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"Nada", ou l'histoire d'un groupe d'anarchistes qui projettent d'enlever l'ambassadeur américain en France.

Un polar noir, comme seul sait en réaliser l'ami Manchette. Si les motivations des principaux protagonistes demeurent relativement obscures, comme souvent avec l'auteur, ce n'est pas le cas de celle de Jean-Patrick qui renvoie dos à dos violence (légitime ?) d'Etat et violence terroriste, "les deux mâchoires du même piège à con"..."L'Etat rêve d'une fin horrible et triomphale dans la mort, dans la guerre civile absolument généralisée entre les cohortes de flics et de mercenaires et les commandos du nihilisme. C'est le piège qui est tendu aux révoltés et je suis tombé dedans", se lamente Buenaventura Diaz à la fin de l'histoire, une balle logée dans le biceps

Pour le fond, on peut donc y voir un manifeste déguisé des convictions politiques de l'auteur. du moins, chacun se fera son avis...Pour la forme, c'est toujours aussi noir, tendu et teinté d'une ironie mordante où chacun (les flics, les politiques comme les anarchistes) en prend pour son grade.

A déguster en écoutant du jazz et en sirotant un Scotch...Je pense que Jean-Patrick n'y trouverait rien à redire.



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Le roman débute par une gentille lettre du gendarme Poustacrouille à sa maman. Il lui raconte sa participation à l'assaut d'une ferme où s'étaient retranchés des anarchistes. Bon bah, la messe est dite, le lecteur sait d'emblée que la conjuration va s'achever en une « sanglante boucherie qui lève le coeur ».

Le groupuscule « Nada », un terme espagnol qui peut être traduit par « rien », comprend cinq pieds nickelés aux profils divers réunis par une même idéologie libertaire. Ils projettent d'enlever l'ambassadeur des Etats-Unis. L'homme est bien protégé mais il se rend chaque vendredi dans un club privé, c'est ainsi que l'on désigne un lupanar dans le très chic XVIème arrondissement. le groupe parvient à le kidnapper et à se retrancher dans une propriété isolée dans la campagne seine-et-marnaise. le commissaire Goémond est chargé personnellement de l'enquête par le Ministre de l'Intérieur. Tous les moyens seront bons pour mettre la main sur les ravisseurs….

Le roman publié en 1972 a un message politique marqué par le contexte des années de plomb qui ont vu l'Europe de l'Ouest secouée par des groupuscules ultra-violents. Pour Manchette, la lutte armée, quand elle est séparée de tout mouvement social offensif, est un « piège à cons ». L'Etat détourne ces actions pour alimenter « une stratégie de la tension ». En clair, le terrorisme révolutionnaire n'a d'autre résultat que de justifier et d'intensifier la répression des forces de l'ordre. Dans la note préliminaire au roman écrite en 1988, il considère que ce message est désormais caduc car il ne prend pas en compte la manipulation directe des mouvements révolutionnaires par les services de l'Etat.

La force de Manchette est de faire passer ce message fort dans un texte qui reprend les codes du roman noir. le récit est un concentré d'actions parfois proches du western. le final est tout simplement grandiose ! Les phrases courtes donnent un rythme nerveux à l'histoire. Les personnages qui oscillent entre le foutraque et le nihilisme sont atypiques et attachants. La conspiration est tout à la fois organisée et improvisée. Les motivations des terroristes sont floues et répondent plus à des errements personnels qu'à de véritables revendications politiques.

Un roman réussi tant sur la forme que sur le fond, ce qui n'est pas une surprise quand on connaît la maestria de Manchette. « Nada » est l'histoire de ces desperados qui se lancent dans la lutte armée avec désinvolture et qui vont être écrasés par une force bien plus cynique, celle de l'ordre public. N'oubliez que noir c'est noir, il n'y a jamais d'espoir.


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A noter que l'on retrouve deux personnages de « l'Affaire N'Gustro » : le bourgeois Ventrée et le commissaire Goémond. Et Manchette domicilie le bordel rue « Robert-Soulat » du nom d'un éditeur de l'époque à la Série Noire...
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Jean-Patrick Manchette est l'initiateur d'un courant littéraire qui frappa la France au début des années 70 et qui se poursuivra dans les années 80 : le Néo-Polar.

