Passagers, votre titre de transport s'il-vous-plaît !Passagers l'embarquement est imminent !Passagers, dites adieu à vos familles, vous n'allez très certainement jamais revenir !Océan Noir - tout est perdu. Commencer un roman qui t'annonce déjà que toute tentative sera vaine, l'Océan est là, noir comme la nuit, sale, sombre, et ne laisse plus rien filtrer. as l'ombre d'une lumière. Pas une croisière de vacances, non, juste un voyage long, lent, suffocant, dur. le pivot de ce voyage : les personnages. tant de noms, tant de visages, qui gravitent, qui évoluent dans cet espace réduit. Mais cet ensemble de voix et de chair est constitué d'individualités, tous ont leurs secrets, leurs motivations, leurs aspirations, leurs blessures. Ces êtres tendus vont se côtoyer pendant un temps indéterminé, coupé de toute civilisation, de toute terre, juste la mer qui file sous leurs pieds. Tant d'hommes complexes et retors soudés dans un même acier, dans un même mouvement. Ces noms islandais qu'on nomme et renomme tout au long du voyage, au détour des ponts, des cabines. On s'attend, on chuchote, on s'engueule. Sur ce bateau, tout est décuplé. Enfermé dans un même bateau, tout est multiplié, décuplé. Une mutinerie se prépare, un intrus s'est glissé parmi les passagers, bref, tout commence mal, et ce n'est que le début du voyage sur l'Océan Noir. Huis-clos au cadre écoeurant. Acier, eau croupie, tranchant, rouille, fer, autant de matériaux de l'enfer, tout devient hostile, même l'inanimé. L'épave flottante sur l'océan noir a des allures de bateau fantôme. Voilà les principaux pivots du roman de
Stefan Mani. Un roman qui a la force de ralentir, qui ose prendre son temps, ne pas aller plus vite que le bateau lui-même, suivre les flots, même si ça peut durer des heures. Les débuts sont longs, difficiles, on répugne à entrer dans un bateau si crasseux, si terrible. L'escale fait respirer. Puis ça repart, et enfin ça démarre réellement, ça se débloque, ça explose ... L'impression de ne jamais sortir de ce bordel, de revivre les mêmes choses, au travers des différents personnages. Chacun pris à part, chacun qui donne l'occasion de voir et de sentir ce qui se passe. le lecteur revêt mille masques. Mais voilà, l'épave fini par sombrer dans l'oubli. Un Titanic couvert de mousse dont la fin achève la lente noyade, la lente destruction. L'intrigue ne supporte pas l'écriture. Cette dernière est trop forte pour être construite sur une épave branlante, pour tenir sur des pilotis. Quel aurait été mon bonheur, de frémir dans cette atmosphère étouffante, d'angoisser à l'idée de connaître la suite. Ici, on reste vraiment dans le roman noir trouble, troublé par le reflet de l'eau. L'écriture tente de faire flotter le tout, mais le livre reste inlassablement au fond de l'océan, sans remonter. Ces multiples visages jouent une tragédie fade, trop réaliste pour injecter l'adrénaline du lecteur de policier. Une telle écriture avec une intrigue ultra-complexe et raffinée à la façon Christie aurait été juste le roman idéal, le roman-monde noir. Cela aurait été le côté sombre d'un Ulysse joycien, alliant classique et modernité, génie passé et écriture tranchante contemporaine. Mais écrire un tel livre aurait signé la mort du policier, puisque plus rien n'aurait pu être écrit après. Alors, heureusement qu'il n'a pas été écrit. Heureusement, mais tellement dommage quand même. L'Océan est profond, et cache de si nombreuses choses. L'océan ne peut juste être noir, l'océan est noir et ... tout. Il faut que l'eau soit gelée et extrêmement salée. Un premier roman prometteur, indéniablement, mais l'aboutissement émergera peut-être dans les prochains écrits.
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