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Édith Scherrer (Traducteur)Nikita Struve (Préfacier, etc.)
EAN : 9782267018400
155 pages
Christian Bourgois Editeur (08/06/2006)
3.92/5   38 notes
Résumé :
Ce livre, paru en 1925, est bien plus qu'une autobiographie. Mandelstam y observe avec une acuité sans indulgence ce passé qu'il veut éloigner. Car sa mémoire n'est pas amie, mais ennemie du temps. Les quatorze esquisses qui composent cet ensemble "impressionniste" de souvenirs arrachés à la nuit de l'oubli sont parmi les plus belles pages en prose du grand poète russe. Fragments d'un monde englouti dans le tourbillon révolutionnaire, elles restituent, mieux que ne ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Le Bruit du temps , écrit en 1923 est un magnifique texte en prose de l'un des plus grands poètes du XXe siècle. Ossip Mandelstam, remonte la barque du temps et exhume le Pétersbourg de son enfance, celui des années 1890-1905.

Le livre est découpé en 14 fragments, courts chapitres denses et intenses, comme autant de petits courts métrages sonores d'une époque en déclin à jamais disparue. Sa prose poétique impressionniste, est très originale et n'a pas pris une ride. On perçoit un bruit de fond celui des calèches, des concerts, celui des voix des comédiennes de théâtre. Il évoque avec une ironie rageuse la belle routine impériale totalement sourde aux revendications. Il saisit les rituels quotidiens désuets de la vie publique de Saint-Pétersbourg dans des décors somptueux et théâtraux, la relève de la garde autour de la statue équestre de Nicolas Ier , les promenades en calèche absurdes de la famille impériale, les manifestations des étudiants, la répression militaire. On perçoit les babillages des gouvernantes françaises qu'on achète et qu'on vend, le snobisme finlandais. Il porte un regard ambivalent sur ses origines juives. On entend la voix claire et élégante de la mère qui donne des leçons de piano et parle un russe harmonieux. Et la mauvaise élocution du père maroquinier, son sabir d'autodidacte. On les entend sans savoir ce qu'ils disent. Il fuit « le chaos juif »de la maison familiale, fait d'odeurs de cuisine et de cuir tanné, ponctué de conversations d'affaires, de « fêtes sans joie » et de prières incompréhensibles. Et en même temps, il sait gré à ses parents de lui avoir appris à écouter ce fameux bruit du temps dans lequel ils sont dilués.

"Que voulait dire ma famille ? Je ne sais pas. Elle était bègue de naissance,
et cependant elle avait quelque chose à dire. Sur moi et sur beaucoup de mes
contemporains pèse le bégaiement de la naissance. Nous avons appris non
à parler, mais à balbutier, et ce n'est qu'en prêtant l'oreille au bruit croissant
du siècle et une fois blanchis par l'écume de sa crête que nous avons acquis
une langue".

Dans la dernière année de sa scolarité, en 1905-1906, à l'institution Tenichev (qu'a fréquenté également Nabokov) il est initié par son professeur de Lettres Vladimir Hippius, à la « hargne littéraire » , sa marque de fabrique,en opposition au symbolisme russe qu'il juge fadasse : « Hargne littéraire ! Sans toi, avec quoi aurais-je mangé le sel de la terre ? ». Hippius le professeur qui était aussi un poète exigeait la participation du corps tout entier et de la voix en particulier. « Je ressentis pour la première fois la joie de la cacophonie extérieure du russe ».
Autre rencontre importante évoquée, celle de Boris Sinani, un élève de l'institut. Sa famille l'initie au socialisme révolutionnaire. Il participe à des réunions qui fomentent des attentats mais en raison de son jeune âge, il n'y participe pas.

Je vous encourage vivement à lire ce petit ouvrage.
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C'est le deuxième ouvrage en prose que je lis de Mandelstam après « Le timbre égyptien », paru à la même période (entre 1925 et 1930, quand l'auteur abandonna temporairement la versification pour chercher à se ressaisir dans un présent hostile à la poésie). Et si « Le timbre égyptien » constituait une lecture exigeante en raison de ses métaphores foisonnantes, « Le bruit du temps » s'avère quant à lui difficile d'accès à cause de son déferlement de références culturelles, qui justifient bien les dizaines de pages de notes en fin de volume pour que les non-experts en culture russe puissent s'y retrouver.

