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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Concept économique, le paradoxe d'Anderson se définit par le constat qu'aujourd'hui l'acquisition de diplômes supérieurs à ceux de ses parents n'assure pas nécessairement une position sociale plus élevée. Un principe inique que décortique Pascal Manoukian dans ce roman sensible et envoûtant.

La nouvelle tombe un soir d'automne, le poste qu'occupe Aline dans son usine de textile va être délocalisé. Contremaître de toutes nouvelles machines qui faisaient sa fierté, celles-ci vont être envoyées « en Afrique ou peut-être en Asie, là où s'envolent les machines des usines de la région, laissant les hangars vides de bruit et les ouvriers les mains pleines de gestes qui ne servent plus à rien. »
Comme si une mauvaise nouvelle ne suffisait pas, Christophe Boîtier, son mari, contremaître chez Univerre, une manufacture de bouteilles, verra son usine fermée. Délocalisée.

Aline ne fabriquera plus de chaussettes. Elle devra se contenter d'accrocher celles qu'il lui reste sur les branches de l'arbre de Saint Gilles, figure tutélaire païenne de la région, mâtinée de christianisme.
Éloigner le mauvais sort, à commencer par repousser la visite de l'huissier, maître Gaston, qui, elle le sait, finira par frapper à sa porte, lorsqu'elle n'aura plus assez d'air pour respirer, plus assez d'argent pour payer ses traites qui l'enchaînent et qu'elle n'a plus les moyens d'honorer : « la voiture, la maison et cette connerie de revolving pour leur semaine aux Baléares ».
Elle était prête à faire des concessions pour conserver son travail, mais c'est sans compromis qu'on lui sommera d'aller pointer chez Pôle Emploi. Avec son salaire de 1489€ brut, elle peut espérer 900€ net d'indemnités au chômage, « 250 euros en moins, dix ans d'augmentation du SMIC rayés d'un trait ».

Les comptes vont devenir de plus en plus rouges et les soleils de plus en plus noirs pour cette famille qui vit au Nord de l'Oise, avec leurs enfants Mathis, le petit dernier atteint d'une maladie orpheline, et la grande, Léa, qui passe son bac cette année.

Candidate au bac ES, Léa observe à travers les concepts qu'elle étudie en Sciences Économiques et Sociales les soubresauts d'un monde qui change : « paradoxe d'Anderson », « déclassement social », « destruction créatrice », avec sa « casse marginale », qui est une marge d'erreur entre nouveaux emplois créés et emplois détruits. Elle se demande de quoi sera fait son avenir, sans se douter que ses parents en sont victimes. Ils ont décidé de tout cacher à leurs enfants, afin de les protéger. Insouciante, entre la chaleur réconfortante du foyer et celle des premiers émois, elle rêve de lendemains meilleurs, sociaux, écologiques et responsables, dans un monde qui n'existe pas, ailleurs. « Je rêvais d'un autre monde » comme le chantait Téléphone, et comme le danse toujours sa mère, entretenant le désir de son père.
Comme La Fontaine, dans sa fable « Les animaux malades de la Peste » : « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés / Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Les puissants dominent et peuvent vous écraser. Dans le souvenir de la véhémence communiste de son grand-père, Aline ne s'en laisse pas compter. Elle inculque à sa fille le passé glorieux des luttes ouvrières, tandis que les collègues se réveillent et résistent : « on n'est pas du bon côté du manche. C'est pour ça qu'il faut s'emparer des outils. » Et si certains sont soumis à l'ISF, c'est en tant qu'Intérimaire Sans Fin. « Les huissiers, les banquiers, les sociétés de recouvrement, les impôts, EDF » n'y suffiront pas : « submergés, noyés comme des taupes au fond de leur galerie », mais « serrés l'un contre l'autre ». C'est ensemble que l'espoir reviendra. Et même si à eux seuls, ils ne pourront changer le monde, ils essaieront au moins d' « en arrondir les angles afin qu'il ne blesse plus personne ».

Colérique, poétique et avant tout sensible, Pascal Manoukian nous livre ici un texte émouvant et envoûtant. Journaliste, réalisateur, photographe et écrivain, l'auteur des Échoués ou de Ce que tient ta main droite t'appartient, nous offre à nouveau un texte bouleversant et lucide sur les laissés-pour-compte et les ressorts de notre société. Actuel, on ne peut plus actuel... indispensable !

