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Critique de JustAWord


Période (sur)exploitée par la littérature dites « young adult », l'adolescence reste un sujet fascinant et intense pour les lecteurs de tout âge.
Avec son second roman publié cette fois aux éditions Sarbacane, la belge Aylin Manço s'essaye à ce difficile exercice qu'est la description du passage à l'âge adulte…par le prisme du fantastique et de l'horreur !
Ogresse, sous sa couverture vert pomme, nous propose la singulière histoire d'Hippolyte, ado de seize ans, qui doit affronter la vie lycéenne mais aussi une vie de famille compliquée. Classique avez-vous dit ?
Pas sûr...

Problèmes d'ados
Comme tous les jeunes de son âge, Hippolyte (que l'on surnomme H, parce que c'est plus cool et moins long) affronte la dure loi du lycée. Ses deux potes, Kouz et Benji, n'arrivent pas encore à la considérer comme une « vraie » fille.
H voit donc passer des nudes de la copine de Kouz, Aurélie, et se révolte, en silence, contre ces attitudes misogynes 2.0.
Et puis, à la maison, la vie n'est pas plus rose. Fraîchement séparés, les parents d'Hippolyte n'ont plus la même attitude envers elle. Son père vit ailleurs et la voit toujours comme une gamine, sa mère elle…c'est un autre problème.
De plus en plus souvent, la mère de H s'isole à la cave pour y faire des choses terribles. du moins, c'est ce que se met à croire la jeune fille, d'autant plus que le comportement de sa mère a radicalement changé ses derniers temps, qu'elle se met régulièrement en colère et qu'elle peut même avoir des accès de violence terrible.
Puis, un beau jour en rentrant du lycée, Hippolyte découvre que la petite vieille d'à-côté, Madame Munoz, a disparu. Comment une femme de son âge à pu disparaître du jour au lendemain ? Et pourquoi a mère qui semblait si proche d'elle semble ne pas vouloir élucider ce mystère ? Que se passe-t-il dans cette maison et dans la tête de sa mère ?
Aylin Manço dresse le portrait d'une adolescente ordinaire en quête d'une identité : fille, amie, amoureuse, étudiante… qui est-elle au milieu de tout ça ? Si la chose semble vue mille fois, l'autrice belge a une carte de taille à jouer : celle du style.

Métaphore en amour(s) mineur
L'immense et la plus évidente force d'Ogresse, c'est bien le style d'Aylin Manço à la fois simple et intelligent, traversé par des métaphores et des comparaisons toujours judicieuses et inattendues. L'écriture de Manço transforme une multitude de problèmes adolescents ordinaires en de passionnants et épineux obstacles sur la route d'Hippolyte.
Les thèmes abordés ici sont nombreux : l'amour à l'ère des nude pics, le respect de la vie privée et de la féminité, le changement de l'image de soi (et des autres), les différences culturelles et, bien évidemment, la gestion de la séparation parentale par l'enfant.
Axe majeur d'Ogresse, la rupture parentale enveloppe de son ombre imposante l'histoire d'Hippolyte qui doit trouver de nouveaux repères.
Non content d'explorer les maux de l'adolescente en face de cet effondrement du paradigme familial, le roman va choisir la voie de l'horreur pour accentuer l'impact de ce drame personnel sur H.
Car derrière toutes ces préoccupations adolescentes, Ogresse se transforme en un conte terrifiant où la mère devient une figure monstrueusement inquiétante. Illustrant au départ le changement de regard de l'ado sur la figure maternelle qui s'éloigne, le roman profite des non-dits et des interstices de la terreur pour entretenir un faux-suspense qui marche incroyablement bien. En se donnant des allures de Grave, l'histoire capte le malaise d'Hippolyte et le laisse dégoûter sur le lecteur sans aucune retenue. Pour du « young adult » gentillet et mignon, on repassera. Et c'est tant mieux !

Mordre l'existence
Pourtant, là où Aylin Manço surprend le plus, c'est bien dans cette plongée horrifique où l'horreur n'est jamais franchement dans la collimateur mais au coin de l'oeil, derrière une porte de cave fermée, au coeur d'un morceau de viande pas assez cuit ou au fond de l'imagination d'une adolescente trop tétanisée par l'amour maternelle pour se rendre compte de ce qu'il se trame.
De façon tout à fait sournoise, Ogresse nous cause de la maltraitance et des coups en poussant les curseurs vers le fantastique et le surréel.
Pas pour amoindrir la chose, mais au contraire pour en illustrer le caractère anormal et la peur qui saisit la victime, d'autant plus lorsque la victime en question doit « balancer » un proche.
Ogresse montre que la seule issue vient de l'extérieur et des autres, par l'amour d'un copain ou, surtout, par le renfort des amis, des vrais, ceux qui sont prêts à ne pas acquiescer à tout juste pour faire plaisir à l'autre.
La violence dans Ogresse n'est d'ailleurs pas tant physique que psychologique, traitée de façon multiples et en expliquant qu'une victime peut en effet culpabiliser ou même s'attacher à son tortionnaire.
En somme, l'horreur permet de mettre en avant l'anormalité et l'insoutenabilité d'un phénomène qui pourrait autrement paraître trop banal, notamment aux yeux d'une victime qui aime forcément trop son bourreau.
Un sous-texte qui s'accorde forcément très bien avec l'organicité du propos, dans une période de la vie où l'on découvre sensualité et sexualité, son propre corps et celui de l'autre mais où l'on capte aussi des sensations plus inattendues et forcément moins plaisantes, parfois même violentes et traumatisantes. Hippolyte explique souvent que sa propre maison lui apparaît comme une extension d'elle-même, et au sein de celle-ci se niche aussi, l'indicible entouré d'amour.

Surprenant et captivant, Ogresse impose l'horreur de son récit avec un naturel déroutant. Grâce à une écriture parfaitement maîtrisée et à une authenticité de tous les instants, le roman dAylin Manço s'impose facilement comme un délicieux plat saignant à mettre entre toutes les papilles.
On s'en souviendra en tout cas.
Lien : https://justaword.fr/ogresse..
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