Les fulgurances poétiques se font ici plus discrètes mais pas moins enivrantes, sous la loupe appliquée à la Russie de la fin du XIXème siècle. En effet, Mandelstam se retourne sur ses jeunes années, et examine, à la lumière de son expérience, la société russe d'antan, où couvait encore la révolution. le recul du présent aide à trouver les mots justes, et alimente la parole :

« Nous avons appris non à parler, mais à balbutier et ce n'est qu'en écoutant le bruit croissant du siècle, et une fois blanchis par l'écume de sa crête que nous avons acquis une langue. »

Cette langue est sans complaisance. Mandelstam rejette les idoles littéraires de la Russie fin-de-siècle, dont les vers affectés lui évoquent parfois « une tendre Psyché souffrant d'hémorroïdes ». Les traits caustiques abondent, et égratignent le « groin de porc de la déclamation », dont Mandelstam affuble le théâtre russe, ou encore la poésie symboliste et sa figure de proue Alexander Blok. Toutefois, l'auteur réhabilite aussi certaines voix oubliées, comme celle de son ancien professeur de littérature à l'institut Tenichev, un certain Vladimir Vassiliévitch Hépius. Ce dernier aborde sa discipline avec une passion mordante, sincère, une « hargne littéraire » quasi-animale, qui ne craint pas de mêler la haine et l'amour comme deux face d'une même passion, dont son élève a de toute évidence hérité.

En somme, Mandelstam assume le fait d'être un enfant du XIXème siècle et de tous ses travers : « personne n'est coupable, et il n'y a pas à avoir honte ». Il se retourne ainsi vers les « sources de l'être », que la révolution craint par nature, son objectif étant de supplanter, voire d'effacer le passé qui l'a engendrée. Par ce regard en arrière, Mandelstam accomplirait donc presque un acte littéraire contre-révolutionnaire... qui en amènera d'autres, notamment la fatale « Épigramme contre Staline », au style reflétant bien les valeurs défendues dans cet ouvrage. Ce retour aux sources l'aura aidé à retrouver cette voix poétique, héritée du passée et projetée vers l'avenir, dans un bruit singulier.
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La relation de Mandelstam à l'écriture est conflictuelle, charnelle et passionnée.
Dans ce petit recueil, traduit ici par Jean-Claude Schneider, où il évoque puissamment son enfance dans le Saint-Pétersbourg d'avant la révolution, on ressent toute l'intensité de son désir de redonner substance au révolu qui résonne pourtant si bruyamment dans sa mémoire. D'arracher au temps ce que celui-ci semble vouloir enfouir dans l'oubli.
" Et malgré tout, seuls des masques de voix étrangères ornent les murs vides de mon habitation. Se remémorer veut dire : remonter seul le lit d'une rivière asséchée. "
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Entre 1922 et 1928 Mandelstam abandonne temporairement la poésie pour chercher du sens. L'ancien monde n'est plus et le nouveau reste encore en construction, après 7 années de guerre, de révolution et de guerre civile. Durant cette période il écrit peu de poésie, il ressent fortement la cassure :
« Les bourgeons gonfleront encore,
Les pousses vertes jailliront
Mais brisées sont tes vertèbres
O mon beau, mon triste temps ! »
Il tente de saisir l'histoire à travers l'atmosphère de ses souvenirs d'enfant. Ce n'est pas pour autant un récit autobiographique, ce n'est pas son propos, il cherche à revoir son enfance pour percevoir les signes de la condamnation de la société d'antan, où couvait déjà la révolution (ce récit s'arrête à celle de 1905 d'ailleurs), les fêlures et les faiblesses de l'époque révolue. Il cherche les mots justes à la lumière du présent. Cette évocation du Saint-Pétersbourg de son enfance est puissante, on y sent le profond désir de redonner chair au passé.
" Et malgré tout, seuls des masques de voix étrangères ornent les murs vides de mon habitation. Se remémorer veut dire : remonter seul le lit d'une rivière asséchée. "
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Ossip Mandelstam a été considéré par ses compatriotes comme le plus grand poète russe de son époque. Ce petit livre, le premier écrit en prose et sans doute le plus autobiographique, retrace ses souvenirs d'enfance et d'adolescence à saint Pétersbourg jusqu'au début de la révolution en 1905.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Musique à Pavlovsk
Je me souviens bien des années sourdes de la Russie-les années quatre-vingt-dix au lent mouvement rampant, au calme maladif, au provincialisme profond-une anse d'eau stagnante, silencieuse : le dernier refuge du siècle mourant. Pendant le thé du matin, les conversations au sujet de Dreyfus, les noms des colonels Esterhazy et Picquart, les discussions embrumées autour d'un certaine "Sonate à Kreutzer" et, chose qui me faisait penser à un changement de dynastie, la succession des chefs d'orchestre au pupitre réhaussé, sous la verrière de la gare de Pavlosk. Vendeurs de journaux dans leur recoin, massives et statiques excroissances du trottoir, qui ne crient pas, ne bougent pas ; étroites calèches avec leur petit banc escamotable pour une tierce personne : détail après détail, je me représente ces années quatre-vingt-dix comme une suite de tableaux intérieurement liés par une médiocrité discrète, par une provincialité morbide et condamnée : les fragments d'une vie en train de mourir.
(incipit)
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La bibliothèque de la prime enfance est un compagnon de route pour la vie entière. La disposition des étagères, les collections d’ouvrage, la couleur des dos, on les perçoit comme la teinte, la hauteur et la structure même de la littérature universelle. Si bien que les volumes absents de la première bibliothèque n’alimenteront jamais ce vaste édifice livresque où se reflète l’image du mode. Là, qu’on le veuille ou non, chaque œuvre est classique, et aucun dos de livre n’en peut être soustrait
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Hargne littéraire ! Sans toi, avec quoi aurais-je mangé le sel de la terre ?