Retrouvez cette chronique sur le conseil des libraires Fnac :

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Le paradoxe d'Anderson est le fait que, malgré un niveau de diplôme supérieur à celui de leurs parents, les enfants ne parviennent pas à atteindre un statut social plus élevé que le leur. Il est au programme de terminale ES et Léa ne se doute pas encore de sa réalité.
Magnifique roman sur la condition ouvrière que le paradoxe d'Anderson, de Pascal Manoukian qui m'a parfois fait songer à Gérard Mordillat. Une famille : la famille Boitier, la mère, Aline, travaille chez Wooly, une usine textile, le père, Christophe, bosse chez Univerre, une manufacture de bouteilles. Ils ont deux enfants : Léa, 17 ans, qui prépare un bac ES et Mathis, 6 ans, fragile, sujet à des convulsions. Ce sont « leurs sources de lumière ». Ils vivent à Essaimcourt, au nord de l'Oise, dans un petit pavillon. Pour eux, c'est presque le bonheur et ils peuvent même faire quelques projets. Hélas, cela ne va pas durer.
Wooly décide de délocaliser et Aline va être licenciée. Elle décide de n'en rien dire aux enfants, surtout pour protéger sa fille qui doit absolument réussir son bac pour avoir un bel avenir.
Mais le drame ne va pas s'arrêter là… et c'est une véritable tragédie que va vivre cette famille. C'est ce que vivent les ouvriers qui perdent leur emploi du jour au lendemain, suite aux délocalisations, se retrouvant au chômage, endettés par des crédits à rembourser, broyés et acculés au désespoir que décrit si bien cet ouvrage.
Ce roman bouleversant sur les laissés pour compte est rythmé par les mois de l'année. Il débute en août, avec la fin des vacances scolaires, pour se terminer en mai de l'année suivante. Un personnage haut en couleur qui, bien que mort, est présent tout au long de ce livre. C'est Léon, dit Staline, communiste véhément, arrière-grand-père maternel de Léa.
De plus, le Jeu des 1000 euros de France Inter auquel, justement, a participé Léon d'une manière inoubliable, clôturera ce roman en juxtaposant les questions du jeu avec les réponses entrecroisant Léa et Paul, son petit ami, avec les événements qui se passent à l'extérieur.
Pascal Manoukian nous tient en haleine d'une façon extrêmement puissante avec ce procédé. Ce livre d'un auteur que je découvrais, a été pour moi un véritable coup de coeur. Captivant du début à la fin, ce livre dur mais combien réaliste et bouleversant m'a pris aux tripes et je l'ai lu d'une traite.
C'est dans la vie avec toute sa fougue, toutes ses péripéties, toute sa noirceur mais aussi tout son burlesque que Pascal Manoukian nous entraîne jusqu'à nous faire perdre pied.

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Voilà un livre qu'il faut lire pour tenter de comprendre tous les drames qui se produisent un peu partout en France depuis tant d'années avec ces délocalisations, ces fermetures d'usines qui marchaient bien, dont les carnets de commandes étaient fournis, entreprises souvent vendues à l'étranger et dont la fermeture cause d'impressionnants dégâts humains.
Gérard Mordillat a déjà bien montré le mécanisme de tels massacres, notamment dans Rouge dans la brume, François Bégaudeau l'a fait aussi récemment dans En guerre et, portant le même titre, le film de Stéphane Brizé avec un Vincent Lindon impressionnant, ont tenté d'éveiller nos consciences, comme d'autres que j'oublie sûrement.
Pascal Manoukian ajoute sa pierre à l'édifice, à sa manière avec le paradoxe d'Anderson, ce paradoxe mis en valeur par un économiste américain qui a démontré que des enfants ayant un diplôme supérieur à ceux de leurs parents, n'atteignent pas forcément une position sociale plus élevée. D'ailleurs, Léa, la fille d'Aline et Christophe, travaille cette notion pour préparer le bac ES.
Tout va bien pour cette petite famille même si Mathis, le petit frère de Léa, inquiète avec une maladie difficile à soigner. Aline est ouvrière tricoteuse devenue responsable d'équipe chez Wooly, et Christophe réussit bien dans l'usine Univerre où les fours tournent à plein pour produire beaucoup de bouteilles.
Un jeu radiophonique célèbre intervient, Jeu des 1 000 francs, en 1973, à l'époque du grand-père de Léa, Léon, surnommé Staline pour ses opinions politiques tranchées. Lui succèdera le Jeu des 1 000 euros pour la scène finale extraordinaire.
Coup sur coup, Aline et Christophe se retrouvent au chômage, se battent avec leurs collègues de misère mais je n'en dis pas plus pour laisser au lecteur la découverte de l'engrenage infernal avec coups de théâtre et scènes magnifiques. Pascal Manoukian que je découvre avec ce roman, se révèle un auteur qui sait parler de notre époque, annonçant finalement toutes ces semaines de luttes et de manifestations que nous connaissons.

