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sur 337 notes
Comme le pays qui l'accueille, victime selon un essayiste turc d' « aveuglement sélectif », la narratrice semble errer dans les rues d'Istanbul.
Cette voyageuse s'installe dans cette capitale entre l'Europe et l'Asie, carrefour de nombreuses nationalités et religions.
Elle chemine dans ce pays qui hésite toujours entre démocratie et dictature.

Hrant Dink, militant turc pour la paix entre les peuples, assassiné en 2007, sera son guide. Elle se fait un devoir de rétablir sa mémoire oubliée.

Mais ses pérégrinations stambouliotes deviennent vite éreintantes. Hésitant entre autofiction et documentaire, elle me perd comme elle se perd dans les rues.
Style trop brouillon, pas assez abouti, est le sentiment que j'ai eu en le lisant.

Ce livre a obtenu le prix Renaudot 2018.

Abandonné en novembre 2018.
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Sans prétention, se mettant en scène elle-même, l'écrivaine Valerie Manteau, nous parle de la Turquie d'aujourd'hui, plus précisément d'Istanbul, à travers le portrait d'un journaliste arménien turc, assassiné en 2007 par un jeune « nationaliste » de dix-sept ans. Un meurtre commandité et exécuté par le biais d'un mineur, qui vu son âge, n'encourait pas une incarcération de longue durée, selon le code pénal turc.
Ancienne journaliste chez Charlie Hebdo, suite au carnage qui décima la direction du journal, Manteau se rend en 2015 à Istanbul, pour changer d'air. Et c'est là qu'elle prend connaissance du meurtre de Hrand Dink, un pacifiste, un optimiste, directeur du journal Agos, journal arménien , bilingue, publié et distribué à Istanbul. le mot Agos correspondant au titre du livre «  le Sillon », un mot partagé par les turcs et les arméniens, à l'époque où ils cohabitaient. Elle se rend compte que les actes terroristes ne frappent pas seulement l'occident, mais sont encore plus présents dans leurs pays d'origine. Mais encensé par le tapage médiatique alors que les premiers soulèvent des réactions à l'échelle mondiale, les seconds passent totalement inaperçus, voir inexistants. Voilà le point de départ de son histoire.

Une écrivaine impartiale, qui tout en dénonçant la situation terrible d'un pays, noyé entre dictature et intégrisme, où les droits de l'homme n'existent presque plus, de surcroît la liberté d'expression, accuse l'Europe d'indifférence et d'hypocrisie pour sauvegarder ses terres à tout prix des déplacements migratoires, dont elle est finalement indirectement responsable.
Manteau non seulement écrit très bien, mais son bon sens, son humilité face à l'inconnu, aussi bien la langue que la société turque, sa culture qui enrichit le texte sans érudition, m'a touchée et m'a laissée admirative. Et de plus regardant sur internet sa prestation à La Grande Librairie, m'a fait entrevoir l'image de la personne que je me suis imaginée et perçue, durant la lecture. Une belle âme, une belle personne, un beau livre émouvant qui reflète amplement le désespoir humain, beaucoup plus poignant à vivre sur les lieux mêmes où il se déploie.

"They call it chaos, we call it home"
(Ils l'appellent chaos, on l'appelle chez-nous)

"La difference entre l'Orient et l'Occident ....c'est la Turquie. Je ne sais pas si elle est le résultat de la soustraction, mais je sais que la distance qui les sépare est grande comme elle."

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*** Rentrée littéraire 2018 ***

Un très curieux objet de littérature, complètement hybride et l'assumant totalement, avec exigence.

A travers l'errance dans Istanbul de l'alter ego de l'auteure, le texte oscille entre l'auto-fiction, l'histoire d'une relation amoureuse avec un Turc ( pas les passages qui m'ont le plus intéressée ), le reportage documentaire radiographiant le milieu de l'intelligentsia progressiste malmenée par Erdogan et enfin la biographie d'un journaliste turc d'origine arménienne, Hrant Dink, assassinée en 2007 par un nationaliste de 17 ans. On passe de l'un à l'autre parfois dans la même page avec une liberté folle, un peu déconcertante au début avec un affranchissement des règles de ponctuation. Aucune entrave pour dépeindre la Turquie d'aujourd'hui.

