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Critique de frandj


L'auteur écrit, ou plutôt tente d'écrire, un roman d'amour qui se déroule dans l'Iran des ayatollahs. Mais sa plume est entravée par le souci constant de la censure. Ainsi, le texte de son roman, écrit par petits bouts, est signalé par des caractères gras; de temps en temps il s'autocensure (les phrases sont barrées). Cependant, une part plus importante du livre est consacrée aux interrogations de l'auteur, qui évalue à chaque instant ce qu'il peut se permettre d'écrire. Il faut savoir que la constitution de la République Islamique est théoriquement très libérale mais, en réalité, les textes imprimés ne peuvent être distribués qu'avec l'accord préalable des instances gouvernementales !
S. Mandanipour ne cesse d'imaginer les innombrables critiques que va lui faire son censeur attitré, qui s'appelle (bizarrement) M. Petrovitch. Il faut ruser avec lui, argumenter pour le convaincre… et c'est très amusant. Il écrit par exemple: « Ici (…) je suis obligé, comme il est de mise dans les romans d'amour, de décrire la beauté de Sara. A part ses grands yeux noirs, son trait le plus frappant, ce sont ses lèvres pulpeuses, qui frémissent constamment comme si elle avait soif. Mais si j'écris cette phrase, M. Petrovitch exigera immédiatement qu'elle soit biffée. Par conséquent j'écris: Les lèvres de Sara ressemblent à des cerises bien mûres dont la peau délicate est sur le point d'éclater sous l'effet de la chaleur du soleil ». En effet, pour les censeurs, les canons de la littérature sont définitivement déterminés par les oeuvres persanes anciennes, qui usent et abusent de métaphores, poétiques mais aussi alambiquées et prudes, éloignées de l'esprit du XXIème siècle.
L'intrigue du roman en construction parait simple, voire simpliste. La voici: un jeune homme pauvre, Dara, autrefois chassé de l'université pour ses sympathies communistes, s'éprend de Sara, une belle étudiante qui partage secrètement ses sentiments; mais elle est aussi convoitée par un prétendant riche qui a la faveur de ses parents. Il ne faudrait surtout pas s'imaginer des scènes osées entre ces amoureux transis. Il est clair que cette intrigue est un prétexte pour observer la société iranienne actuelle.

Dans son livre, S. Mandanipour dialogue en permanence avec le lecteur, pour l'informer sur toutes les particularités de la société iranienne et, tout particulièrement, sur la situation de sa littérature. Par exemple, quand il parvient à une péripétie qui pourrait échapper à notre compréhension, l'auteur nous apostrophe directement, écrivant chaque fois: « Demandez-moi pourquoi, afin que je puisse vous expliquer… » et il développe aussitôt sa réponse. C'est ainsi que nous découvrons peu à peu ce que sont vraiment les rouages de la censure, les contrôles de la police des moeurs, l'espionnage des voisins bien-pensants, l'opportunisme des partisans du régime, la répression politique et, pour les opposants, l'enfer de la prison…
Plus amusant: l'auteur se déclare parfois surpris par le cours du récit qu'il est lui-même en train d'écrire ! Et il intervient même directement, par exemple en rayant la carrosserie de belle BMW du prétendant de Sara. Ceci, ainsi que l'ensemble des interrogations et remarques acides du texte, parait surprenant, ironique et impertinent... L'autodérision n'est jamais loin, qu'elle vise personnellement l'écrivain lui-même ou bien son pays. Cependant, on trouve aussi dans le livre des allusions sérieuses au grave malaise ressenti en permanence par une partie des citoyens: par exemple, l'auteur évoque sans humour le voile « punaisé » de force sur la tête des femmes.

En lisant ce roman on prend conscience du caractère totalitaire du régime des ayatollahs, qui est à la fois ridicule et redoutable. Au sujet des moeurs, particulièrement de la séparation rigoureuse des deux sexes, on peut même penser à l'apartheid sud-africain. Celui-ci se voulait absolument cohérent, jusque dans ses absurdes extrémités, exactement comme l'ordre moral imposé maintenant à l'Iran. Cette oppression a surtout pour effet d'exciter, chez les Iraniens, l'hypocrisie, la frustration, la concupiscence malsaine envers les femmes. Pour l'illustrer dans le domaine littéraire, S. Mandanipour nous donne de nombreux exemples de phrases qui nous semblent tout à fait anodines et qui sont pourtant interprétées là-bas d'une manière salace, non seulement par le censeur, mais aussi par l'éventuel lecteur iranien.

Un reproche quand même: ce livre de 400 pages aurait été beaucoup plus percutant s'il avait été un peu plus court. L'effet de surprise et notre régal devant l'impertinence de l'auteur, s'émoussent un peu au fil des pages. C'est dommage…
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