Si le genre est principalement représenté par des auteurs de gauche, voire d'extrême gauche (JP Manchette, JB Pouy, Didier Daeninckx...), il compte aussi des auteurs de droite comme l'excellent A.D.G.

Le Néo-Polar est l'utilisation des codes du roman policier pour dénoncer les excès de la société, de la politique, de la finance...
Militant d'extrême gauche, Manchette profite de son roman « Nada », pour dénoncer le terrorisme d'extrême gauche à travers l'enlèvement d'un ambassadeur américain par un groupuscule politique. Dénoncer ? Pas totalement. Manchette ne jette pas l'opprobre sur ses personnages même si son récit tente d'expliquer que le terrorisme d'extrême gauche est une erreur de la part de ceux qui la pratiquent. En clair que, même pour défendre des idées honorables, tous les moyens ne sont pas bons et même des gens bien intentionnés peuvent générer la violence et le meurtre et ne récolteront, en retour, que la violence et le sang.

Car, si, effectivement, les anarchistes du groupe « Nada » ont des côtés attendrissants et touchants alors qu'ils vont sombrer dans l'ultra violence, le flic, en face, sous des aspects sympathiques, finit par se montrer sous son jour monstrueux. Et au-dessus ? Au-dessus, les politiciens sont dépeints comme des êtres encore plus horribles, car plus hypocrites, se servant des terroristes et des policiers pour faire avancer leurs carrières.

Jean-Patrick Manchette nous livre donc un roman dans la pure veine des ouvrages de Jean-Patrick Manchette, c'est-à-dire, violent, sombre, engagé, sanglant.

« Nada » est un réel pamphlet contre la politique et l'état et une tentative d'expliquer à qui serait tenté que la violence ne sert pas forcément une cause.
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Très bonne découverte que ce roman bien noir de Jean-Patrick Manchette.
4 hommes, anarchistes, décident en ce début des années 70 de frapper fort : ils veulent enlever l'ambassadeur des Etats-Unis.
Le souci majeur est que les motivations des principaux protagonistes demeurent relativement obscures.
L'auteur en revanche a un objectif très clair : il dresse un parallèle brillant entre violence d'Etat et violence terroriste, "les deux mâchoires du même piège à con".
Une très bonne lecture!
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Jean-Patrick Manchette est un des meilleurs écrivains (français) de polars de l'après-guerre, reconnaissable entre tous à son style fluide, froid, sec, à la limite de l'impersonnel - qui fait penser à l'Anglais Ted Lewis, autre très grand.
Ce style lui sert à accélérer sans cesse l'action, mais également à se distancier de ses personnages - et Manchette parvient ainsi à créer des romans sans vrais "bons" ni vrais "méchants".
Dans "Nada", écrit en 1972, soit en pleine effervescence gauchiste, il peint les membres d'un groupuscule anarchiste (ni franchement des lumières, ni des cadors) aux prises avec la police (pas franchement angélique), pour renvoyer dos à dos le terrorisme d'extrême gauche et le "terrorisme" de l'Etat français.
Pour l'époque, condamner le terrorisme, où allait verser "Action Directe", était à la fois courageux et visionnaire - et on lui fera grâce de sa condamnation des "CRS-SS", un des rituels de l'époque.
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Manchette JP. Nada. 1972. Gallimard. 4 étoiles.
Récit rapide. Chapitres courts. Souvent l'action finale de l'un est reprise et décortiquée dans le suivant, ainsi que ses préalables. Cela donne une agréable sensation de tressage littéraire.
J'ai eu plaisir à lire ce roman en ayant à côté de moi un wikipedia pour plus d'information sur les événements historiques.
Même réflexe pour lire l'excellent « Affaire N gustro ». Dans la même veine politique « pourriture d'extrême droite », L'assassinat de Ben Barka en 1965, principal opposant socialiste au roi Hassan II du Maroc et le chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste.. babelio.com/livres/Manchette-Laffaire-NGustro/69253/critiques/3550577
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Sur un lit, un homme, lunettes rondes et chemise bleue, est allongé. Il demande à un autre homme, chevelure poivre et sel, assis avec lui dans la même pièce, à voir son chef ; l'autre répond qu'ici, il n'y a pas de chef. L'homme en chemise bleue est l'ambassadeur des États-Unis en France, celui à la chevelure poivre et sel est un activiste politique d'extrême-gauche, et son ravisseur. Deux hommes se font face, sans fonctions ni idées, dans une fermette isolée de la Brie. Bientôt, le sang coulera, sans distinction de classe ou de nationalité. Bientôt le système avalera cette humanité. Adaptation du roman de Jean-Patrick Manchette, Nada est un roman graphique noir qui, dans le Paris du début des années 1970, évoque le terrorisme rouge et les méthodes de barbouzes d'une certaine police. Surtout, Nada questionne la légitimité de l'usage de la violence en politique, de quelque bord que l'on se trouve.

