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Critique de mariecesttout


Norman Manea est né en Bucovine (Roumanie) en 1936. le premier voyage qu'il a fait, c'est à 5 ans. Dans un wagon à bestiaux, avec parents et grands parents. Les plus âgés ne reviendront pas. le maréchal Antonescu avait décidé la déportation de tous les juifs dans des camps en Ukraine. Il est revenu 4 ans plus tard. "J'étais un vieillard qui allait avoir 9 ans".

Et à 50 ans, trop tard peut être, il est reparti: " A cinq ans la première fois à cause d'un Dictateur. A cinquante ans, à cause d'un autre Dictateur et d'une idéologie opposée. Quelle blague!".
Oui, enfin, c'est d'un humour désespéré qu'il s'agit là, et c'est au cours d'un bref séjour effectué à contre coeur sur le sol natal qu'il résumera ainsi: " Reste la honte de ne pas être parti à temps, la honte d'être parti quand même, la honte d'être ramené au point de départ."

Avant l'exil, avant l'abandon de sa mère qui le suppliait d'au moins revenir pour son enterrement, le refuge pour lui était l'écriture : " Grâce au dialogue engagé avec des amis virtuels, la littérature allait me sauver de la mutilation imposée par l'Autorité".
Sauver des nouvelles persécutions, de la délation systématique, des tribunaux populaires qui de nouveau transforment son père en "pou" et lui en "fils de pou" à cause d'une anonyme et fausse dénonciation ( pour un crime impardonnable, il aurait offert gratuitement une bicyclette à quelqu'un.......)et l'envoient croupir dans un autre camp.

"La fatalité de la terreur pouvait s'abattre sur n'importe qui, n'importe quand, n'importe où et pour n'importe quelle raison."

Car, pour Manea, l'exil signifiait plus que quitter la terre, c'était quitter la langue. Il se demandait si l'exil, pour un écrivain, n'était pas l'équivalent du suicide. Mais peu à peu ,la réalité l'impose: "Et la mort qui me guettait ici, à domicile? le rétrécissement accéléré de l'existence, la prolifération des dangers rendaient sans objet les inquiétudes quant à la possibilité de renaitre , au seuil de la vieillesse, dans une autre langue et un autre pays."

Alors, avec toujours sur lui ces phrases de Joyce dans Dedalus : " Je ne veux pas servir ce à quoi je ne crois plus , que cela s'appelle mon foyer, ma patrie ou mon Eglise. Je veux essayer de m'exprimer ,sous quelque forme d'existence ou d'art, aussi librement et complètement que possible, en usant pour ma défense des seules armes que je m'autorise: le silence, l'exil, la ruse."Manea va organiser son départ; D'abord vers l'Allemagne, puis les Etats Unis .

Etats Unis où il vit désormais, Etats Unis, pays des exilés de tous lieux, et de Mark Twain , dont les phrases suivantes pourront accompagner celles de Joyce: "Je crois ne pas avoir de préjugés. Je peux affronter n'importe quelle société. Tout ce qui m'importe est de savoir qu'un homme est un être humain -cela me suffit. Il ne peut pas être pire".......

En écoutant James Gray dans le bonus du DVD The Immigrant parler de très belle façon de ses grands-parents , immigrés en 1923 et restés en permanence dans la nostalgie de leur pays,de leur langue car ils n'avaient jamais appris l'anglais et restaient figés , incapables de communiquer, de s'adapter à un environnement si différent ( ce qu'il ne comprenait pas, enfant, car ils y étaient persécutés), j'ai repensé à ce beau portrait et analyse très poussée de ce qu'est un immigré non volontaire ,et de ses souffrances .
Lisant en ce moment la deuxième partie de l'autobiographie de J. M. Coetzee, j'y retrouve la même chose (même s'il n'a pas , lui, le problème de la langue, et qu'il est parti d'Afrique du Sud non pour des raisons..vitales, mais parce qu'il avait honte de son pays, qu'il n'a pas non plus le même passé très lourd à porter), la très grande difficulté pour un écrivain de s'abstraire de ses références culturelles.

Grand écrivain roumain que ce Norman Manea.
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