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Critique de le_Bison


Je sors de la gare de Bléville, une odeur de mazout, de port et de morue pas fraîche m'étreint la gorge. A une ère où il n'était pas encore question de tri sélectif, des panneaux d'avertissement affichent ouvertement : « Gardez votre ville propre » ? Je déambule dans les embruns, des ruelles étroites zigzaguent sur mon plan de la ville. J'hume, j'inspecte, je renifle, des odeurs de pisse, des odeurs de clopes. Un bistrot ouvert dès 5 h pour accueillir les premiers dockers et leurs premiers blancs secs. Je m'engouffre dedans comme le vent sous la jupe des vieilles rombières.

Je me colle au comptoir, encore plus collant de la veille et de la décennie passée. de quoi rester scotcher pendant des heures. Un vieux juke-box au fond de la salle, sous un amas de poussière, comme des bijoux de famille qu'on ressort une fois l'an.

J'y vais de ma pièce de 1 franc, appuie sur la touche F puis 3. Cela commence par un solo de batterie, un air de jazz du temps, au vent marin, à l'étrangeté iodée. Je me recolle sur mon tabouret, skaï rouge craquelé. Un verre de bière devant moi, la mousse brute et lourde. Une nana est à l'autre bout, une jolie brune devant son Picon-bière. Genre Fatale, genre brune inoubliable, il y a des sourires qui ne s'oublie pas, celui d'une nana devant un verre de bière en fait partie.

Elle découpe des articles dans La Dépêche du coin. Des morts suspectes, des gens de la haute société, suspects eux aussi. de la pourriture provinciale en train de fermenter dans son jus. Ça chlingue à tout vent, la corruption et le pognon. Ça pue les rancoeurs et le cigare froid. En plus y'a ce parfum de Viandox qui te rompt les boyaux. Moi, je mettrais bien trois balles dans le buffet au connard qui a commandé un Viandox et qui embaume la salle. Je préfère encore l'odeur du souffre et de la sueur post-coït animal. du sang gicle dans ma tête, sur sa chemise, coule le long de ses aisselles masquant ses effluves de bourgeois affamé devant le gloussement d'une blonde au décolleté souriant. Trois détonations brutes, pas de silencieux, on n'est pas des tontons flingueurs.

Elle est belle, Aimée, elle est brune ou blonde, comme une bière, aussi dorée qu'un whisky même. D'ailleurs, j'aime les brunes qui boivent une blonde. D'ailleurs, ça fait des années que j'ai pas bu de Viandox… A l'époque cela devait être dans les années 70… Et en plus, Aimée boit du cognac, du Hennessy, made in Charentes. Quand tout à coup, la musique s'arrête, un hurlement dans la salle, le bruit d'un grizzly en rut ou d'un bison ensommeillé. Un cri dans la nuit : TOURNEE GENERALE DE VIANDOX !
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