Tu es l’assaisonnement du pain fade de l’entendement, tu es la conscience joyeuse de l’erreur, tu es le sel de conspiration, transmis d’une décennie à l’autre avec un salut caustique, dans une salière à facettes, avec l’essuie-mains rituel ! Voilà pourquoi j’aime tant éteindre le feu de la littérature avec le froid et les étoiles piquantes. Fera-t-elle crisser la neige ? S’égaiera-t-elle dans la rue Nekrassov glacée ? Si elle est authentique, alors oui.

Au lieu des visages vivants, se souvenir des moulages des voix. Devenir aveugle. Toucher et reconnaître par l’ouïe. Triste sort ! C’est ainsi qu’on entre dans le présent, dans l’actualité, comme dans le lit d’une rivière tarie.

Et pourtant ce n’étaient pas des amis, des proches, c’étaient des étrangers, des gens lointains ! Malgré tout, seuls des masques de voix étrangères décorent les murs vides de la demeure. Se souvenir, c’est remonter tout seul le lit d’une rivière tarie !
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La révolution est elle-même et vie et mort et elle ne peut souffrir qu’on potine devant elle sur la vie et sur la mort. Sa gorge est desséchée par la soif, mais elle n’acceptera pas une seule goutte d’eau de mains étrangères. La nature, ou la révolution, est une soif éternelle, un embrasement (peut-être envie-t-elle les siècles qui, humblement, simplement, étanchaient leur soif en se dirigeant vers l’abreuvoir des brebis. Pour la révolution, cette crainte, cette peur de recevoir quelque chose de mains étrangères est caractéristique, elle n’ose pas, elle craint de s’approcher des sources de l’être).

Mais qu’ont fait pour elle, ces « sources de l’être » ? Avec quelle indifférence ont coulé leurs vagues rondes ! Elles ont coulé pour elles-mêmes, elles se sont réunies en torrents pour elles-mêmes, elles ont jailli en source pour elles-mêmes ! (« Pour moi, pour moi, pour moi », dit la révolution. « Tout seul, tout seul, tout seul » répond le monde).
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En me privant des mers, de l'élan, de l'envol,
Pour donner à mon pied l'appui forcé du sol :
Quel brillant résultat avez-vous obtenu ?
Vous ne m'avez pas pris ces lèvres qui remuent !
(Préface p 8)
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Videos de Ossip Mandelstam (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ossip Mandelstam
Prose et poésie d'Ossip Mandelstam (France Culture / Répliques). Photographie : Ossip Mandelstam, vers la fin de sa vie. © Mandelstam Centre, Moscou. Production : Alain Finkielkraut. Réalisation : Didier Lagarde. Avec la collaboration de Anne-Catherine Lochard. Diffusion sur France Culture le 19 mai 2018. Ossip Emilievitch Mandelstam (en russe : О́сип Эми́льевич Мандельшта́м), né le 3 janvier 1891 (15 janvier 1891 dans le calendrier grégorien) à Varsovie et mort le 27 décembre 1938 à Vladivostok, est un poète et essayiste russe. Il est l'un des principaux représentants de l'acméisme, dans la période dite de l'âge d'argent que la poésie russe connaît peu avant la révolution d'Octobre. Il écrit en 1933 une “Épigramme contre Staline”, qui lui vaut arrestation, exil, et finalement mort durant sa déportation vers la Kolyma. Évocation de la vie et de l'œuvre d'Ossip Mandestam dont Le Bruit du Temps publie une nouvelle traduction. « Le Bruit du Temps est une maison d'édition qui redonne confiance dans la vie intellectuelle. Après notamment l'immense poème épique de Robert Browning, “L'anneau et le livre”, et les “Œuvres complètes” d'Isaac Babel, voici que paraissent en deux volumes somptueux la prose et la poésie d'Ossip Mandelstam : “Œuvres poétiques” et “Œuvres en prose”. Je ne pouvais laisser passer une occasion si belle. J'ai donc invité celui qui a entrepris la retraduction de tous ces textes : Jean-Claude Schneider et l'historienne d'art Véronique Schiltz, qui a aussi traduit le poète Joseph Brodsky. Avant d'entrer avec eux dans l’œuvre fascinante et difficile, je voudrais demander à ces deux grands lecteurs ce qu'il faut savoir de la vie de l'homme dont nous venons d'entendre la voix. » Alain Finkielkraut
Invités :
Véronique Schiltz, archéologue et historienne de l'art française, orientaliste et helléniste
Jean-Claude Schneider, poète, essayiste et traducteur
Sources : France Culture et Wikipédia
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