"L'Esprit du vent", ou "Magico Vento" en italien, plus qu'une série est une véritable franchise qui dépasse largement la voilure de notre "Blueberry" national : la saga commencée en 1997 comprend aujourd'hui plus de 130 épisodes, un épisode de 100 pages sortant tous les mois ! (Soupir : et dire que la BD franco-belge rencontre les pires difficultés à sortir 48 pages en moins de 2 ans…) Si tous les scenarii sont signés
Gianfranco Manfredi, un vétéran touche-à-tout qui a été acteur, compositeur, romancier et essayiste, c'est toute un écurie de dessinateurs qui se sont relayés pour donner vie aux aventures du pistolero shaman !
Qu'est-ce ça raconte ? Les aventures de Ned Ellis, devenu amnésique après une tragédie qui lui laissa un éclat de métal dans la tête, puis shaman grâce aux de Cheval Boiteux qui l'avait recueilli… Outre son côté beau gosse ténébreux, le héros s'inscrit dans la lignée des Bob Morane, Thorgal et autre XIII et c'est en compagnie de Willy Richard, journaliste de Chicago la cité des vents et sosie vivant d'
Edgar Allan Poe, qu'ils sillonnent les Etats-Unis pour s'opposer aux machinations diaboliques d'Howard Hogan, un hominus crevaricus qui pioche à parts égales dans les forces occultes de la finance et de la magie noire pour réaliser ses ambitions. On mélange joliment roman social et western spaghetti / pro-indiens, avec une pointe de fantastique plus ou moins prononcée selon les épisodes, du coup l'ensemble se rapproche du merveilleux film "Keoma" réalisé en 1976 par Enzo G. Castellari. (Mais rien à faire, le trio m'a fait penser à la lutte de l'éternel champion Elric de Melniboné et de l'éternel compagnon Tristelune d'Elwher, opposés aux sombres complots de l'ignoble sorcier pantangien Theleb Ka'arna… ^^)
Merci wikipédia d'avoir répondu à mes questions, parce les éditions Mosquito ont décidé de publier la série en France dans le désordre, sans indiquer ni titre original, ni numéro de l'épisode ni date de parution dudit épisode : c'est compliqué de suivre un série qui fait constamment références à des événements se déroulant avant ou après tel ou tel tome, donc tout cela ce n'est vraiment pas très professionnel !
Ce tome 1 français intitulé "La Main gauche du diable" correspond à l'épisode 19 intitulé "La mano sinistra del diavolo" et édité en janvier 1999. Allez à comprendre la logique de l'éditeur…
A Eureka dans le Nevada, les agents du juge
Holder viennent chercher le dénommé Pool, violeur de sa fille Nellie. Mais le shérif Coleman fume ses derniers avant d'exécuter de ses propres mains son homme de main…
Nous avons une ville de clodos qui vit dans la misère, la pollution et l'oppression, un tyran en fauteuil roulant et un quarteron de notables imbuvables avec Wintermere de la société des mines, Hobson de l'Union Bank et Lerner propriétaire de l'usine principale d'Eureka, mais aussi et peut-être surtout une communauté de travailleurs italiens persécutés par le petit frère du Ku Klux Klan et protégés par de vaillants charbonniers (ou carboneri, comme les patriotes révolutionnaires du XIXe siècle : sûrement un hasard ^^).
Arrivent alors Esprit du Vent et
Poe, le BG bi-classé pistolero et shaman recouvrant une partie de son passé et de son identité avec droit de quota de flashbacks : il était l'adjoint et l'élève du Shérif Coleman avant que celui-ci n'abatte froidement la jeune Maude, le premier amour de sa vie, et c'est à cause de lui que le tyran est en fauteuil roulant… Et ils arrivent dans une pétaudière puisque le shérif Coleman et le juge
Holder désormais à couteaux tirés ont décidé d'en finir une bonne fois pour toutes. On entrecroise de manière savante quêtes de vengeance, games of thrones, lutte des classes, sociétés secrètes, notables mafieux et prolétaires révolutionnaires… Cerise sur le gâteau, le doute est maintenu jusqu'au bout : Esprit du Vent délire-t-il ou possède-t-il vraiment le pouvoir de voir les morts et de communiquer avec eux ? Qui est celle qui met fin à la violence par la violence : Nellie la vivante ou Maude la morte ?…
Pour ne rien gâcher les dessins et le découpage de
Pasquale Frisenda sont de qualité, et sa maîtrise du noir et blanc est impeccable : il n'a rien à envier aux cadors de l'exercice de style. Sous la houlette de
Gianfranco Manfredi, il nous offre un western d'excellente facture, qui réserve son lot de surprises en illustrant la maxime « parfois Dieu a besoin du Diable » !
Je commence et recommande cette excellente saga, et me demande combien d'autres trésors il me reste à découvrir dans l'immense réservoir des fumetti, injustement snobés et bashés et par les intégristes qui continuent de clamer qu'il n'existe de véritable BD que dans l'héritage d'
Hergé…