Grande ambition que de relier l'intime à une vision politique d'une société donnée. Et cela fonctionne parfaitement ! C'est avec une sincérité totale que Valérie Marteau nous fait découvrir la Turquie actuelle à travers le prisme des intellectuels turcs cherchant à résister à la montée de l'intégrisme et de la dictature. Tout est dit avec beaucoup d'intelligence et de finesse.

La Turquie nous ressemble, nous dit l'auteure, ce n'est pas un exotisme à regarder de loin. Tous les Turcs que rencontrent l'auteure, journalistes, artistes, militants des droits de l'homme nous ressemblent tant dans cette France post attentats. Valérie Marteau est une ancienne collaboratrice de Charlie, justement. Chacune de ses réflexions en fait germer plein en nous. Les cinquante dernières pages sont remarquables d'intensité lorsqu'elle fait revivre Hrant Dink, assassiné peu de temps avoir été déclaré ennemi numéro 1 par Erdogan pour insulte à l'identité turque, en fait pour avoir évoqué le génocide arménien qui fait l'objet d'un négationnisme d'Etat inouï. Lorsqu'on suit Aslı Erdoğan, cette écrivaine militante des droits de l'homme emprisonnée en 2016 pour avoir soutenu la cause kurde.

Le Sillon, c'est la traduction de Agos, le journal tenu par Hrant Dink. Un sang impur abreuve nos sillons. Comme un fil terrible qui relie la Turquie et la France à l'heure des attentats. Valérie Manteau reprend le flambeau de cette liberté d'expression si chèrement défendue. Un sillon à tracer et tracer à nouveau, obstinément, malgré les vents contraires qui veulent tout emporter.

«  Les voix de la Turquie que j'aime ne parleront pas que dans ma tête » souhaitait Valérie Manteau en publiant cet ouvrage. Désormais, elles parlent aussi dans la mienne.
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Avec Valérie Manteau on aurait tort de se fier aux apparences. La déambulation de sa narratrice sur les pas de l'Arménien Hrant Dink, créateur du journal turc-arménien Agos (sillon en français) et pacifiste, assassiné par un jeune nationaliste à Istanbul en 2007, est beaucoup moins brouillonne qu'il n'y parait. La Turquie, qui nous est si proche et si lointaine, s'éclaire au fil des pages de l'auteure qui ne contourne pas les obstacles pour décrire un pays où, depuis la tentative ratée de coup d’Etat de 2016, la liberté d'expression recule toujours un peu plus, l’intégrisme religieux progresse, on écarte ou élimine les opposants, toutes choses que l'Europe peine à s'intéresser, encore moins à dénoncer. Un pays qui lui-même, à travers ses intellectuels et sa jeunesse, semble souvent déprimé et peu enclin à se battre pour la démocratisation de son régime ; exception faite de personnages courageux et combatifs comme la romancière et militante des droits de l'homme, Aslı Erdoğan, arrêtée, emprisonnée et libérée en 2016. Un livre utile, avec l'approche intime et sensible d'une autofiction, qui s'il ne donne qu'une vision extérieure et forcément incomplète de la Turquie actuelle, ne recouvre pas moins, sans l'ombre d'un doute, une réalité certaine.
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Il y a des lectures qu'il faut laisser mijoter comme un bon petit  plat, pour que la sauce soit plus onctueuse, le parfum plus envoûtant , le goût plus subtil...

J'aurais bien attendu encore un peu avant de me prononcer sur le Sillon, mais je crois qu'à force d'en discuter autour de moi- y compris, par écrit,  avec certain(e)s d'entre vous- je me suis fait une opinion.

Le sillon est un livre déroutant, complexe.

Qui nous capte autant qu'il nous perd, et nous séduit autant qu'il nous agace. Voilà un sillon qui n'a pas fini, pour ma part, de creuser sa trace dans ma mémoire de lectrice. de m'interroger, de me déranger, de me surprendre. de me faire réfléchir.

Le sillon est un livre terriblement attachant.

Lecture exigeante mais riche, et, derrière un air un peu foutraque et faussement brouiĺlon, c'est une vibrante incitation à sortir de nos ..sillons tout tracés - en particulier quand il s'agit d'appréhender une réalité politique et culturelle qui nous est étrangère.

