant, il échoue à anticiper une possible renaissance du communisme dans les campagnes, et la Chine fait souvent simplement office de décor.

C'est aussi cette complexité qui fait la grandeur du roman. Loin de la puissance écrasante et de l'intransigeance totale d'un Bernanos, on a affaire à des êtres insignifiants se débattant dans la vie avec leurs petites luttes et leurs petits mensonges, tentant de les transcender par la lutte pour une cause supérieure… Comme l'auteur.

En somme, il ne me reste qu'une question, à laquelle plus compétent que moi répondra : Malraux fut-il un imposteur également en littérature – où ce mot a plus d'un sens ?
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