« Les
Considérations d'un apolitique » traduit par
Louise Servicen et
Jeanne Naujac (2002, Grasset, 480 p.), ou le journal de
Thomas Mann (1875-1955) pendant la Première Guerre mondiale. le texte est publié au début d'octobre 1918. Il marque, de toutes évidences la fin d'une époque. Il convient de le lire plus ou moins en parallèle avec «
La Montagne magique », publié en 1924. Ce roman brosse le tableau d'une société allemande, non pas à la veille de la Première Guerre mondiale, mais à la fin de l'époque des Empires Centraux. « L'homme ne vit pas seulement sa vie personnelle comme individu, mais consciemment ou inconsciemment il participe aussi à celle de son époque et de ses contemporains ». C'est un éclairage différent de la notion du temps, de durée, sur la mort, la culture. Eclairage sur les mentalités qui allaient affronter le carnage de la guerre. Pour des raisons de sécurité, toute la famille Mann s'exilera en Californie en 1933.
«
La Montagne Magique » traduit de « der Zauberberg » par
Maurice Betz (1977, Fayard, 775 p.) est écrit entre 1912 et 1923, puis publié en 1924, avec une nouvelle traduction en français par
Claire de Oliveira (2016, Fayard, 782 p.).il se passe à Davos en Suisse, après un séjour de Katia, la femme de
Thomas Mann, au sanatorium de Davos, en 1911. C'est l'une des
oeuvres les plus influentes de la littérature allemande du XXeme siècle.
Auparavant,
Thomas Mann s'engageait alors pour la première fois dans le combat idéologique pour exalter des valeurs qui lui paraissaient menacées. Dans « Les
Considérations d'un apolitique » il défend une « certaine idée de l'Allemagne » qui lui tenait fortement à coeur. Il affirme qu'il existe une opposition irréductible entre la culture telle qu'il l'entend et la « civilisation » de ses adversaires. Ce pamphlet antidémocratique se transforme parfois en une défense très contestable du nationalisme allemand. C'est également un livre qui prête à la contestation, un document capital sur une crise de civilisation. Heureusement, il passera ensuite d'un soutien aveugle à l'Allemagne belliciste dans son combat de la Culture contre les tenants de la civilisation (Anglais et Français), à un engagement en faveur de la démocratie et d'une forme de socialisme humaniste devant la montée du péril nazi.
Cette oeuvre est une véritable photographie d'une société décadente et ses malades, telle qu'elle se présentait en Europe occidentale et centrale. La fameuse Mitteleuropa qui regroupe essentiellement l'empire allemand et l'empire austro-hongrois. le premier, le « Deutsches Reich », créé par
Otto von Bismarck en 1871, est dominé par dominé par le royaume de Prusse et la maison de Hohenzollern. le second est en une double monarchie appelée « Autriche-Hongrie » sous la coupe de François-Joseph Ier et la famille des Habsbourg. Tout s'achève en 1918, avec la défaite à la fin de la Première Guerre Mondiale.
Selon
Thomas Mann, la Grande Guerre est un véritable cataclysme, le « tournant catastrophique » de l'époque. Ce qui n'est pas faux, tant du point de vue sociétal, politique ou économique.
Partant de ses observations,
Thomas Mann dresse un portrait apocalyptique de l'esprit allemand. Il prévient ses concitoyens d'une catastrophe nationale imminente. Ceci dit, ses observations sont surtout celles qu'il fait lors du séjour de sa femme Katia, au sanatorium Berghof de Davos, pour soigner un début de tuberculose. C'est une société européenne, essentiellement mâle, aisée, et a priori déconnectée du monde, si ce n'est par les journaux et courrier, mais sans relation directe avec la vie ordinaire.
Il dénonce la « dégermanisation », la mise au ban de la germanité par les tentatives anglaise et française de politisation de l'esprit allemand. Ce qui n'est pas bien. Mais ce serait dû au progrès démocratique, modèle politique et social des Alliés et apogée de la politique, avec pour conséquence la perte de l'essence germanique. Donc, selon
Thomas Mann, la germanité est une perception d'une fin apocalyptique plutôt que d'une révélation.
Selon lui, il existe une opposition irréductible entre la culture telle qu'il l'entend et la « civilisation » des continentaux. La culture s'occupe de l'âme, elle est propre à un pays et s'adresse à l'individu. Alors que les Allemands sont les détenteurs de l'esprit authentique, leurs adversaires, la Grande-Bretagne et particulièrement la France, incarnent l'esprit politique. Tout part de la Révolution Française qui génère le terme « politique » affirment que « la démocratie équivaut au règne de la politique ». Par opposition, la civilisation est soucieuse de progrès matériel et technique. Elle est donc internationale et ne s'intéresse qu'aux masses.
Cette défense très contestable du nationalisme allemand, contient aussi un éloge de l'ironie. Cela se manifeste par des remarques impressionnantes sur des philosophes comme
Schopenhauer et
Nietzsche, ou des musiciens comme Wagner, quoiqu'il existe des références constantes à
Goethe.
C‘est évidemment un texte fort, sur lequel Mann reviendra avec la montée des idées du nazisme et la guerre, la Seconde.il faut y voir plutôt un prolongement après la défaite allemande de novembre 1918, avec une seule idée, celle de la revanche. Idée que
Thomas Mann n'adopta jamais. Il est guidé aussi par son épouse Katia Pringsheim, issue de la bourgeoisie juive, immédiatement méfiante à l'égard de l'idéologie nazie.
La suite marquera un changement profond de toute la famille Mann devant la montée de Hitler et de son pangermanisme.