AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782742704842
88 pages
Actes Sud (01/01/1999)
4.19/5   16 notes
Résumé :

" II est terrible de penser que notre vie est un roman, sans intrigue et sans héros, fait de vide et de verre, du chaud balbutiement des seules digressions et du délire de l'influenza pétersbourgeoise. L'Aurore aux doigts de rose a cassé ses crayons de couleur. Ils gisent aujourd'hui comme de jeunes oiseaux, avec des becs béants et vides. Cependant, tout absolument me semble contenir les arrhes de mon délire favori en prose. "<... >Voir plus
Que lire après Le timbre égyptienVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Voici un long poème en prose narratif, qui nous promène entre différentes zones d'un Saint-Pétersbourg en proie au chaos : l'action est située entre février et octobre 1917...

Durant cette période de troubles, plus rien n'est sûr, même le langage. A peine le sens se dessine-t-il qu'il part à la dérive, emporté par un torrent de tropes : la métaphore, figure favorite de Mandelstam, dessine donc avant tout la perte, la mélancolie. Nerveuses, les images se succèdent en effet trop vites pour donner l'impression de se former complètement, et le rythme en devient décousu, brisé : « L'Aurore aux doigts de rose a cassé ses crayons de couleur. Ils traînent à présent comme des oisillons au bec béant et vide. »

Mandelstam pourrait être l'un de ces oisillons (il a souvent été comparé à eux, en raison de son physique frêle). Mais son tourment se déroule un peu plus tard, sous le régime stalinien, durant lequel il écrit ce texte. Il se retourne vers la révolution passée, comme pour y confronter sa propre révolution poétique, dont le chaos fragmentaire singe la réalité :

« Je ne crains ni le manque de suite ni les coupures.
Semblables à un martinet, mes longs ciseaux coupent le papier.
Je colle des becquets en frange.
Un manuscrit est toujours une tempête ; c'est tourmenté, ravagé à coups de bec…  »

L'oisillon Mandelstam s'approprie le monde de 1917 en recomposant le langage, peut-être inspiré par un certain dieu-oiseau. Faut-il considérer Thot comme le lien entre ce texte et l'Égypte ?

Cependant, l'anti-héros Parnok, fait un bien pâle avatar pour Mandelstam, qui prie : « Seigneur, faites que je ne sois pas semblable à Parnok ! ». Mais nulle voix divine ne lui répond, nulle musique céleste : comme le fait fort justement remarquer la préface de Ralph Dutli, les sons sont étouffés dans ce texte, peu ou pas mentionnés, comme si la tapage ambiant comprimait tout. Reflet de la peur qui oppresse Mandelstam.

Assourdi, Parnok est balloté à travers les incendies et les foules effrayantes, dans un voyage kaléidoscopique, dicté par cette même peur : « la peur me prend par la main et me conduit ». Avec un tel guide, le spectre de Gogol n'est jamais très loin : Parnok devra ainsi explorer Saint-Péterbsourg sans son manteau, perdu, lui aussi. Dénudé, vulnérable dans le vacarme, Parnok n'a pas volé son surnom de « timbre égyptien ». Comme une lettre, son être semble expédié au hasard, de la Russie à l'Egypte. Pas beaucoup mieux qu'une bouteille à la mer…
Commenter  J’apprécie          100
Ce n'est pas une journée d'ivan Denissovitch , mais une de celle de la vie de Pamok , sorte de double , ironique de l'auteur . Seule oeuvre en prose de Mandelstam écrite alors qu'il n'écrivait plus de poésie , qu'il réfléchissait dans le silence . Dans le monde chaotique russe de l'époque des intellectuels se questionnent et Mandelstam qui ne sait pas encore qu'il va mourir sur ordre de Staline s'interroge aussi .
L'histoire de ce livre importe peu , elle sert de trame à la réflexion de l'auteur pour nous pousser nous aussi à réfléchir à nos actes et engagements .
Commenter  J’apprécie          171
Le seul roman du poète et essayiste Mandelstam, 100 pages de chef d'oeuvre à part entière.