Je résume à grands traits le sujet: une jeune journaliste française, l'auteure elle-même, ex collaboratrice de Charlie, quitte, en 2015, la France et ses attentats , pour aller se réfugier et se changer d'air...en Turquie, dans la belle ville d'Istanbul,  dont elle est aussi amoureuse qu'elle l'est de son  amant turc.

Elle a déjà à son actif nombre de séjours dans la ville, y connaît et fréquente beaucoup d'intellectuels, d'artistes, de journalistes et parle un peu leur langue. Elle a le projet d'écrire un livre sur Hrant  Dink, un journaliste turc d'origine arménienne  assassiné,  en 2006, par un jeune nationaliste.

Mais en 2016, la menace de l'Etat islamique,  toute proche, favorise la montée de l'islamisme radical dans une Turquie autrefois laïque, donnant à  la dictature  de Recep Erdogan le prétexte rêvé pour refermer inexorablement son étau sur toute velléité de démocratie .

Par ces temps troublés, Hrant Dink, une grande figure dans son pays,  est devenu une véritable  icône de toutes les promesses de cosmopolitisme, d'ouverture, d'émancipation, de vivre-ensemble de toutes les communautés - juive, kurde, arménienne, chrétienne, musulmane-  d'acceptation de la  vérité historique -le génocide arménien-  d'indépendance  journalistique et de libertés individuelles - toutes promesses que les  arrestations arbitraires, la surveillance policière, l'omniprésence de l'armée , la  censure absurde et des procès iniques  semblent avoir définitivement écrasées.. .

Voilà pour le climat. ..on conviendra que comme changement d'air celui qui souffle à Istanbul dans ces années-là n'a rien à envier à celui de  Paris ou de Nice..

Et pourtant...au Muz -journal satirique aujourd'hui disparu- , ou dans les quartiers grouillants d'animation et de vie de Kadiköy, vrai microcosme de l'agitation intellectuelle , les échanges, les rencontres, les actions,   tout laisse penser qu'Istanbul a de la vitalité et de l'insoumission à revendre...et qu'on est loin de l'avoir mise à terre...

Notre narratrice s'y faufile, dans ces quartiers,  comme une anguille du Bosphore...jusqu'au vertige.

Elle y croise Aslı Erdogan, remise en liberté provisoire...et prête à de nouveaux combats...à moins qu'elle ne profite du passeport qu'on lui a enfin rendu pour contester la dictature en se mettant hors de sa portée.. 

Elle cherche dans les traces toujours sensibles du grand Hrant Dink des raisons d'espérer encore, jusque devant le tombeau de ce porteur de colombes...

Elle est contrainte de quitter son amant : le malentendu s'aggrave entre eux à mesure que l'étau politique se fait plus pesant.

Elle va faire la fête en ballerines dans la neige, tandis que le terrorisme,  qui vient de refrapper à  Nice,  tue violemment au Reina, une boîte huppée sur la rive occidentale du Bosphore -  la presse occidentale en parle à peine..

Toutes ces scènes se succèdent,  se chevauchent, dans  un parcours de plus en plus chaotique, gagné par l'entropie ambiante.

Le lecteur consciencieux, qui a tenté d'eclairer sa lanterne en cherchant qui sont tous ces personnages arrêtés, mis en garde a vue, traînés en justice, quels sont ces journaux, ces mouvements dont nous parle la narratrice, se perd bientot dans ce dédale de noms, d'événements, qui semblent familiers à l'auteure...

Encore que...

Elle aussi semble gagnée par la même bousculade, la même perte de repères, la même fuite  en avant..On l'a suivie, elle se perd:  nous voilà  nous aussi,  perdus dans cette ville captivante et maintenant  captive...

C'est cela, je trouve la grande force de ce récit. Sous ses airs de balade , de musardise fantaisiste , à la recherche d'un sujet, d'un amour, d'un réconfort, d'un plaisir- il nous emmène, nous  promène et nous perd dans un pays où la liberté se meurt.

Ce sont ses soubresauts qui l'agitent encore de leur révolte courroucée.

Le Sillon est le nom d'un journal, celui de Hrant Dink.