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Un roman social qui parle des ouvriers, du déclassement social et des fractures sociales qui s'étendent...partout ! Une chronique sociale dans l'air du temps, me direz-vous ...
mais ce roman a une résonance plus large lorsqu'on prend connaissance des 1ères lignes dédicatoires de l'écrivain, en exergue:

" A mon père, ouvrier gaulliste,
à ses années chez Renault.

A ma mère, ouvrière à 13 ans.

Aux communistes,
qui m'ont fait découvrir les vacances. "

Cette dédicace nous exprime à quel point l'auteur est bien immergé et familier de son sujet...issu lui-même du monde ouvrier...ayant construit ses valeurs, et les fondements de sa vie sur le monde ouvrier où les êtres les plus chers de son milieu familial.., ses parents , ont évolué toute leur existence...

Je connaissais de nom , le photographe, le journaliste et le réalisateur...mais
jusqu'à ce jour, je n'avais jamais eu l'occasion de lire ses écrits...
Lacune à demi réparée et j'en suis très heureuse, car j'ai apprécié grandement la sensibilité et l'oeil acéré de l'auteur sur notre monde, en bouleversement complet et faillites humaines diverses !!..

Je débute cette fiche de lecture en donnant la signification du titre choisi,
qui à lui seul, suggère les thématiques abordées...:

"Le paradoxe d'Anderson est un paradoxe empirique selon lequel l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas, nécessairement, une position sociale plus élevée."

Dans le Nord de l'Oise... les paysans ont été remplacés par les ouvriers...
Nous sommes dans une famille unie, où les parents, Christophe et Aline, la quarantaine,(issu tous les deux du milieu paysan) travaille chacun dans une usine: le père dans une manufacture de bouteilles,la mère, dans le textile...


Deux enfants, Mathis, le cadet, qui a besoin de toutes les vigilances, ayant une sorte de maladie orpheline, Léa, qui prépare un bac "économique et social"...les parents travaillent beaucoup... sont très soudés et veulent le mieux pour leurs enfants...

Et puis deux cataclysmes surviennent quasiment simultanément: les deux usines de la région licencient...et c'est le drame absolu de ces travailleurs qui ont donné des années au monde de l'usine, contre des salaires minimum...en bataillant en permanence avec les crédits...

Dans leurs luttes, ces parents ont régulièrement à l'esprit un grand-père
modèle de rebellion et de courage, surnommé "Staline", qui se battait
envers et contre tout, contre les injustices immenses faites déjà aux
plus modestes !!...

Christophe et Aline déploient des trésors d'imagination pour protéger leurs
enfants , surtout Léa, qui révise son bac , se trouvant au seuil de sa vie
d'adulte et professionnelle.... Aline l'aide , trouve la pilule amère, en
parcourant les cours d'économie de sa fille... entre les mots et la réalité
sur le terrain, il y a un monde.... impitoyable, entre le travail des ouvriers,
de moins en moins considéré [ et le travail manuel, tout court]...

Les profits qui vont aux mêmes,le capitalisme triomphant qui broie désormais sans vergogne "les classes laborieuses" !!...Les inégalités sociales qui se démultiplient, et se propagent comme une véritable épidémie !!!

les délocalisations, la mondialisation, la course au profit...la crise économique où le travail n'est plus acquis, même en se qualifiant, en poursuivant des études...

Depuis des années , déjà, une période charnière où les anciennes valeurs basculent... et où le monde nouveau émergeant reste précaire, anxiogène...où "Plus rien n'est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes"...

On s'attache à cette famille vaillante, combattive, qui se transforme en pieds- Nickelés... pour tenter de rééquilibrer les inégalités criantes...tenter
d'agir...pour ne pas subir les événements...ni baisser les bras. Mais la
machine capitaliste est sans états-d'âme... Je n'en dirai pas plus!!!...

J'ai choisi de transcrire quatre extraits parmi les plus significatifs de ce roman social, éminemment bouleversant...aussi plein d'acuité que d'empathie de l'auteur pour ses "anti-héros"...qui ne veulent surtout pas baisser les bras...

