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Critique de Sarindar


Thomas Mann, lorsqu'il entreprit d'écrire sa Tétralogie romanesque non pas wagnérienne mais biblique centrée sur l'histoire de Joseph et ses frères, était l'un des écrivains allemands les plus reconnus après la publication de ses grands romans : Les Buddenbrook et La Montagne magique. Il s'intéressait ainsi aux racines juives de la spiritualité occidentale pour bien montrer que si un livre ne pouvait pas être brûlé dans l'un des autodafés voulus et organisés par les criminels nazis, c'était bien le Livre par excellence, la Bible judaïque, la Torah, le Pentateuque. Il faut dire que cette réaction de Thomas Mann, Prix Nobel de Littérature, s'expliquait aussi en raison de sa vie intime : il était l'époux de Katia Pringsheim, qui était d'origine juive. La monstruosité hitlérienne força le grand écrivain allemand, né à Lubeck et vivant à Munich, à quitter sa patrie et a s'exiler en Tchécoslovaquie, en France, en Suisse, aux États-Unis, puis de nouveau en Suisse, et à laisser derrière lui une bibliothèque patiemment constituée au cours des décennies qui précédèrent l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir (rappelons que Thomas Mann était né en 1875).
Le long prologue du premier volume de Joseph et ses frères plante le décor tout en nous familiarisant avec la pensée monothéiste en rivalité avec les croyances polythéistes au Moyen-Orient, tout cela revu et corrigé après les relectures "mosaïques", "davidiques" et deuteronomistes du mythique récit des origines. Thomas Mann entame logiquement sa fresque par les "Histoires de Jacob", le berger, ses compagnes, Léa et Rachel, la fondation tout à fait légendaire des Douze tribus (d' Israël alors qu' Israël et Judas seront en réalité des États fondés bien plus tard), et parmi les fils nés de cette union, il y a les "enfants de l'amour", ceux de Rachel, Joseph le Songeur et bel éphebe, et Benjamin, le petit protégé, que Rachel met au monde en y laissant la vie. C'est sur Joseph du coup que Jacob focalisera son attention et ses sentiments, et cet enfant s'attirera finalement la jalousie des enfants de Léa.
Bien sûr, Thomas Mann ne manque pas d'évoquer les épisodes les plus connus : rappel de ce que fut la vie des grands ancêtres, Abraham le "Croyant" et Isaac le "sacrifié épargné", le fameux "songe" de Jacob, avec l'échelle dressée vers le ciel, tout un symbole, auquel on devrait opposer l'attrait de Joseph pour la nuit, la Lune et les profondeurs, les forces "chtoniennes", une vie au bord du gouffre. Joseph sera d'ailleurs précipité au fond d'un puits par les fils de Léa et réputé pour mort, version officielle donnée à Jacob, qui éprouva une immense douleur.
Ici c'est le thème du subterfuge et du mensonge, celui de la comédie et du faux-semblant qui est magistralement exploité par Thomas Mann : le mensonge des fils renvoie aux rêves en songe-creux de Joseph et surtout à l'utilisation d'un artifice utilisé par Jacob lui-même pour abuser son père Isaac, non-voyant, et lui arracher sa bénédiction et se faire reconnaître par lui comme héritier.
Thomas Mann a su remodeler la matière biblique pour en tirer des leçons universelles et une interprétation par les rêves et les ambitions des hommes.
Comme on le lit dans la Bible, "les pères ont mangé des raisins verts et les dents des fils en ont été agacées" (lecture transgénarotionnelle).
Une histoire de famille : la famille humaine.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu, 2010.
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