C'est aussi la trace qui rejoint désormais nos pays occidentaux à cet Orient si proche et si méconnu - bien  plus proche cependant après la  belle lecture de ce Sillon- trait - d'- union..
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Dans un article du 23 janvier 2007 intitulé « Qui a tué Hrant Dink ?», le Monde diplomatique dressait cet état des lieux qui se voulait alarmiste : « Au cours de ces quinze dernières années, dix-huit autres journalistes ont été assassinés en Turquie, et douze sont actuellement emprisonnés.

« Douze ! Une bagatelle vue de 2017. Les chiffres du jour donnent cent quarante-six journalistes derrière les barreaux, et le nombre d'assassinats et de «suicides» en prison reste l'angle mort de tous les rapports. » s'insurge Valérie Manteau dans ce roman, prix Renaudot 2018, où elle parcourt Istanbul sur les traces de Hrant Dink, fondateur du journal AGOS (Le Sillon), assassiné par Ogün Samast, agé de 17 ans, dans le quartier d'Osmanbey, devant les locaux de son journal bilingue arménien-turc.

« Le Sillon comme dans la Marseillaise ? Qu'un sang impur abreuve nos sillons, quelle ironie, pour quelqu'un assassiné par un nationaliste. »

En 2011, Ogün Samast (mineur au moment des faits) est condamné à 23 ans de prison. En 2021, un tribunal d'Istanbul condamne à la prison à vie pour leur implication dans ce meurtre Ali Fuat Yilmazer et Ramazan Akyürek, ex-chefs de la police, ainsi que Yavuz Karakaya et Muharrem Demirkale, deux ex-responsables de la gendarmerie.

Cette éxécution eut un retentissement international et Valérie Manteau, documentée par son ami marseillais Jean Kéhayan, enquête sur AGOS, son fondateur « Des personnalités comme lui, chaque peuple n'en produit qu'une par génération, et encore », la communauté arménienne, et leur influence dans la Turquie actuelle confrontée au problème kurde et à la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 commanditée par une faction des Forces armées proche de Fethullah Gülen, leader musulman exilé aux USA.

La journaliste dénonce la révolution des signes (Harf Devrimi) imposée le 1er novembre 1928 par Mustafa Kemal Atatürk pour remplacer l'alphabet arabe, en usage sous l'Empire ottoman pour transcrire le turc, par un alphabet spécifique dérivé de l'alphabet latin. « Fethiye Çetin commence un de ses livres par une note sur l'alphabet et l'alphabétisation turque, disant qu'en 1913, sa grand-mère a écrit à son arrière-grand-père, émigré aux Êtats-Unis, en langue et en alphabet arméniens. Quand il a répondu, il a probablement dicté sa lettre, rédigée en «ancienne écriture», c'est-à-dire en turc et en caractères arabes. Les enfants ont dû la faire lire par une personne connaissant encore l'ancienne écriture - mais la grand-mère ne semblait pas non plus capable de lire le turc en «nouvel alphabet» latin.

C'est dire si l'acte fondateur de la République s'est fait dans le massacre des minorités et la coupure brutale de toute transmission écrite - «est-ce qu'un peuple qui ne peut pas lire ses propres poèmes d'amour peut avoir une histoire faite d'amour ? Je me demande ce que serait un Allemand qui ne pourrait pas lire Goethe, ou un Anglais à qui les sonnets de Shakespeare resteraient opaques», s'interroge, en se retournant sur le XX' siècle, Ece Temelkuran. »

Interrogation essentielle qui nous interpelle quand certains groupuscules militent pour un alphabet inclusif rompant avec notre héritage culturel. L'acuité de ce plaidoyer, au coeur des débats culturels et politiques actuels, prouve l'universalité du combat humaniste de Hrant Dink.

Cette pérégrination à travers Istanbul suit celle de Pierre Loti mais leur perception diffère car l'officier de marine VOIT le Bosphore et la ville quand l'amoureuse ENTEND les Stambouliotes. Cette oralité dicte des phrases telles que « Mais pourquoi tu vas raconter tout ça ? » qui agacera les lecteurs déroutés de plus par une foule de personnages pas toujours simples à identifier et un récit partant un peu dans tous les sens et frisant « l'illisible fatras » quand elle évoque notre pays et nos ministres.

Un sillon est traditionnellement rectiligne, Valérie Manteau creuse un sillon tourbillonnant… preuve que l'amour égare parfois la raison ?

