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Qu'est-ce qui produit l'étrange sentiment de proximité et d'intemporalité que l'on éprouve à la lecture des nouvelles de Katherine Mansfield ? Une réponse facile serait de dire qu'elle évoque comme personne la trame d'un quotidien insignifiant, la banalité de la plupart des existences humaines : une journée passée au bord de la mer (À la baie), une promenade au jardin public (Miss Brill), le retour au foyer après le travail (Une famille idéale), une sortie un jour de grand vent (Le vent souffle). Mais peut-on se satisfaire de la seule description de la banalité du quotidien ? Non. Tout l'art de Katherine Mansfield consiste justement à montrer le déraillement, imperceptible parfois, des existences les plus cadrées. Les filles du défunt colonel, après une vie gouvernée par l'autoritarisme de leur père, sont incapables de prendre la décision qui les délivrerait de la soumission domestique. La plus réussie des garden-parties se clôt sur une confrontation à la mort. La perte d'un canari expose sa propriétaire à la radicalité de sa solitude. Quoi ! Tant de noirceur, d'échec, de misère même. Mais, Katherine Mansfield ne prive jamais les âmes brisées d'un peu de réconfort, celui de l'oubli, de la routine, du souvenir ou de l'amour. Constantia et Joséphine, vieilles filles libérées des manies de leur père, peuvent enfin goûter la musique de l'orgue de Barbarie. Les petites filles mises à l'écart par leurs camarades d'école ont enfin pu admirer la magnifique maison de poupées. Même la pauvre maman Parker, endeuillée par la disparition du seul être qui illuminait sa vie, peut se réconforter d'avoir éprouvé un amour inconditionnel pour son petit-fils. Comme personne, l'auteure travaille les failles où s'engouffrent la mesquinerie humaine, l'incompréhension, la vanité. Sans faire de psychologie, elle montre les feintes qui nous protègent de l'effondrement intérieur et du désespoir : se raccrocher au silence d'un homme pour ignorer son désamour (Histoire d'un homme marié), à une promesse d'amitié (Monsieur et Madame Colombe), à un rêve ô combien plus beau que son accomplissement (Le vieux Tar). J'aime aussi l'écriture de Katherine Mansfield pour sa fantaisie, son humour, voire le cocasse qui s'invite sans crier gare (l'étole de renard de Miss Brill, son petit chenapan). Les nouvelles traductions initiées par les éditions Rue Saint Ambroise lui rendent toute sa délicatesse, mais aussi sa vivacité (la richesse des onomatopées) et sa fulgurance dans la concision. Allez, je vous livre le titre de ma nouvelle préférée : À la baie, qui suit trois générations au cours d'une journée de vacances au bord de la mer. Un condensé formidable de vie qui explore toute la gamme des émotions humaines. C'est magnifique et, à chaque lecture, j'ai le coeur qui claque et chavire devant tant de lumineuse humanité. + Lire la suite |
« Félicité », c'est l'entrée de la Nouvelle-Zélande dans les belles lettres enfin mondialement reconnue. Électron libre qui a gravité un temps autour du Bloomsbury Group, Katherine Mansfield a quitté son Océanie natale pour vivre en Angleterre, fuir en Allemagne, se reposer et mourir en France. Trop pressée pour s'éterniser, elle excelle dans la forme courte, à l'image de sa vie, fauchée en pleine jeunesse.
Pour la première fois en français, Anne Consigny donne voix au recueil de nouvelles qui a fait la renommée de Katherine Mansfield.
Déjà disponible en téléchargement et en streaming, le livre audio sortira en librairie le 11 mars 2021 en CD MP3.
Musique : « Sonate pour violoncelle seul », opus 28, d’Eugène Ysaÿe, joué par Ole-Eirik Ree, une production Naxos.
Le texte français, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par J.-G. Delamain en 1932, est disponible dans le recueil « Les nouvelles » paru en 2006 aux éditions Stock.
Directrice artistique : Francesca Isidori.
Ce livre audio a été conçu avec le soutien de la SCPP.