"Depuis, comme un cyclone, le chômage a déforesté sa vie, plus un de ses arbres ne tient debout, on dirait les montagnes pelées d'Haïti, rien pour arrêter l'érosion, personne, un Sahel affectif." (p. 222)

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"Elle se demande ce que vont devenir tous ceux qui travaillent avec leurs mains. Où vont disparaître leurs gestes, dans quels musées ? Les terrils et les mines sont déjà classés au Patrimoine de l'Unesco. Quel avenir pour toutes ces usines mortes ? Des cars scolaires y emmèneront peut-être les enfants pour observer des des ouvriers faisant semblant de travailler en tournant en rond autour des machines débranchées comme les singes des zoos font semblant de vivre libres." (p. 222)

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"Aline vient de comprendre la mondialisation : c'est lorsque son travail disparaît dans un pays dont on ne connaît rien. Il n'y a pas mieux aujourd'hui pour enseigner la géographie aux enfants que de leur apprendre où sont passées les usines de leurs parents, se dit-elle." (p. 52)
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"Il ne s'agissait pas de faire le casse du siècle, mais, plus modestement, de riposter symboliquement à un manque d'équilibre dans la répartition des richesses. c'était essentiellement ce qu'elle avait retenu de ses révisions avec Léa. le capitalisme avait été une formidable machine à produire du bonheur pendant deux générations, inventant entre autres merveilles (...) les contrats à durée indéterminée, la Sécurité sociale, les congés payés ou l'assurance-chômage (...) Bref, à vouloir mondialiser l'économie pour continuer à accumuler des profits, le capitalisme tel qu'il nous avait rendus heureux s'était euthanasié, sans laisser de testament à la génération censée l'enterrer. "(p. 245)

Une très émouvante lecture... qui laisse inexorablement des masses de points d'interrogation sur l'avenir des enfants de Christophe et d'Aline...parents aimants et combattifs, mais dont l'impuissance grandit.. le système économique les pressurant, les maltraitant avec une
violence glacialement bureaucratique...En dépit du désespoir grandissant des personnages, on ne peut être qu'admiratif devant leur courage, leur ténacité "à rester debout", à redoubler d'efforts pour trouver un moyen de s'en sortir , et de ne pas subir leur sort !

Je vais regarder rapidement et attentivement les thèmes des autres ouvrages de Pascal Manoukian, me précipiterai dans un premier temps à ma médiathèque pour emprunter, si ils les possèdent, " Les Echoués" et " le Diable au creux de la main"...
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Aline est ouvrière chez Wooly, une usine de textiles dans l'Oise.
Son mari Christophe est chef d'équipe dans une verrerie.
Leur fille aînée, Léa, prépare un Bac, section 'Sciences Economiques et Sociales'.
En cours, elle a notamment appris ce qu'était le paradoxe d'Anderson : l'acquisition par un enfant d'un diplôme supérieur à celui de ses parents ne lui assure pas nécessairement une position sociale plus élevée.

La délocalisation d'activités industrielles concerne cette famille, et pas seulement à travers les programmes d'économie de Léa. Les emplois évoluent, et les travailleurs doivent s'adapter : quitter des activités en perdition sur nos territoires pour aller travailler dans celles qui cherchent de la main d'oeuvre.
C'est facile à écrire dans les manuels d'économie, mais c'est plus difficile à faire lorsque l'on s'est endetté pour acheter une maison et que l'on a toujours travaillé dans la même entreprise.
Non, il ne suffit pas toujours de traverser la rue pour trouver du travail… surtout quand il n'y a rien en face.
C'est ce qu'illustre parfaitement l'auteur à travers l'histoire de cette famille. Il le fait de manière souvent imagée, sur le registre dramatique et avec quelques touches d'humour bienvenues, même si cet humour s'assombrit peu à peu et que l'on rit finalement jaune.

Ce roman est construit à partir d'une fine analyse sociologique de la situation de bassins français en cours de désindustrialisation, insistant sur le vécu des personnes concernées.

J'ai été sensible aux drames de ces individus, à la perte de leurs repères. Parallèlement à cette lecture, je lisais 'L'archipel du Goulag' de Soljénytsine, et cette lecture-ci ne peut qu'inviter à relativiser les choses...