Mais ce roman, écrit au lendemain de l'attentat contre Charlie Hebdo, est un superbe hommage au martyre de Dink ce «pigeon inquiet», un message de paix, un cri d'espérance dans l'avenir démocratique du pays d'Ahmet Altan, Asli Erdogan, Yasar Kemal, Orhan Pamuk et tant d'autres.

PS : le mystère de la rue Papa Roncallli est résolu :
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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C'est très émue que je referme le livre de Valérie Manteau sur cette phrase « le Sillon est dédié à ceux dont l'absence et le souvenir résonnent entre ces lignes ».


Pourquoi suis-je autant concernée par ce pays aux faux airs de Titanic pour paraphraser Valérie Manteau. Ce n'est pas la Turquie en particulier mais c'est plutôt le symbole qu'elle représente aujourd'hui à mes yeux, celui d'un pays qui meure de la perte de sa liberté d'expression voire de sa liberté simplement et c'est cela qui m'oppresse. le sang qui circule dans mes veines charrie la mémoire d'une partie de mes grands-parents qui ont vécu une communauté de destins avec les arméniens, les kurdes, toutes ces minorités qui ont été injustement maltraitées, humiliées, anéanties. La Liberté est un trésor à nul autre pareil et la chanson « Diégo » de Michel Berger me vient en mémoire.

Et puis, restent gravés les instants douloureux, les images en direct de l'attentat de Charlie que je retrouve en filigrane dans ce livre comme ceux de l'aéroport Ataturck , la boîte de nuit Reina ou encore celui d'Ankara lors d'une manifestation.

Le 11 janvier, nous avions défilé aux côtés des kurdes. Je n'ai rien oublié, Charlie, le Bataclan, Nice, le père Hamel. A la lecture de ce livre, tout remonte, s'entremêle, pour donner à cette lecture une multitude de pistes de réflexions toutes aussi essentielles les unes que les autres.

Valérie Manteau met en scène une jeune femme, la narratrice, écrivaine en mal d'inspiration, partie à Istanbul rejoindre son amant, et qui à travers ses relations, ses balades stambouliotes, nous offre une photographie de la Turquie d'aujourd'hui. A travers ses déambulations, elle va trouver le sujet de son livre en découvrant la figure importante de Hrant Dink, journaliste turque d'origine arménienne, athé, assassiné en 2007 devant son journal « Agos » et dont la voix continue de résonner en Turquie. Elle retrace ainsi la vie de cet homme, journaliste délinquant aux yeux du gouvernement turque, cible des nationalistes et qui n'hésitait pas à écrire sur le génocide arménien.

Agos, le journal de Dink, signifie le Sillon, c'était un mot partgé par les turcs et les arméniens en tout cas par les paysans à l'époque où ils cohabitaient.

Que ce soit les assassinats de Hrant Dink, Tahir Elçi, ou l'emprisonnement de tous ceux qui veulent résister, se battre pour continuer d'écrire, de penser, Valérie Manteau sait leur redonner la parole et souligner à la fois la défaillance des autres nations devant les exigences de la realpolitik et la difficulté de lutter contre un président qui contrôle tout un système judiciaire, les médias, alors qu'un simple tweet peut vous envoyer en prison. Les individus finissent par avoir peur de parler, même de penser, et parviennent à se méfier de leur ombre. Valérie Manteau dépeint très bien cette chappe de plomb qui étouffe la Turquie.

Il faut lire le chapitre relatant le procès d'Asli Erdogan et de Necmiye Alpay, c'est effrayant et très instructif sur la dérive du système judiciaire.

Page 256 :

résonnent les mots d'Asli, dans le New Yorker, « Que ca vous plaise ou non , je suis la Turquie. Que vous l'acceptiez ou pas, nous les journalistes, les écrivains, sommes le langage et la conscience de ce pays » ou encore « je vais me défendre comme si le droit existait encore ». « le silence même n'est plus à toi », ce livre, écrit par cette femme très engagée et courageuse, en dit long sur la vie quotidienne en Turquie.

C'est une lutte permanente comme pour Elif Safak, Orhan Pamuk, le droit ne vaut plus rien.