Le roman graphique s'appuie d'abord sur un travail graphique remarquable de Max Cabannes. Son dessin réaliste rend parfaitement tant les décors que les ambiances. le Paris des années 1970 est très bien reconstitué, des zincs des bistrots aux intérieurs plus ou moins coquets des appartements particuliers, des ministères ou des maisons de prostitution de luxe. Pluie et neige ajoutent à l'ambiance un côté tantôt crépusculaire, tantôt immaculé. Cabannes use aussi de traitements chromatiques différents sur la même planche, ce qui permet de mettre en valeur tel personnage ou telle action.

Le schéma de narration est relativement simple. Un groupe d'action, dénommé Nada, formé de six personnes, monte une opération pour enlever l'ambassadeur des États-Unis et en réclamer une rançon. Buenaventura Diaz est le cerveau de l'opération ; D'Arcy, instable et alcoolique, représente la violence aveugle ; Treuffais est un professeur de philosophie désabusé par le monde moderne et il est le pendant intellectuel non-violent de Diaz ; Véronique Cash, ancienne prostituée et vraie pasionaria du récit, tombe sous le charme d'Épaulard, contacté en tant qu'expert, et qui participa lui-même à des opérations au cours de la décennie précédente, pour lesquelles il a connu l'exil ; de Meyer, enfin, dont le couple bat sérieusement de l'aile, on ne sait presque rien, sinon qu'il est extrêmement jeune. L'opération est un demi succès, car si le rapt réussit, des policiers sont tués par le commando. Pour une action rapide, le directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur met sur la piste des ravisseurs le commissaire Goémond, aux méthodes illégales et expéditives. L'épilogue de l'histoire a lieu dans une ferme briarde dans un siège sanglant dont ne ressort vivant qu'un seul membre du commando. Un ultime face-à-face met aux prises Diaz et Goémond, symboles à eux seuls d'un activisme politique violent et d'un État prêt à tout pour ne pas être déstabilisé.

Dès le début du récit, une interrogation demeure sur l'utilité de la violence dans le combat politique. Treuffais, pour cette raison, est exclu de l'opération par Diaz. En réalité, par sa mise en scène et son omniprésence, la violence est discréditée par la narration, peu importe la raison - s'il y en a une - qui est invoquée. le contexte du terrorisme rouge est très prégnant à cette époque, que ce soit en Allemagne ou en Italie. La question se pose alors de savoir si la violence permet de faire avancer la cause, et si son influence auprès de l'opinion publique est davantage positive ou négative. Pour éviter les conflits idéologiques et rester dans l'interrogation philosophique, les auteurs évitent soigneusement de classer les personnages selon les branches de l'extrême-gauche (maoïsme, marxisme ...). Epaulard, par exemple, ne se réclame d'aucune d'entre elles, et s'agrège à l'action du groupe autant par désoeuvrement que par sympathie pour Diaz. Si la violence trouve une justification intellectuelle dans le combat idéologique de classe - l'ambassadeur, en sa qualité, représente le capitalisme américain -, elle est souvent immonde et injustifiable. Ainsi D'Arcy qui tue le policier avec sa fronde le fait par haine du flic, plutôt que par nécessité ou par obligation idéologique. de la même manière, et dans l'autre camp, l'assaut ultra violent de la ferme mené par Goémond est dirigé par la haine des gauchistes. Dans les deux cas la violence est aveugle - de la même façon, les coups de feu échangés avant la prise d'assaut de la ferme sont tout autant aveugles - et manifestement hors du droit. Quant à l'enseignement qu'en tire Diaz, il démontre bien la double inutilité de l'usage de la violence chez les militants d'extrême-gauche : non seulement elle représente une défaite sur le plan physique et moral (la mort des preneurs d'otage est approuvée par l'opinion publique, au lieu de diriger celle-ci vers l'acceptation du grand soir) mais elle justifie aussi l'existence d'un État coercitif dans sa fonction proclamée de protecteur du peuple. Une sorte de désespoir plane alors sur les sympathisants de Marx, Lénine ou Mao. En effet, la publicité de leurs arguments ne peut que passer par les canaux des médias nationaux qui, partie intégrante du système politique, dénigre ces mouvements.