Le récit de Manoukian est une sévère satire sociale de nos sociétés capitalistes.
A mon avis il met en évidence d'autres paradoxes que celui d'Anderson.
L'un de ces autres paradoxes se retrouve dans certains discours politiques en France, notamment dans celui des communistes français depuis des décennies (communistes à qui l'auteur dédie son livre). Selon eux, il faut répartir les fruits du travail et du capital plus équitablement, pour une société meilleure qui ne soit plus fondée sur l'argent comme unique valeur. Or l'articulation entre les deux propositions de cette phrase n'est pas évidente, malgré l'habillage idéologique censé les relier. Dit autrement : sans se l'avouer, les communistes français sont passés du marxisme au keynésianisme.
De fait, ce que réclament en réalité ces personnes, c'est la poursuite d'une société de consommation de masse, à condition qu'elles puissent en profiter davantage. Cette contradiction renvoie d'ailleurs aussi à la contradiction entre une idéologie révolutionnaire et le choix, aussi affiché, d'inscrire le changement dans le cadre démocratique.
Le Plan de relance de 1981 a vécu, mais certains politiques présentent encore la relance du pouvoir d'achat comme la solution miracle au chômage. La péremption de ce schéma ne date pas des récents débats sur le réchauffement climatique, puisque dès 1972, le Club de Rome se faisait connaître en publiant « les limites de la croissance »…
Un récent mouvement de contestation remet ce débat sur le devant de la scène, et le livre de Manoukian a le mérite d'en présenter des éléments d'explication.

Ce livre émouvant invite à la réflexion, en plaçant l'humain au centre de cette réflexion. Les constats qu'il pose sur l'état de notre société sont intéressants, quelles que soient les conclusions que chacun en tire.
Le repli sur soi (identitaire, et le protectionnisme qui l'accompagne souvent dans le discours de certains) me semble clairement posé comme une fausse solution, à juste titre.
Ce propos de Manoukian est d'autant plus utile que ceux dont il se fait le porte-parole ici sont perméables à ces discours de haine simplistes et dangereux…

Certains lecteurs pourront cependant ne pas apprécier un mélange de genres inhabituel, comme Sizlig.
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"Personne ne comprend rien aux ouvriers sauf les ouvriers eux-mêmes. Les usines font peur comme les cités. On n'y voit que la crasse, la cadence des chaînes, on n'en retient que le vacarme des machines, le claquement des pointeuses, la fumée de pneus qui brûlent, la violence des piquets de grève et les larmes des licenciés. Pourtant, chaque matin Aline y retrouve ses petits bonheurs, le travail bien fait d'abord et le travail tout court surtout, le café à la cantine, l'art du geste précis et maîtrisé, la complicité de classe et cette énergie qui, malgré la fatigue et les douleurs, court les ateliers".

Depuis quelques années, Pascal Manoukian construit une oeuvre littéraire à la fois forte et nécessaire. Des livres qui parlent avant tout des hommes auxquels l'auteur s'efforce de redonner une image, une forme, une existence là où d'autres s'attachent à les oublier derrière des chiffres, des graphiques, des statistiques. Je ne peux m'empêcher de penser que peut-être, si les dirigeants européens lisaient Les échoués, peut-être l'actualité en serait-elle changée (on peut toujours espérer que la littérature change le monde). Avec le paradoxe d'Anderson, il s'attaque à un sujet encore plus proche de nous, un truc qui fait peur à tout le monde : la crise et son corollaire, le déclassement social.

Bien sûr qu'ils y pensent à la crise, Aline et Christophe. Ouvriers tous les deux dans l'Oise, une région qui n'est pas épargnée par les fermetures, délocalisations et donc les licenciements. Aline est chef d'équipe dans une usine de textile, Christophe dans une manufacture de verre. Un beau matin, la ligne que supervise Aline a disparu. Déménagée dans la nuit par les dirigeants. Au même moment, un mouvement de grève est déclenché sur le lieu de travail de Christophe. Tout s'effondre. Aline est licenciée, le revenu de Christophe suspendu pendant la grève. Il faut faire les comptes et "en deux colonnes, ils sont passés de la classe moyenne au surendettement, rejoignant les statistiques et les 9 millions de pauvres qu'ils regardaient avant, sans trop y prêter attention, traverser l'écran de leur salon (...)". Pour l'heure, le plus important est de préserver la tranquillité de Léa, leur fille aînée qui révise pour son Bac ES et celle de Mathis, le benjamin à la santé fragile. Rester positif, s'accrocher, faire en sorte que Léa obtienne le précieux sésame promesse d'une autre vie... Mais comment faire face à la violence d'une société régie par l'économie de marché et qui a oublié la solidarité ?

