150 pages à peine, scindées en deux nouvelles nerveuses et haletantes, des dialogues percutants, un style toujours efficace et le tour est joué : plaisir de lecture garanti !
‣ Prenons le premier texte, probablement le plus fort des deux, celui qui donne son titre à l'ouvrage, et laissons nous prendre au piège de ce mano à mano diabolique (et on ne peut plus déséquilibré !) entre
Fannie et Freddie.
Elle la jeune femme entreprenante et déterminée, lui le golden-boy ambitieux à qui tout réussi.
Si
Marcus Malte, en ouvrant la nouvelle sur le portrait de Fannie seule face à son miroir, laisse d'abord croire aux préparatifs d'un rendez-vous galant, on comprend vite qu'il n'en est rien ! Il nous livre plutôt l'histoire d'une vengeance froide, brutale, implacable.
Fannie vient de vivre un drame : ses parents ont été balayés, comme tant d'autres Américains, par la terrible crise des subprimes. Ruinés, broyés, anéantis. Dépossédés de tous leurs biens, jusqu'à la maison familiale que son père, modeste employé d'un secteur sidérurgique hautement sinistré, métallier courageux des hauts-fourneaux aujourd'hui éteints, forçat du feu et de l'acier, "dompteur de dragons" acharné, avait acquis à la sueur de son front dans une petite bourgade paumée de Pennsylvanie dont bientôt il ne restera rien.
Alors pour tout ça quelqu'un doit payer.
Un banquier, un col blanc, l'un des artisans du massacre, ceux qui ont joué sans scrupule avec les rêves et les espoirs des petites gens ("vous avez joué avec leur vie, et vous avez gagné").
L'un d'entre eux, n'importe lequel, alors pourquoi pas Freddie ? Pour l'exemple, et pour le clin d'oeil aussi (Fannie Mae et Freddie Mac, deux sociétés ayant bâti leur activité sur le refinancement hypothécaire, ont joué un rôle essentiel et tragique dans la crise financière de 2008).
La suite est à découvrir dans le récit de
Marcus Malte, l'histoire trépidante d'une traque, d'un face à face tendu à l'extrême, d'un châtiment et d'une métamorphose. Quel spectacle en effet que celui de la jeune fille sage se muant sous nos yeux en Minerve, déesse de la ruse et de la stratégie, mais aussi de la fureur guerrière !
‣ Pour la deuxième nouvelle, quittons les Etats-Unis et retrouvons La-Seyne-sur-Mer, son littoral et ses chantiers navals désaffectés, ex-fleurons de l'industrie française depuis longtemps tombés dans l'oubli.
Autre latitude, autre longitude mais même misère sociale, mêmes silhouettes fantomatiques de bâtiments déserts, mêmes carcasses rouillées, mêmes stigmates sanglants de la désindustrialisation.
"Un passé, ça oui. Mais quel présent ? Quel avenir ?"
Promenons-nous avec le lieutenant de police Ingmar Perhsson sur cette plage de sable.
Regardons l'horizon, scrutons cette Méditerranée au calme trompeur, elle qui jadis rejeta le rivage le corps du petit Paul, le meilleur ami d'Ingmar.
Revenons avec lui sur les terribles instants qui précédèrent la disparition du garçon, ressassons à l'infini les circonstances du drame, cherchons un coupable.
Et laissons-nous fouetter par l'écriture superbement affûtée de l'auteur, par ses phrases courtes et sèches, claquant comme des étendards aux vents de la tempête.
Si cette seconde nouvelle m'a un peu moins enthousiasmé que la première, je retiendrai néanmoins un texte plein d'émotion et de nostalgie, où les souvenirs forts d'une amitié d'enfance se mêlent à ceux plus aigres d'un monde perdu, quand La-Seyne-sur-Mer était encore une ville portuaire grouillante de vie, de projets et d'espoirs, avant qu'elle ne se transforme en cité balnéaire morne et flétrie, bientôt moribonde.
Fannie d'un côté, Ingmar de l'autre, deux personnages s'efforçant de tenir debout au milieu des ruines.
Et toujours cette plume experte pour façonner deux petits bijoux de noirceur.
En bref un bon condensé de Malte !