Ayant adoré Autopsie de la même autrice, j'attendais beaucoup de ce roman qui m'a hélas déçue. Alors qu'il me semble qu'un auteur progresse d'un livre à l'autre, j'ai eu ici l'impression d'une régression : les personnages manquent de profondeur et parfois de cohérence ; cette Italie gothique qu'on m'a promise se limite à l'évocation de recettes traditionnelles et à quelques mots en italien non traduits pour, j'imagine, apporter un peu authenticité ; les émotions sont absentes en raison d'une plume qui a perdu tout panache… C'est simple, je n'ai pas eu l'impression de lire un roman de
Kerri Maniscalo !
D'ailleurs, si vous avez découvert l'autrice à travers ce roman et que vous en ressortez déçus, je vous invite vraiment à lui redonner sa chance avec Autopsie qui est d'un tout autre niveau. Je ne peux néanmoins pas dire que j'ai détesté me plonger dans le royaume des damnés, qui reste sympathique à lire malgré ses notables et manifestes défauts. Nous y découvrons deux jumelles et sorcières, Emilia et Vittoria, qui ont été élevées au son des recommandations, histoires, incantations et rituels de leur grand-mère. Tout autant de choses qu'elles ont toujours considérées d'un oeil extérieur et quelque peu sceptique… jusqu'à ce que l'une des deux jumelles meure et que son cadavre soit profané. Sa jumelle n'a alors plus d'autre idée en tête que de retrouver le coupable et le faire payer, quitte à invoquer un démon !
Mais comme Emilia a la capacité de réflexion d'une enfant en plein caprice, elle ne prend aucune précaution et ne se renseigne pas un minimum sur les dangers de ce qu'elle s'apprête à faire… Raison pour laquelle elle se retrouve avec l'un des sept démons de l'enfer sur les bras ! Avec son sens des priorités inégalé, elle pensera heureusement à lui offrir une chemise (mais moche, il ne faut pas exagérer) pour cacher ce beau, fort et musclé torse qu'elle ne saurait voir. C'est vrai quoi, ce n'est parce qu'elle a vu le cadavre de sa soeur privé de son coeur, façon opération Jack l'Eventreur, qu'elle n'a pas le droit d'être un peu pudique. Ce genre de comportement complètement à côté de la plaque, ainsi que les focus sur les torses et vêtements décrédibilisent le travail d'ensemble de l'autrice, et rend un certain nombre de scènes aberrantes, voire ridicules.
Personnellement, une héroïne avec un tel sens des priorités et un tel manque de réflexion, je finis presque par avoir envie qu'il lui arrive des malheurs pour lui mettre du plomb dans la tête ! J'aurais pu pardonner ses errances et cette tendance enfant capricieuse toujours en colère, et même pas contre la bonne personne, si j'avais senti que ses actions étaient guidées par sa peine. Mais que nenni ! L'écriture est tellement superficielle et sans chaleur que je n'ai pas ressenti sa douleur face à la mort de sa soeur jumelle. Vous aurez donc compris que je n'ai pas accroché à l'héroïne. Je n'ai pas non plus été convaincue par le personnage de Colère qui manque d'envergure et qui, beaucoup moins pardonnable, n'a rien du démon qu'on nous vend. Il a été dérangé sans avoir rien demandé, il est houspillé sans arrêt par une écervelée, mais il ne sort jamais les griffes et la sauve même de son impétuosité, pour ne pas dire de sa bêtise. Il a donc une patience d'ange, ce qui est un peu dommage quand on est censé être face à un impétueux démon…
Je reconnais toutefois que j'ai apprécié l'évolution de la relation entre Colère et Emilia, et les quelques échanges piquants qui apportent ce mordant faisant défaut aux personnages. Question personnage, j'avoue également avoir eu du mal à comprendre la grand-mère et son culte du secret, tout comme la manière dont Emilia et Vittoria, supposées très proches, n'ont jamais partagé sur ce qui était important. Elles en paieront toutes les deux le prix, même si je suis quasi certaine d'avoir déjà compris la révélation du deuxième ou dernier tome, comme j'avais anticipé dès le début l'un des retournements de situation. L'autrice joue sur les clichés des romans YA mais elle ne le fait pas avec cette intelligence et cette subtilité qui auraient permis de passer outre. Pour un public adolescent ou plus âgé qui découvre la romantasy, c'est-à-dire un mélange de romance et de fantasy, le roman pourrait néanmoins quand même plaire…
Pour ma part, en faisant abstraction des défauts relevés, j'ai apprécié le mystère entourant une dette de sang et une malédiction, mais aussi le meurtre de Vittoria qui va conduire Emilia a quitté le cadre rassurant du restaurant familial pour retrouver l'assassin. Une mission difficile qui lui fera prendre conscience des dangers dont sa grand-mère lui a si souvent parlé, et qui la conduira à faire différentes rencontres, aucune particulièrement sympathique. Bien que cela reste superficiel, l'autrice nous offre ainsi une petite incursion du côté des péchés capitaux, à travers des démons perfides qui vont, chacun à leur manière, utiliser leur pouvoir pour manipuler Emilia. Ceux-ci éveilleront en elle certaines choses comme des sentiments enfouis et brutaux et une certaine méfiance envers son seul allié. Un allié sur lequel plane un doute quant à son degré de sincérité et ses motivations derrière ses agissements. C'est classique mais ça fonctionne bien.
D'ailleurs et c'est là tout le paradoxe, à aucun moment, je n'ai été passionnée par l'intrigue, mais j'ai tourné bien sagement les pages, me laissant bercer par cette atmosphère sombre, où se joue dans le secret de la nuit une lutte entre les sorcières et des forces diaboliques, mais aussi une lutte entre les sorcières et les humains. Raison pour laquelle les sorcières comme Emilia cachent leur véritable nature… Cet aspect chasse aux sorcières n'est pas développé en profondeur, mais il m'a plu et ajoute à cette aura de danger qui plane au-dessus de la tête de notre héroïne. En cherchant à retrouver l'assassin de sa soeur et à la venger, ne risque-t-elle pas d'éveiller autant l'attention des démons que des humains. Des humains que l'on peut considérer comme des démons sans pouvoir magique mais avec un gros pouvoir de nuisance ? de la même manière, j'ai apprécié de découvrir, petit à petit, les véritables enjeux du roman et la manière dont l'enquête d'Emilia lui permet petit à petit de se réapproprier sa propre histoire familiale et des secrets qu'il aurait été préférable d'avoir percés avant que le pire n'arrive…
En conclusion, je lis beaucoup de YA mais il y a des livres qui se démarquent par la profondeur de leur scénario et la psychologie de leurs personnages, le royaume des damnés n'en fait pas partie. La plume de
Kerri Maniscalo ne se révèle pas, en effet, à la hauteur de l'univers sombre et mystérieux dans lequel l'autrice tente de nous plonger avec plus ou moins de force, le manque de cohérence et de jugeote de l'héroïne cassant régulièrement tout effet dramatique. Néanmoins, si vous arrivez à faire l'impasse sur ses défauts, les enjeux du roman permettent de lui apporter une certaine complexité, d'autant que l'enquête d'Emilia sur la mort de sa soeur jumelle contient sa part de révélations et de moments de tension. Un premier tome qui manque de consistance mais qui contient une base assez solide pour espérer une suite plus mature et convaincante…
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