Valérie Manteau parvient très bien à faire ressentir cette crainte diffuse qui intoxique l'atmosphère d'Istanbul depuis la contestation de la place Taksim en 2013 et qui s'aggrave jusqu'au coup d'état militaire de 2016 où les conséquences sont très bien restituées.

Je reconnais que Valérie Manteau a choisi un style de narration qui déroute au début de la lecture et qui peut malheureusement en décourager plus d'un. Il faut parvenir à cerner son système d'écriture rien que pour lire les derniers chapitres qui sont remarquables.

J'attendais la sortie de ce livre témoignage. L'écriture m'a touchée, émue. J'ai réussi à dépasser la forme pour ne m'interesser qu'au fond qui est un instantané de la Turquie. J'ai une pensée pour mes amies ou amis turques, arméniens, kurdes et pour l'un de mes acteurs fétiches, Tchéky Karyo.
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Que dire ? Tout a été dit déjà...

Valerie-Manteau superpose ici, son quotidien chaotique, et le parcours de ce héros et martyr : Hrant Dink , fondateur du premier journal bilingue turc- Arménien :" infatigable promoteur de paix, "abattu le 19 janvier 2007 d'une balle dans le dos par un jeune nationaliste de 17 ans .

Sa narratrice ----- qui lui ressemble étrangement beaucoup ----vit une relation compliquée avec un turc qu'elle a rejoint, lorsqu'elle se décide à écrire une biographie de Hrant Dink.
C'est un livre exigeant qui demande une grande attention, complexe, très politique , tantôt précis, tantôt vague.---- entre fiction et réalité --- anecdotes individuelles -- errances personnelles ---et morceaux d'Histoire: celles d'Istanbul et de sa région , un état "de droit" qui a tendance à tanguer dangereusement .....
La narratrice s'inspire de ses expériences turques. Elle apprécie ce pays, où elle séjourne régulièrement , elle y construit sa vie sociale et amoureuse.

Elle décrit remarquablement ses déambulations nostalgiques, au coeur d'Istanbul.
Elle progresse peu dans la langue turque malgré cela, et cite ses artistes, ses cafés et ses intellectuels .....
Un pays dont le paradoxe tient en un nom : Erdogan , celui d'un président autocrate , autoritaire et d'une romancière engagée.

La force du Sillon , à mon avis, est de dépasser l'oeuvre de fiction et celle d'inventer une forme Hybride , originale, inédite afin de nous faire ressentir une réalité dure et brute, celle de "l'Intranquillité Turque " .
" De quelle paix parlons - nous, si nous fondons notre fraternité sur le sang versé ensemble?
" Ne pensez- vous pas que je vous demanderai à qui appartenait le sang que vous avez versé ? "

Un livre important et déroutant ----qui fait réfléchir et s'interroger .....sur les injustices criantes d'un pays où l'état régente tout --- entre auto- fiction et récit documentaire ----où l'auteur dans un style très libre, nous livre ses pensées sans construire une vraie logique.
Elle tente surtout de comprendre , de se positionner pour des causes justes mais c'est sans compter sur les lois dictées par un état omnipotent et inflexible .....
Un témoignage intime et universel et une plongée sans compromis dans la Turquie d'aujourd'hui et celle d'hier ----- nostalgique de l'ancienne Contantinople ---- où cohabitaient alors Juifs, Grecs et Arméniens......
Un ouvrage à glisser entre les mains des plus engagés ?
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C'est bien la première fois que cela m'arrive de supprimer une critique et d'en faire une autre sur un livre. Je m'explique. Il y a cinq mois, je l'ai abandonné, n'y comprenant rien avec la sensation que ça partait d'en tous les sens. Jusqu'à ce que Bookycooky me demande de lui redonner une seconde chance. Et cette fois, ai-je été mieux disposée ? J'ai trouvé intéressant de parler des journalistes assassinés comme Hrant Dink et de ceux de Charlie Hebdo où l'écrivaine a travaillé. Quand même pas toujours facile de comprendre les problèmes de la Turquie quand on y connaît rien. Je pense que j'ai surtout été gênée dans le fait que ça oscille trop entre une bio qu'il aurait fallu développer et sa vie à elle personnelle. Michefred a écrit : Il y a des lectures qu'il faut laisser mijoter...
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20/11 : Midi. Il est dans ma boîte aux lettres. Très vite dans mes mains. Je picore plus que je ne mange et commence à lire : Istanbul, la place Taksim, le parc Gezi, Recep Erdogan et la démocratie étouffée dans la violence, la guerre, les réfugiés à la frontière... Je pars travailler sur ces derniers mots "les turcs, les Kurdes, les Syriens, les travailleurs pseudo-humanitaires, ils peuvent tous crever dans leur croissant fertile de merde : cette terre est maudite, sauve qui peut."
Mais pour aller où, Sara ?
22h00 : Je sais que ce n'est pas raisonnable, mais je le reprends et continue à lire. "Que peut-on faire pour la liberté, pour l'art, pour l'amour ? C'est une question simple, non." Je suis les pas de Valérie Manteau, son style me surprend. Je bute sur les phrases, ne sais pas toujours qui parle, je repars en arrière, reprend ma lecture, j'essaie de ne pas les perdre, ces petites voix qui s'entremêlent, s'entrechoquent. Et puis, très vite, c'est là ! Ce rythme, cette respiration. Je marche maintenant côte à côte avec elle. Nous partageons la même foulée, dans les rues d'Istanbul qui nous conduisent au Muz, dans les escaliers qui mènent à son appartement, celui de son amant turc.