Bonne idée de mettre en parallèle les grandes théories de l'économie via les révisions de Léa (dont ce fameux paradoxe d'Anderson) et la réalité du terrain. C'est clair, net, implacable. Mais c'est également désespérant d'assister aux ravages d'un rouleau compresseur qui détruit à l'aveugle. de constater le plus terrible : l'impuissance d'individus qui n'ont aucune maitrise des processus, malgré leur courage, leur optimisme et toute leur bonne volonté. Ça prend aux tripes, ça donne envie de faire la révolution ou au moins de se poser la question du monde que nous voulons.

Encore une fois, Pascal Manoukian fait entendre la voix de ceux que l'on ignore avec l'empathie qui le caractérise. Il insuffle à ce roman un rythme qui contribue à la sidération, faisant défiler les mois tout en crescendo. Il nous montre un monde en équilibre précaire entre hier et demain, sans nostalgie mais en rendant hommage à tous ceux qui ont lutté pour tenter de défendre les travailleurs (Oh la belle figure de "Staline", le grand-père !) . Sans grand optimisme même si, au détour d'une phrase, on peut lire un certain appel aux générations à venir :

"Chaque génération doit s'adapter à l'environnement que lui lègue la précédente. Pas étonnant, pense Aline, que celle de Léa, héritière d'un monde d'exclusion, de chômage, de dettes abyssales, de dérèglement climatique, donne le sentiment égoïste de ne vouloir compter que sur elle-même. On lui reproche sa perdition dans les méandres du net, elle y tisse au contraire un immense réseau solidaire ; on la trouve autiste devant ses écrans, elle invente simplement une autre manière de communiquer ; on moque son manque de culture, elle possède pourtant à portée de clic toutes les réponses à toutes les questions du monde (...) ; on prend pour de la paresse son désir de ne plus travailler physiquement sept heures par jour, elle adapte simplement le temps de travail de WhatsApp et de FaceTime. Elle témoigne en fait d'un monde qui naît, mais les responsables de celui qu'il va remplacer refusent de l'admettre, par peur d'en perdre le contrôle. En fait, la génération Z porte bien son nom. Elle marque la fin d'un cycle. La prochaine recommencera à 0, ou plutôt à A, avec devant elle un immense horizon, vierge, incertain, porteur de tous les espoirs et de tous les dangers".

Il faut lire Pascal Manoukian. Il faut profiter de son regard et de sa capacité à nous faire ressentir avec l'acuité de celui qui a beaucoup parcouru le monde, la réalité des individus. Notre réalité. Vous sortirez de ce roman le souffle coupé, avec l'envie de le faire lire à tous ceux que vous croiserez.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Excellent ! Un de mes livres préférés de 2018 !
Une thématique difficile pourtant (chômage, endettement....), mais servie par un joli style, qui fait mouche.

La chute d'un couple d'ouvriers pris dans l'engrenage de la mondialisation, de la fermeture de leur usine. Perte de revenus, perte de repère, angoisse, et les enfants dans tout ça ?
Une histoire triste et violente sur la précarité de la vie d'aujourd'hui.
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En 15 lignes, max! (Présentation du livre par frconstant)
"Le paradoxe d'Anderson" dénonce l'inefficacité des formations accumulées par les jeunes qui, bardés de diplômes, n'arriveront pas à vivre un cran au-dessus du niveau social de leurs parents, que du contraire! Dans ce roman, Pascal Manoukian interroge aussi le mensonge des parents qui se taisent et cachent la perte de leur emploi à leurs enfants sous prétexte qu'il ne faut pas perturber la progéniture par des soucis d'adulte. Avec la rigueur qu'on lui connait dans la construction de ses argumentations, l'auteur démonte les mécanismes pervers d'une économie malade de sa soif d'avoir au détriment total d'une possibilité d'être. Une démonstration du mépris des possédants à l'égard de ceux qui perdent tout ... et plus encore! Une description sordide des actions désespérées des dépouillés économiques. A lire et méditer!

