En 1981, Jean-Patrick Manchette fait paraître "La Position du tireur couché" chez Gallimard dans la mythique collection policière "Série Noire" (n°1856).
Synopsis:
... A 20 ans, Martin Terrier, bête à manger du foin mais beau gosse, sans un sou vaillant en poche ni formation professionnelle, s'est tracé un avenir en or: dix ans pour faire fortune coûte que coûte, ailleurs qu'au pays ... Partir, revenir ... en quelque sorte se venger d'une petite bourgade qui n'a jamais fait bon accueil à une famille pauvre, la sienne.
Une promesse est arrachée à sa petite amie de l'époque: "Attends moi..!" lui dit t'il. Anne, une gosse de riches, dont il rêve comme d'un bon parti, mais socialement inaccessible,.
Les mythomanes, quelquefois, ne se trompent qu'à moitié.
... le même homme, 10 ans plus tard, la trentaine débutante.
Son job: tueur à gages. Depuis tant d'années. L'argent coule désormais à flots.
... Aujourd'hui, il prend sa retraite. C'est ainsi, il l'a décidé, nul ne fera obstacle. Son commanditaire n'accepte pas ce congé unilatéral, prétend qu'une dernière mission, au moins, l'attend encore et qu'il ne peut s'y résorber.
Martin s'entête: il rentre au pays ... Anne Freux s'est mariée avec Felix Schrader.
Rien, ici, n'est fondamentalement original. Et pourtant. La suite appartenant au roman, elle débouchera sur un long épilogue surprenant, digne des meilleurs romans d'espionnage. Une autre constante de l'auteur apparait alors: ses prises de position politiques très tranchées.
Ce que j'en pense:
L'intérêt du roman n'est pas tant dans son pitch et son déroulé que dans la manière de conter l'histoire. le héros n'est pas Martin Terrier mais Manchette lui-même. L'auteur prend le premier plan, ses mots s'imposent, son style hypnotise, sa façon intrigue. le héros de papier s'efface peu à peu, prend l'arrière plan; encore n'a t'il pas fini d'en baver et de surprendre le lecteur ?
Manchette, comme d'habitude, impose un drôle de jeu littéraire. Son lecteur, c'est dit, ne saura presque rien des personnages qu'il va croiser. Seul le strict nécessaire s'imposera. Il ne sera question que d'actes à l'épreuve des faits. Black-out total, délibéré et définitif sur les espaces intérieurs des participants. Peu à peu, pourtant, des portraits psychologiquement fouillés se forment. L'auteur n'a rien fait pour çà (ou si peu), seul le lecteur est responsable de ce qu'il imagine.
Le béhaviorisme est l'étude psychologique de l'humain basée exclusivement sur son comportement extérieur. Manchette pratique l'hyper behaviorisme littéraire, il n'impose que ce que montrent ses protagonistes et pas ce qu'ils ressentent. Il se veut banal narrateur de faits divers. Manchette bat et distribue les cartes, le lecteur en reçoit sa part; libre à lui d'interpréter en fonction de ce qu'il a en mains.
A ce jeu là, l'auteur économise ses mots à ne rien intérioriser. La nature ayant horreur du vide, l'action pure bouche les trous, se fait omniprésente, dense et se pare pour faire bonne mesure d'une violence palpable, crue, non suggérée, délibérément visible et décrite sans fard (ce n'est néanmoins pas du Gore, loin de là). Elle apparait comme dans les thrillers, au sommet d'une montée crescendo du suspense, comme une cerise sur le gâteau. du grand art.
Autre particularité: Manchette épure souvent son style, enlève le gras, s'attaque au maigre. Les phrases sont réduites au minimum syndical. On se rapproche ici du polar noir US des années 30's et 40's. On entrevoit la sécheresse de style d'Horace MacCoy par exemple.
Paradoxalement le background objets est détaillé à l'extrême (armes de poing, électrophones, 33 tours de jazz, bouteilles de whisky, marques de voitures et de cigarettes, magazines, romans...) ce qui renforce le réalisme de situation.
Et, ainsi, Manchette, béhaviorisme aidant, hyper violence à l'étal, économie de mots en démonstration, hyper réalisme de rigueur fit naitre une école littéraire: le néo-polar. Il en sera le pape.
"La position du tireur couché" m'est, pour l'instant, le chef d'oeuvre de Manchette. Il a dynamité le ghetto du roman policier, s'est posé à la périphérie de la littérature générale par sa maîtrise inattendue de l'art de bien écrire.
A noter une constante chez Manchette: la fuite. Terrier s'échappe de son passé de tueur à gages, Gerfaut dans "Le petit bleu de la côte ouest" fuit la monotonie de son quotidien, Julie Ballanger se résorbe à son passé dans "Ô dingos, Ô châteaux"
Manchette, à l'égal de Simenon, m'intéresse. Ils maîtrisent un art qui rend la chose littéraire simple et efficace. Ce que perd Simenon en classicisme policier daté, Manchette le gagne en modernité. Ce que perd Manchette en déshumanisation, Simenon le gagne en universalité. Les deux semblent se compléter. Pas étonnant qu'ils s'inscrivent aussi souvent dans mon listing "lectures en cours".
En 1981 sort au cinéma "Pour la peau d'un flic", l'adaptation du manchétien "Que d'os !". Réalisé interprété par Alain Delon. C'est un succès commercial. L'acteur fait acheter les droits de "La position du tireur couché" alors que le roman est encore en cours d'écriture. L'adaptation sortira en 1982 sous le titre "Le choc". Deneuve tient compagnie à Delon en haut de l'affiche. le film est un loupé retentissant et commercialement un désastre. le scénario, peu fidèle au roman, fait apparaitre un Delon conforme à l'image qui est la sienne à l'époque...et ce n'est pas celle du Terrier de Manchette.
En 2015, sort "Gunman" d'après le roman qui nous occupe. Avec Sean Penn. J'en ai entrevu le trailer. Je suis dubitatif.
Manchette est t'il seulement adaptable en 25 images/seconde ?
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