Á Regency il pleut toutes les nuits. Et cette nuit-là il pleuvait.
Le nez en l’air, je regardais la lune -des fois ça m’arrive- à travers les carreaux de la cuisine. Elle était rousse. Les grosses gouttes sur le verre avaient l’épaisseur du miel et sa couleur.
Partout où mes yeux se posaient, il n’y avait que des corps étendus, inertes sous le clair de lune. Le ciel était de nouveau dégagé. Les anges étaient repartis. Seul un petit groupe, à quelques pas de moi, s’était installé sur l’un des cadavres et s’obstinait à le déchiqueter. Tranquillement. Méticuleusement.
Enfin ! Enfin, il se réveille ! Enfin, il se rebelle ! Et voici soudain le pauvre qui se penche, tout confit de colère, et qui saisit la plus grosse pierre au sommet des décombres. Un lourd pavé rugueux — son rêve —, il l’ajuste, il le sent bien, au creux de sa main. Et maintenant, où est le crâne qui va le recevoir ? Où est la cible ? Le pauvre se relève et cherche du regard. Qui ? Qui ? Qui ? Qui m’a fait ça ? il se demande. Ceux d’en haut. Ceux qui dominent. Ceux qui président. Ceux qui destinent ? Les décideurs, manipulateurs, faiseurs de lois et de marchés, de profits et bénéfices, les tout-puissants anonymes et tentaculaires, multiformes, multinationaux, multimilliardaires, multi-criminels et multirécidivistes ! Qui sont-ils ? Où sont-ils, ces hommes qui nous tombent dessus ! qui nous chient dessus comme l’averse ! Ces hommes sans visage. Ces hommes au visage de pluie !