Ma critique
Ce troisième roman social de Pascal Manoukian, après 'Les échoués' (2015) et 'Ce que tiens ta main droite t'appartient (2017), s'inscrit dans le droit fil de sa volonté de rendre la parole et la dignité à ceux que le monde économique méprise en ne leur reconnaissant qu'un droit de survie dans la précarité alors que d'autres, les possédants, les actionnaires, s'autorisent à ne recevoir, eux, que des dividendes sans état d'âme ou respect humain pour les travailleurs.
Cette fiction, l'auteur la maîtrise à la perfection. Tout est crédible, des bons sentiments aux mensonges, des combats nourris d'espoir aux actions désespérées, des envolées collectives aux dérives personnelles, des réponses qui ne sont que justice aux attaques qui ne sont qu'injustice... le tout noyé de colère, de dépit, de révolte et de tristesse indicible.
Avec ce livre, Pascal Manoukian rend justice et espoir à un Monde qui depuis trop longtemps se perd et se détruit dans ses dérives capitalistes. Tout est question et remise en question dans cette fiction. Tout est grain de sable dans une mécanique économique de moins en moins justifiable. Tout est caillou dans les pantoufles des nantis de tout sauf d'humanité. Nombreuses sont les phrases chocs qui, admirablement bien tournées , n'en n'évoquent pas moins des vérités qui devraient nous empêcher de dormir en paix sur le petit confort douillet des gens qui ne sont pas encore rattrapés par ces iniquités.
Le paradoxe d'Anderson, un roman de Pascal Manoukian qui pointe du doigt l'urgence d'une quête de vérité face aux comportements sociaux qui opposent les petites gens à leurs exploitants, ceux-là même qui qui ruinent leur vie, leur santé, leur couple et l'avenir de leurs enfants. A partager sans retenue!
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Comme souvent avec les livres qui m'ont profondément marquée, j'ai mis un peu de temps avant d'écrire cette critique, besoin de digérer le choc et crainte de ne pas réussir à transmettre tout ce que ce livre m'a fait ressentir.

Le paradoxe d'Anderson, qui donne son titre au roman, c'est le fait que l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de ses parents ne lui assure pas nécessairement une position supérieure dans la vie professionnelle. Triste réalité que vivent nombre de familles de milieu modeste qui poussent leurs enfants à faire des études (mais pas forcément dans les bonnes filières faute d'information) sans garantie qu'à la fin ceux-ci trouvent un travail correspondant à leur formation et à leur niveau. Source de déception et de frustration. Comme le dit Léa à sa mère dans le livre : "Imagine que moi, après trois ans de fac ou cinq ans d'école de commerce, je finisse caissière chez Simply. Ca, c'est le paradoxe d'Anderson."

L'histoire se déroule dans l'Oise, mais pourrait se dérouler chez moi en Lorraine, ou dans toute autre région frappée par les délocalisations et le déclin de l'industrie
Aline et Christophe (ça ne s'invente pas!), la quarantaine, ont 2 enfants, Mathis, atteint d'une maladie orpheline, et Léa, qui va passer le bac et révise le fameux paradoxe d'Anderson. Elle travaille dans une usine textile et lui dans une fabrique de bouteilles en verre. Ils sont heureux en famille dans leur maison, arrivent parfois à partir en vacances, pensent aux études de leur fille après le bac, Aline voudrait aussi offrir à ses parents une nouvelle télé et des fauteuils pour les aider à se relever. Quand soudain, leur vie éclate en mille morceaux. La chaîne de production dont Aline était responsable est démontée dans la nuit pour être délocalisée et Aline perd son emploi. Certes, elle va toucher le chômage, mais cela représente 250€ de moins par mois, 10 ans de hausse de SMIC perdus d'un coup, et du mal à rembourser les crédits en fin de mois. Christophe demande à faire des heures supplémentaires pour compenser, mais deuxième coup du sort, son usine est également menacée de fermeture et les ouvriers se mettent en grève. Commence alors une descente aux enfers pour Aline et Christophe, qui essaient néanmoins de trouver des solutions et de faire bonne figure pour cacher la situation à leurs enfants et ne pas perturber les révisions du bac de Léa, car ils croient encore que les études seront un moyen pour elle de s'en sortir.

Cette histoire m'a beaucoup touchée, elle prend aux tripes, surtout qu'elle décrit des situations que j'ai connues en Lorraine. On ne peut rester insensible devant l'injustice qui est faite à Aline et Christophe, mais on peut aussi admirer leur dignité. On ne peut que constater le caractère inique des délocalisations dont le mécanisme destructeur est très bien décrit par l'auteur, mais on peut aussi dans sa consommation quotidienne essayer de lutter contre (je vous renvoie à ce sujet à un documentaire intitulé "du fil à retordre" qui parle de l'usine textile Bleu forêt à Vagney dans les Vosges).
Pascal Manoukian raconte avec talent, intelligence et sensibilité une histoire bouleversante. Une fois que j'ai commencé ce livre, je n'ai pas pu le lâcher, j'avais hâte de le retrouver en sortant du travail, et surtout il n'était plus question de me plaindre de mes petits soucis du quotidien. Il n'a pourtant rien d'un"feel-good book", mais il m'a fait un effet incroyable.

