Dans ce roman, je vois d'abord l'amitié indéfectible entre deux hommes : celle de Claude Vannec, jeune homme sans beaucoup de scrupules passionné d'art Khmer, et de Perken, vieil aventurier revenu de tout qui sent confusément sa fin approcher. Ensemble, ils partent à la recherche de la mythique Voie Royale enfouie dans les profondeurs de la jungle Cambodgienne. Pour Vannec, il s'agit de prouver que
la Voie Royale existe bel et bien, et de vendre au prix fort quelques statuettes ou bas-reliefs arrachées aux temples en ruine afin de vivre avec aisance. Perken, lui, veut retrouver un aventurier perdu du nom de Grabot. Et puis, il a besoin d'argent pour se procurer des armes afin de protéger un territoire encore sauvage situé aux confins du Laos dont il est devenu une sorte de petit roitelet.
Malraux montre sa fascination pour ces aventuriers qui, dans un mélange d'audace et de folie, profitèrent de la colonisation pour parvenir à se tailler de petits royaumes avant de mourir tragiquement. Perken est le fidèle reflet de ce type de baroudeurs comme ces Mareyna ou Odend'hal qui ont vraiment existé.
C'est un anticonformisme viscéral et hautain qui réunit ces deux hommes aux parcours si différents. En s'engageant dans cette aventure risquée car ces territoires ne sont pas encore soumis à l'autorité des "blancs", ils veulent échapper à la vie médiocre de leurs congénères : fonctionnaires prudents et combinards, marchands "avides de potins et de manilles", médecin opiomane et raté… Ils acceptent ( Vannec pour la première fois, et Perken une dernière fois) de prendre tous les risques pour échapper, ou du moins essayer, " à la vie de poussière des hommes".
Accompagnés d'un guide et de quelques porteurs, ils s'enfoncent dans la jungle. Avec ses peuplades insoumises, elle est le troisième personnage de ce roman. Ils s'égarent dans un environnement hostile fait de marais et de murailles vertes infranchissables. Des insectes géants grimpent sur leurs corps. Une chaleur étouffante les enveloppe. Ils s'épuisent au milieu d'une végétation luxuriante et pourrissante située "hors du monde dans lequel l'homme compte". Ils se heurtent ou bien sont aidés par des indigènes "qui se coulent dans le sentier avec leurs gestes précis de guêpes, leurs armes de mantes."
Et le chemin de fer qui les talonne, qui avale inexorablement la jungle, les force à s'enfoncer toujours davantage dans la jungle hostile et insoumise. Perken et Vannec abhorrent ce chemin de fer, représentant du monde moderne, du monde des "blancs", qui leur signifie que le leur va bientôt prendre fin.
Un grand livre, exigeant, touffu, difficile à lire aussi, du moins de mon point de vue (il me fallut à de nombreuses reprises relire à plusieurs fois pour bien suivre le fil des pensées des personnages), mais je n'en ai pas moins été happé par cet aventure jusqu'au-boutiste, voire fanatique, de nos deux héros.