Je ne sais toujours pas comment prononcer Hrant. "Des phrases de lui, tracées dans de la terre pigmentée d'Anatolie." Je l'imagine, cette femme, mouvements amples et lents, la tête haute, déterminée à ne rien lâcher. Car céder, c'est mourir encore un peu...
Je m'arrête sur l'origine d'un slogan politique que j'exècre "Tu l'aimes ou tu la quittes". "De quelle tombe crois-tu que Sarkozy a exhumé ce refrain ?" Et c'est déjà le petit matin. Je m'endors en colère...

21/11 : Quelques pages au petit déjeuner avant d'aller bosser. Et ce repas entre collègues à midi, où je leur parle de Sarko, du slogan, du karcher... et tout le monde s'en fout ! L'indifférence, c'est ce qui nous perdra. Tous !
Rentrée tard ce soir, mais pas prête à le lâcher, je reprends le sillon. "Tu vas écrire sur Hrant alors ? (...) Si tu veux mon avis (je fais non de la tête) tu n'as pas besoin de ce détour pour comprendre ce qui nous arrive, tu pourrais aussi bien le voir directement. Au lieu de quoi tu ajoutes des écrans de morts aux vivants pour te planquer, tu n'iras nulle part avec tous ces boulets au pied. Mais précisément, je dis, je ne veux aller nulle part. Je reste ici."

Je reste aussi. Bien planquée dans ma petite vie... mais je te suis. Ton indignation est la mienne : Anna, cette petite robe jaune fluo. Je la porte aussi, elle gonfle et gronde. "il gueule d'un coup très fort, fous le camp maintenant, tu ne comprends rien et tu ne nous aides pas."
Comprendre, j'essaie. Mais c'est pas simple, vu d'ici. Merci à toi, Valérie, de me parler de là-bas, comme personne encore ne l'a fait...

22/11 : "Mais pourquoi tu vas raconter tout ça ?" Tu écris comme on appelle un soir de panique face au drame - cette liberté qu'on emprisonne, ces vies qu'on écrase - lucide et claire, pour que je puisse comprendre - attraper cette main tendue - mais avec cette voix saccadée du souffle coupé. L'émotion. Valérie, tes phrases sont des respirations. Une urgence de dire et de donner à entendre. Mais que nous sert d'entendre si nous ne savons pas écouter ?
Je veux retenir tous ces noms, ces anonymes, ces écrivains, ces journalistes, qui résistent et tremblent. Asli et tous les autres...
J'arrive sur les dernières pages.

Ne plus pouvoir lire
La gorge serrée
Mais continuer à écrire

23/11 :

Hrant Dink. "Mort assassiné par balle le 19 janvier 2007 devant son journal, Agos, à Osmanbey, quartier animé de la rive européenne d'Istanbul. Abattu par un jeune nationaliste de dix-sept ans qui a voulu débarrasser le pays de cet insolent Arménien, "l'ennemi des Turcs"."

Les mots suffoquent-ils
encore sur le papier froissé ?
Lien : https://page39web.wordpress...
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