Décidément, Mankell et les pieds, ça tourne à l'obsession ! (Je ne juge personne, chacun ses fétichismes ! ☺)
Après nous avoir narré sa passion pour les fameuses "Chaussures italiennes", voilà que Fredrik Welin, son personnage de médecin retraité et vaguement misanthrope, nous revient cette fois pourvu de "Bottes Suédoises" ! (Il n'y aura hélas pas de "Sabots Néérlandais" ni de "Tongs Brésiliennes" en guise de troisième opus, puisque le regretté
Henning Mankell nous a quitté en 2015, quelques mois tout juste avant la parution de ce second volet...)
Sur son île perdue au fin fond d'un archipel suédois, Fredrik a vieilli depuis le premier tome, mais on le reconnaît sans mal.
Toujours le même caractère "grincheux-mélancolique", toujours la même âme solitaire et chagrine, hantée par les mêmes démons (à la suite terrible méprise, il a amputé une patiente qui ne devait pas l'être : cette erreur chirurgicale lui a coûté sa carrière). Et toujours, enfin, le même ton désabusé, les mêmes difficultés pour communiquer avec sa fille et les mêmes habitudes de vieux bonhomme avide d'espace, de vents marins, de silence et de bains matinaux dans l'eau glacée de la Baltique.
Quand sa maison et tous ses biens sont mystérieusement incendiés en pleine nuit, c'est le début pour notre narrateur d'une longue période de troubles et de déboires de plus en plus fâcheux. Longtemps il est suspecté d'être lui-même à l'origine du sinistre, et les liens déjà ténus qu'il entretient tant bien que mal avec le voisinage - limité sous ces latitudes à une petite communauté assez peu avenante et repliée sur elle-même - se dégradent encore.
Alors Fredrik est contraint de mener ses propres investigations, assisté de loin par
Jansson (l'ancien facteur de l'archipel toujours prompt à se mêler de ce qui ne le regarde pas) et d'un peu plus près par la séduisante Lisa Modin, une journaliste beaucoup plus jeune que lui dont il s'éprend peu à peu, et avec qui il entretient une relation aussi ambiguë qu'émouvante.
C'est à mon sens ce duo qui fait toute la force du roman, et qui interroge sur les liens d'affection, de complicité (et plus si affinité) qui parfois se tissent à travers les générations, entre des êtres que tout semble opposer hormis leurs solitudes.
Qu'on se s'y trompe pas, sous ses allures d'enquête policière visant à démasquer l'incendiaire, "
Les Bottes Suédoises" nous raconte avant tout l'histoire d'un homme vieillissant, alternativement abattu et combatif, affaibli par les ans et les épreuves mais résolu à mener à bien son dernier combat. Voyant partir en fumée les biens de toute une vie, il dresse un bilan lucide et amer des erreurs du passé, renoue contact avec sa fille et cherche un sens à donner au temps compté qui lui reste.
Henning Mankell livre donc là un texte subtil et poignant, émaillé de belles descriptions marines et de jolies réflexions sur la vie qui s'enfuit, laissant dans son sillage son lot de joies et de peines, remous indistincts de regrets et de souvenirs heureux. Quand on sait qu'en écrivant ce roman, l'auteur luttait contre déjà contre le cancer qui n'allait pas tarder à l'emporter, on ne peut qu'être ému davantage par le personnage bourru mais attachant qu'il nous lègue, et par ses derniers mots, au terme de l'aventure :
« L'automne serait bientôt là. Mais l'obscurité ne me faisait plus peur. »