Derrière le polar se cache une histoire politique. Nada signifie rien en espagnol, comme ce que ces hommes et ces femmes sont prêts à laisser à un État considéré comme un ennemi, comme la profession de foi d'un nihilisme qui rejette les valeurs bourgeoises et toute contrainte sociale. Nada, comme ce que dira Treuffais à Goémond malgré la torture, comme le degré de pitié dont peuvent faire preuve Goémond ou le directeur de cabinet vis-à-vis de leurs semblables. Nada, comme l'ultime manifeste d'une idéologie révolutionnaire et combattante qui échoue. Au moins la littérature et la bande-dessinée peuvent réhabiliter ces hommes et ces femmes, et en montrer l'humanité, ses faiblesses d'exécution et sa force de croyance en un avenir meilleur.
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Pour découvrir la France moderne, celle des banlieues chaude de la drogue, des autoroutes et des marginaux, il a bien fallu se tourner vers les romans policiers. Les années 1970 marquent à cet égard un véritable tournant. Jean-Patrick Manchette est alors reconnu comme le maître incontesté du polar français, et il sera bientôt rejoint par toute une génération d'ex soixante-huitards. Pourtant dans leur romans comme dans ceux de leurs aînés, les femmes sont encore confinées au rôle de blondes fatales ou de victimes éplorées. Il nous faudra attendre les années 1990 pour que les auteurs et les détectives du deuxième sexe investissent l'ultime bastion masculin...
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S'attaquer à un monstre consacré demande une solide culture. J'ai peut-être pas la carrure, tu m'excuseras... ou pas. Néanmoins, faisant fi du ridicule, je me génuflexe et prie Saint Polar de bien vouloir octroyer un passe-droit à mon modeste papier. Qu'importe, mon aveu de faiblesse n'étant pas rédhibitoire, j'ai la conviction que cette étape se devait d'être franchie. Manchette fut un défricheur, j'ai donc chaviré avec Nada dans les hardiesses de son style, de ses convictions.
La suite sur ... http://bobpolarexpress.over-blog.com/2014/07/action-directe.html
Lien : http://bobpolarexpress.over-..
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On entre rapidement dans le rythme de cet excellent roman de Manchette, et l'un des plus clairement politiques, puisqu'il met en scène l'enlèvement d'un diplomate américain à Paris par ce qu'on appellerait aujourd'hui "un groupe d'ultragauche" mais qu'on se contentait de nommer à l'époque un commando gauchiste, la genèse et la vie de ce groupe, ainsi que sa traque par les autorités. Une nouvelle fois Manchette brille dans la construction du roman, le narrateur partageant avec les personnages, qui se veulent les premiers témoins de leur geste, une certaine ironie et un authentique désabusement. La forme chorale adoptée, pas si fréquente chez Manchette, permet de mettre en lumière la diversité des motivations et des ressentis des personnages - hormis les fonctionnaires devenus, en se mettant au service d'un Etat bourgeois et répressif, des "choses". Si le style n'atteint pas forcément les sommets poétiques du "Petit Bleu" ou de la "Position", la critique, d'ailleurs renouvelée dans sa préface espagnole de 1988, des rapports entre Etat et terrorisme n'a rien perdu de son actualité.
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