Voici une superbe invitation à prendre le thé "Chez
Borges", une introduction au génie de l'aphorisme (oserais-je au prodige de la « punch line » ?) de l'aveugle de Buenos Aires : « Dieu m'a donné les livres et la nuit » ; mais aussi une biographie humaniste qui éclaire sur les événements forts de sa vie : amitié avec
Bioy Casares…, parfois cocasses : comment
Borges n'est pas devenu inspecteur de volailles sur les marchés ; et aussi sur les failles du grand homme de lettres, pas vraiment marqué par les idées de gauche...
Mais le vrai tour de force de cet opus : nous offrir, en moins de 100 pages, les clés de sa bibliothèque et l'on comprend comment
Jose Luis Borges plaçait l'acte de lire à la base et au sommet de toute sa création littéraire. La lecture, passion débridée auquel l'homme conventionnel ne mettait aucune limite : « Sa bibliothèque (…) reflétait sa confiance dans le hasard et dans les lois de l'anarchie. » (P.33)
Et pour un lecteur il s'agit donc de cheminer dans les pas du plus grand des lecteurs. Celui qui semble avoir lu tous les grands auteurs (
Shakespeare au firmament) ou du moins ceux qu'ils jugent importants, position très relative lorsque l'on sait qu'il rejetait aussi bien
Jane Austen que
Thomas Mann ou
Gabriel Garcia Marquez de son panthéon littéraire, au profit de…
Rudyard Kipling !
Ces « goûts » et « dégoûts » arbitraires affirment la position commune à tous les amoureux des livres : la liberté totale de leurs choix.
Et cette liberté, elle pourrait bien être ébranlée lorsque page 71,
Alberto Manguel dénonce le racisme de
Borges : "il manifestait à l'occasion un racisme ordinaire..." démontrant "l'infériorité de l'homme noir".
Borges raciste m'empêchera-t-il de lire
Borges ? Il est important de savoir qui écrit lorsqu'on est un lecteur, une lectrice mais surtout un être humain qui a été longtemps considéré, même par des esprits éclairés, comme un objet. Objet d'étude, de curiosité, d'échange, mais pas un sujet et encore moins un égal.
Et c'est peut-être là que le prodige s'opère : la lecture a la faculté de briser tous les sortilèges et permettre à l'esprit d'aujourd'hui de trier et tirer vers la lumière ce qui fait notre oeuvre commune et fait de chaque lecteur un égal, voire un frère humain.