Publié en 1928 dans une période où le poète Ossip Mandelstam s'est largement "tu", découragé, ce court roman (une centaine de pages découpées en huit chapitres incisifs) - qui sera sa seule oeuvre en prose - suit une journée d'un nommé Parnok, double onirique de l'auteur, dans les rues de Petersbourg, entre les "deux révolutions" de février et d'octobre 1917, alors qu'un mystérieux capitaine semble être en train de lui "voler sa vie" jusque dans les détails de son quotidien et des vêtements.

Promenade hallucinée donc, mais aussi incroyable manifeste romanesque, dans lequel Mandelstam réalise l'échantillon parfait de ce que, selon lui, l'écriture en prose devrait être désormais. On ne sera pas surpris d'apprendre que la traduction française de 1930, réalisée par le tout jeune Georges Limbour, publiée dans la prestigieuse revue littéraire "Commerce", ait eu un énorme retentissement, auprès des surréalistes bien entendu, mais aussi auprès de tous ceux que l'évolution nécessaire du roman moderne préoccupait. La réédition en 2009 par le bruit du temps, sous le titre "Le timbre égyptien", est somptueuse.
Commenter  J’apprécie          70
Cette prose de Mandelstam a vu 4 fois le jour en France. Une première fois en 1930 dans la revue littéraire *Commerce* dans une traduction non sans reproches de Georges Limbour et Dmitri Mirsky. En 1968, les Editions l'Age d'Homme l'ont publiée dans une traduction de Claude Levenson. Les éditions Actes Sud ont fait paraître la traduction d'Eveline Amoursky en 1995. Enfin, en 2009, *Le Bruit du temps* a réédité la traduction de 1930.
Commenter  J’apprécie          30
Cette prose merveilleuse de Mandelstam a vu 4 fois le jour en France. Une première fois en 1930 dans la revue littéraire *Commerce* dans une traduction non sans reproches de Georges Limbour et Dmitri Mirsky. En 1968, les Editions l'Age d'Homme l'ont publiée dans une traduction de Claude Levenson. Les éditions Actes Sud ont fait paraître la traduction d'Eveline Amoursky en 1995. Enfin, en 2009, le Bruit du temps a réédité la traduction de 1930.
Lien : http://fr.scribd.com/doc/132..
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Je ne crains ni le manque de suite ni les coupures.
Semblables à un martinet, mes longs ciseaux coupent le papier.
Je colle des becquets en frange.
Un manuscrit est toujours une tempête ; c'est tourmenté, ravagé à coups de bec…
C’est le brouillon d’une sonate.
Barbouiller, exécuter à la Marat, vaut mieux qu’écrire.
Je ne crains ni les rapiéçages ni le jaune de la gomme.
Je couturaille, je fais le fainéant.
Je dessine Marat dans un bas.
Des martinets.
Commenter  J’apprécie          52
Détruisez le manuscrit, mais conservez ce que vous avez crayonné en marge par ennui, par impuissance et comme en rêve. Ces créatures de second plan, incontrôlées, nées de votre fantaisie, ne se perdront pas de par le monde ; elles s'installeront aussitôt derrière des pupitres ombragés, comme les troisièmes violons de l'opéra Marie, et pour remercier leur créateur, elles mitonneront sur l'heure l'ouverture de Lénore ou celle de l'Egmont de Beethoven.
Il est terrible de penser que notre vie est un récit sans sujet ni héros, fait de vide et de verre, du balbutiement fiévreux des seules digressions, du délire grippal de Pétersbourg.
L'Aurore aux doigts de rose a cassé ses crayons de couleur. Ils traînent à présent comme des oisillons au bec béant et vide. Cependant, il me semble résolument voir là les arrhes de mon délire en prose bien-aimé.
Commenter  J’apprécie          20
Messieurs les littérateurs ! Les escarpins de danse conviennent aux ballerines, à vous les caoutchoucs.

Essayez-les, échangez-les : voilà votre danse. Elle s’exécute dans les antichambres sombres, une seule condition étant de rigueur : manquer de respect pour le maître de la maison. Vingt ans de cette danse constituent une époque ; quarante, l’histoire… c’est là votre droit.

Sourires de groseille des ballerines,

balbutiement des escarpins enduits de talc,

complexité martiale et insolente multitude des violons au milieu de l’orchestre caché dans sa fosse lumineuse où les musiciens s’enchevêtrent comme des dryades par leurs branches, leurs racines et leurs archets,

obéissance végétative du corps de ballet,

magnifique dédain de la maternité :

– Avec ce roi et cette reine qui ne dansent pas on vient de jouer à soixante-six.

