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Critique de Kirzy


J'aime quand les polars s'immiscent dans les angles morts de notre histoire pour en révéler la moindre faille, qui grattent là où ça fait mal, implacablement, percutent et décillent, qui soulèvent les consciences tout en éclairant les dysfonctionnements de la société actuelle. Marseille 73 est de cette classe-là.

La guerre d'Algérie ne s'est pas arrêtée avec les accords d'Evian de 1962, elle s'est poursuivie à Marseille et alentours avec comme point culminant l'été 1973 qui a été émaillé de crimes racistes ciblés : onze morts, une vingtaine de blessés, tous algériens jusqu'à l'attentat de décembre visant le consulat d'Algérie. On leur tire à vue, on leur fracasse la tête, mais les enquêtes sont bâclées et étouffées, presque toutes classées sans suite.

Cette réalité historique terrible – qui, pour ma part, m'était totalement inconnue - Dominique Manotti a choisi de la faire découvrir de façon méthodique en immergeant totalement le lecteur dans un marigot phocéen en déployant tous les acteurs possibles : le SRPJ ( Service régional de police judiciaire ) du commissaire Daquin qui est celui qui cherche la vérité ; la Police urbaine minée par la corruption et le racisme ; l'UFRA ( Union des Français repliés d'Algérie ) aux relents d'OAS ; les syndicalistes du Mouvement des travailleurs arabes qui utilisent la grève pour dire leur colère face aux assassinats racistes ; les représentants de la justice ; les journalistes. Je me suis souvent perdue dans le foisonnement de personnages, mais l'auteure a eu la bonne idée de proposer un récapitulatif type «  qui est qui » qui m'a beaucoup servi.

Et ça pue dans ce polar bien noir, ces ratonnades oubliées soulèvent autant l'indignation que les collusions entre la police, la justice et les mouvements racistes qui regrettent le temps de la colonisation et de l'Algérie française. L'écriture sèche, sans fioritures, presque froide de l'auteure présente les faits de façon très claire, sans exagération, sans manichéisme pour permettre à la réflexion du lecteur de s'épanouir.

Faut dire que les en-têtes de chaque chapitre amplifie l'effet de réel, reproduisant des extraits de journaux ou magazines de l'époque, surtout le Quotidien de Marseille, suivant la chronologie jour après jour du récit. C'est tout simplement stupéfiant de lire que le Paris Match du 14 septembre 1973 titré «  les Bicots sont-ils dangereux ? » ou le Nouvel Observateur du même jour poser la question «  Peut-on vivre avec les Arabes » ? ».

Le roman distribue les gifles à tout va, tendu sur une crête incisive. Mais de cette flambée de violences, surnage une magnifique figure, celle du père d'un des jeunes algériens assassinés, Malek Khider. C'est par lui que l'émotion profonde arrive, ce qui fait du bien après toute la colère engendrée par les pages précédentes. Lui, le fellah pauvre de l'Oranais qui s'est enrôlé durant la Deuxième guerre mondiale aux côtés des Alliés pour fuir la misère , puis a migré définitivement à Marseille, trois garçons à élever après la mort «  d'exil » de son épouse. Dominique Manotti lui donne une dignité incroyable lorsqu'il arrive bardé de ses médailles de guerre face à un juge qui a collaboré, lui , empli de confiance car il sait qu'il va gagner et qu'on va retrouver l'assassin de son fils : «  la statue du Commandeur drapée dans les plus de l'histoire de France ».

Un excellent polar, très affuté et ostensiblement militant qui déplace avec intelligence le terrain de la critique politico-sociale vers le champ littéraire. Percutant.
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