En cette période de bac, je trouve qu'il devrait être au programme des terminales ES, et plus généralement que certains de nos politiques gagneraient à le lire.

En conclusion, vous l'aurez compris, le paradoxe d'Anderson a été pour moi une lecture coup de coeur avec un roman d'utilité sociale que je qualifierais d'indispensable à lire.

Et pour finir, un grand merci à l'auteur pour ce témoignage et à Sociolitte pour sa critique qui m'a donné envie de lire ce livre et m'a permis une très belle découverte.



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Lire un roman de Pascal Manoukian c'est, pour moi, faire l'expérience d'un réel décrypté par le récit et par une écriture remarquable de sensibilité et d'acuité. Et j'ai retrouvé dans "Le paradoxe d'Anderson" ce souffle saisissant qui bouleverse la conscience tout en suscitant des émotions intenses. Je me creuse la tête pour tenter de discerner ce qui fait cette force, mais je crois, en définitive, que la matière du roman et son traitement forment un ensemble si cohérent et si maîtrisé qu'il m'est difficile d'en morceler la substance.
J'imagine une petite ville de l'Oise. Non. Je ne l'imagine pas mais je la vois, j'y suis, j'y habite. Une banlieue résidentielle où vivent Aline, Christophe et leurs deux enfants, Léa et Mathis. Un crédit pour acheter la maison où ils sont bien, une voiture qu'il faudrait songer à remplacer, quelques économies à réaliser pour que Léa puisse, après son bac ES, poursuivre des études qui lui apporteront (Aline et Christophe n'en doutent pas) un métier stable, une situation sociale supérieure à la leur. Donner à Léa et Mathis tous les moyens pour qu'ils puissent sortir de l'incertitude des lendemains, c'est l'espoir et l'ambition de leurs parents, eux-mêmes employés dans deux usines de la ville proche. La vie familiale pourrait être douce entre les révisions de Léa, les galipettes de Mathis et la tendresse qui lie parents et enfants. Elle pourrait l'être si le souvenir des combats de Léon-Staline, l'irréductible arrière grand-père, ne venait donner un éclairage inquiétant aux cours d'économie de Léa, si la détresse de Sandra, ancienne collègue d'Aline, ne recelait une insidieuse menace, si la situation générale n'était marquée par une instabilité angoissante...
Et puis, en quelques mois, une double déflagration remet tout en cause : restructuration, délocalisation, plan social, licenciement, chômage. Ce qui semblait acquis est violemment anéanti. Pour protéger leurs enfants, Aline et Christophe se taisent, feignent l'optimisme, imaginent de fabuleuses stratégies pour masquer la réalité, luttent pied à pied et s'inventent Robin des Bois ou Bonux and Tide. de leur drame, ils font un roman poétique et épique pour échapper à la tragédie.
Et pour nous raconter cette histoire contemporaine, Pascal Manoukian va chercher l'humanité, la générosité et l'intelligence au plus profond des mots. Au réalisme de la description répond la superbe poésie de moments hors du temps, comme les vacances inventées pour Mathis. le romanesque de l'intrigue laisse filtrer une percutante analyse économique et sociale, sans que jamais l'une ne prenne le pas sur l'autre. Sur trois générations, Léon, Aline et Léa nous font entendre, percevoir cette paradoxale dissolution des perspectives d'évolution sociale. La poursuite des études qui était, pour le monde ouvrier, l'un des moyens traditionnels d'acquérir un statut professionnel supérieur à celui des parents, est devenue une nouvelle cause d'endettement alors que les diplômes obtenus n'assurent plus un travail correspondant aux compétences ainsi acquises.
le constat pourrait être accablant de désespoir, n'était la force et l'irrésistible énergie des personnages mis en scène par l'auteur. Comme pour les autres romans de Pascal Manoukian, je n'ai pu lâcher "Le paradoxe d'Anderson" avant la dernière page. Comme ses autres romans, il agit à la manière d'un révélateur, d'un éveilleur de conscience et de lucidité. Il me semble être passée dans une centrifugeuse d'émotions, de perceptions et de représentations. Ce roman détient le rare pouvoir de troubler et d'enrichir, de faire don d'une parcelle d'humanité dont j'ignorais peut-être qu'elle me manquait. C'est tout ce que j'attends d'une lecture et celle-ci y a amplement pourvu !
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