– Avec son air jeune, la grand-mère de Giselle verse du lait, du lait d’amandes, sans doute.

– Tout ballet est jusqu’à un certain point une institution de servage. Non, non, n’allez pas me contredire sur ce point !



Calendrier de janvier avec ses petites biches, sa laiterie modèle de myriades de mondes, et le craquement du jeu de cartes qu’on décachette…
Commenter  J’apprécie          10
Au début, il y avait un établi et la carte des hémisphères d'Iline.
Parnok y cherchait une consolation. Le papier toilé indéchirable le tranquillisait. Pistant les océans et les continents du manche de la plume, il composait des itinéraires de voyages grandioses, tout en comparant les traits aériens de l'Europe aryenne à la botte imbécile de l'Afrique et de l'insipide Australie. Il trouvait également un certain piquant à l'Amérique du Sud, à partir de la Patagonie.
Son respect pour la carte d'Iline, Parnok l'avait dans le sang depuis les temps immémoriaux où il s'imaginait que les hémisphères d'ocre et d'aigue-marine, pareils à deux boules enchantées enserrées dans le réseau des latitudes, étaient chargées d'une mission concrète par la chancellerie ardente des tréfonds mêmes de la terre, et que - tels des pilules nutritives, ils renfermaient en eux un concentré d'espace et de distance.
Commenter  J’apprécie          10
La peur me prend la main et me conduit… J’aime, j’estime la peur. J’allais presque dire : "Je n’ai pas peur avec elle" ! Les mathématiciens auraient dû lui dresser une tente parce qu'elle est la coordonnée du temps et de l'espace : ils y participent comme le feutre roulé à la tente des Kirghiz. La peur dételle les chevaux quand il faut partir et nous envoie des rêves avec des plafonds absurdement bas.
Commenter  J’apprécie          30

Videos de Ossip Mandelstam (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ossip Mandelstam
Prose et poésie d'Ossip Mandelstam (France Culture / Répliques). Photographie : Ossip Mandelstam, vers la fin de sa vie. © Mandelstam Centre, Moscou. Production : Alain Finkielkraut. Réalisation : Didier Lagarde. Avec la collaboration de Anne-Catherine Lochard. Diffusion sur France Culture le 19 mai 2018. Ossip Emilievitch Mandelstam (en russe : О́сип Эми́льевич Мандельшта́м), né le 3 janvier 1891 (15 janvier 1891 dans le calendrier grégorien) à Varsovie et mort le 27 décembre 1938 à Vladivostok, est un poète et essayiste russe. Il est l'un des principaux représentants de l'acméisme, dans la période dite de l'âge d'argent que la poésie russe connaît peu avant la révolution d'Octobre. Il écrit en 1933 une “Épigramme contre Staline”, qui lui vaut arrestation, exil, et finalement mort durant sa déportation vers la Kolyma. Évocation de la vie et de l'œuvre d'Ossip Mandestam dont Le Bruit du Temps publie une nouvelle traduction. « Le Bruit du Temps est une maison d'édition qui redonne confiance dans la vie intellectuelle. Après notamment l'immense poème épique de Robert Browning, “L'anneau et le livre”, et les “Œuvres complètes” d'Isaac Babel, voici que paraissent en deux volumes somptueux la prose et la poésie d'Ossip Mandelstam : “Œuvres poétiques” et “Œuvres en prose”. Je ne pouvais laisser passer une occasion si belle. J'ai donc invité celui qui a entrepris la retraduction de tous ces textes : Jean-Claude Schneider et l'historienne d'art Véronique Schiltz, qui a aussi traduit le poète Joseph Brodsky. Avant d'entrer avec eux dans l’œuvre fascinante et difficile, je voudrais demander à ces deux grands lecteurs ce qu'il faut savoir de la vie de l'homme dont nous venons d'entendre la voix. » Alain Finkielkraut
Invités :
Véronique Schiltz, archéologue et historienne de l'art française, orientaliste et helléniste
Jean-Claude Schneider, poète, essayiste et traducteur
Sources : France Culture et Wikipédia
+ Lire la suite
autres livres classés : littérature russeVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (48) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..