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Critique de Labyrinthiques


Comme le souligne le Matricule des Anges, il faudrait oser réinventer un genre pour qualifier ces nouveaux types d'essais qui allient avec brio l'érudition d'un encyclopédiste (plus de 80 illustrations et gravures ainsi qu'un énorme index agrémentent l'ouvrage) et la subjectivité assumée d'un homme passionné par son sujet ; la clarté et la précision d'un propos esthétique et l'errance d'un « je » dans le labyrinthique dédale de sa bibliothèque. Car A. Manguel, après un opus sur Une histoire de la lecture, nous livre ici autre chose qu'un de ces essais universitaires qui visent à observer de manière froide et scientifique l'objet de son étude. A mi-chemin entre l'essai savant et la rêverie, celle oscillant entre fascination esthétique et tentation mystique, comme le montre l'extrait ci-dessus.

Revenant sur l'expérience de sa propre bibliothèque, une vieille grange qu'il aménagea près de Châtellerault pour ranger ses 30 000 ouvrages, Manguel se penche sur des problématiques concrètes rencontrées : comment classer, comment ranger ? Comment agrandir à l'infini son espace ? Quelle forme pour la bibliothèque idéale ? Partant de sa bibliothèque il en arrive à la bibliothèque universelle, celle d'Alexandrie, de Montaigne, de Borges, des bibliothèques nationales, de la vôtre et de la mienne. Il aborde la bibliothèque sous toutes ses coutures, comme objet historique, depuis les premières bibliothèques sumériennes jusqu'à l'avènement de l'internet; comme objet idéologique qui peut se révéler source de progrès ou d'obscurantisme, comme lieu imaginaire et mystique. le profusion et la pertinence des anecdotes éclairent cet ouvrage qui devient par la force des choses, plus qu'un essai philologique, un véritable conte qu'on prendrait plaisir à écouter au coin du feu, ou sur de moelleux coussins d'une bibliothèque (si si dans la bibliothèque jeunesse, il y en a !)…

On pour­rait repro­cher à l'auteur de ce livre, comme le fait Figo­blog, de débal­ler des “tartes à la crème”, “des aprio­ris et une sacra­li­sa­tion mièvre et naïve de la biblio­thèque et de l'objet livre”, de ne pas se pen­cher assez sur les enjeux de la biblio­thèque numé­rique à venir, et bien d'autres choses encore de cet aca­bit, mais je crois que ce serait mal inter­prété ce livre. La Biblio­thèque, la nuit n'aborde pas la biblio­thèque, et ses pra­tiques atte­nantes, d'un point de vue biblio­thé­co­no­mique, ni même poli­tique ou uni­ver­si­taire. Man­guel tente d'appréhender pour nous la biblio­thèque ima­gi­naire, inté­rieure, certes un peu gal­vau­dée et désuète, mais c'est celle-ci qui, je pense, séduit et fas­cine le lec­teur. On peut déshu­ma­ni­ser nos biblio­thèques, les robo­ti­ser ou les réduire à l'état de binaire, je pense que le lec­teur tou­jours récla­mera d'elle qu'elle garde un côté mys­té­rieux comme un sanc­tuaire sacré, comme un mau­so­lée immense où toutes les connais­sances et créa­tions du monde som­meillent dans leur sar­co­phage, un lieu de désir du livre qui se révèle tout en res­tant voilé dans son rayonnage.

Chi­mère regrette qu'il n'ait pas parlé de la biblio­thèque de Terry Prat­chett gar­dée par un orang-outang, je regrette pour ma part qu'il n'ait pas évoqué Edmond Jabès, dont le livre est une des figures cen­trales de sa poé­sie, ni Roland Barthes pour le rap­port dési­rant du lec­teur au livre, ni de Nah­man de Brat­slav et sa concep­tion mys­tique de la biblio­thèque à trois étagères sur les­quels on trouve trois livres : le Livre “visible”, le Livre brûlé et le Livre caché 1. Mais fina­le­ment cela reflète bien le pro­pos sur la biblio­thèque, car dans un texte, comme sur les rayon­nages, il faut faire des choix arbi­traires et l'essai total n'existe pas plus que la biblio­thèque idéale.

S'il est indé­niable que la meilleure figure pour repré­sen­ter la biblio­thèque est bien le laby­rinthe, le biblio­thé­caire s'incarne en Dédale auquel on aurait, tel Sisyphe, donné la tâche infi­nie de mon­ter des murs qui dis­pa­raî­traient der­rière lui. La lec­ture est la véri­table Ariane de ce laby­rinthe, le cata­logue, aussi com­plet soit-il, ne suf­fit pas à four­nir au lec­teur un fil conduc­teur suf­fi­sam­ment solide et sensé qui puisse le gui­der, car il n'y a qu'un livre pour mener à un autre livre (« Si un roman com­mence par une décou­verte, il doit se ter­mi­ner par une recherche. » Pene­lope FITZGERALD, La Fleur Bleue, op. cité p. 295). le lec­teur ? Thé­sée à la recherche de cet auteur que l'on nomme Mino­taure ?

Voilà, j'ai fini ce livre. Il faut main­te­nant que je le rende à la biblio­thèque, et ça, j'avoue que j'ai tou­jours du mal quand j'ai aimé un livre. Pour me conso­ler je pense aux vers de René Char dans Qu'il vive :

« Dans mon pays, on ne ques­tionne pas un homme ému.
Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque cha­vi­rée.
Bon­jour à peine est inconnu dans mon pays.
On emprunte que ce qui peut se rendre aug­menté. »

Lien : http://www.labyrinthiques.ne..
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