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EAN : 9782905964809
181 pages
Ombres (25/11/1998)
4.33/5   9 notes
Résumé :
L'œuvre d'essayiste de Manzoni est un peu moins connue, mais sa Storia della colonna infame (Histoire de la colonne infâme), qui fait l'objet de ce projet de nouvelle traduction, est cependant elle aussi couramment (quoique moins systématiquement) étudiée à l'école, à l'instar de L'affaire Calas de Voltaire, texte avec lequel celui-ci a quelque parenté. La « colonne infâme » du titre désigne un monument qui fut édifié, par la volonté des juges, pour commémorer le pr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Très satisfait de la sentence de ses juges, le Sénat de Milan fait construire en 1630 une colonne en mémoire du supplice des deux accusés d'avoir répandu la peste dans la ville. Mais il s'avère par la suite que la sentence était injuste. En 1777, l'écrivain italien Pietro Verri dans ses Observations sur la torture démontre l'innocence des malheureux condamnés. La honte change de camp. L'infamie devient celle des juges. La colonne est détruite en 1778, mais l'inscription est conservée au château des Sforza à Milan.

C'est cet épisode que retient Alessandro Manzoni en 1821 pour en faire un chapitre de son roman Les Fiancés, avant de le retirer pour y consacrer une publication particulière qu'il intitule l'Histoire de la colonne infâme.
Reprenant les minutes du procès et les confrontant aux faits, il analyse, confronte, dissèque les déclarations, débusque les erreurs de procédure, dévoile les manoeuvres des juges et restitue, avec méthode autant que véhémence, leur innocence à ceux qui n'auraient jamais dû en être privés. On retrouve chez ce petit fils de Beccaria, moins la dénonciation de la torture -son grand père avait tout dit- que des conditions irrégulières de son emploi, selon la jurisprudence du temps. Même en des temps barbares, la procédure est une protection. Rudolf von Ihering l'affirmera quelques années après Manzoni : « Ennemie jurée de l'arbitraire, la forme est la soeur jumelle de la liberté ». La religion de l'aveu mène à tous les excès. Et les grands procès des temps obscurs de la peste, des relaps et des inquisiteurs ont des airs de famille avec les procès de Moscou et autres parodies chères aux régimes totalitaires qui confient aux accusés la rédaction de leur propre réquisitoire. On retrouve dans la démonstration de Manzoni la plume du Voltaire de l'affaire Calas, du Benjamin Constant de l'affaire Regnault, du Zola de l'affaire Dreyfus.
On trouve aussi dans la circulation des rumeurs, qui grossissent comme boule de neige, le mécanisme des fake news, qui se nourrissent aussi de l'envie de croire avant de vérifier. L'idée du gain d'argent par le débit de son électuaire va perdre le barbier Mora et son complice, le commissaire de le santé Piazza qui en barbouille les murs, sans besoin de vérifier l'hypothèse.

En préface au texte de Manzoni, le propos de Leonardo Sciascia est éclairant. Auteur du récit "Le contexte" (dont le film Cadavres exquis est tiré) il avait mis en scène un haut magistrat qui considérait l'erreur judiciaire comme une impossibilité ontologique : l'office du juge, dans la transsubstantiation de la loi qu'il met en oeuvre, réalise un acte sacré et infaillible, d'origine sacrée. de même dans ce siècle religieux, la peste est envoyée sur les mortels par la juste colère de Dieu contre les péchés. Mais voici que resurgit de l'Antiquité la figure de l'untore, le propagateur de l'épidémie, que vont traquer par tous les moyens les juges Monti et Visconti, y compris avec une promesse d'impunité aussitôt révoquée. Il sont devenus, dit Sciascia (p. 19) des "bureaucrates du mal".
S'agit-il de préserver l'innocence divine ? S'agit-il de chercher, et trop vite trouver, un coupable de l'épidémie.
Un petit grand livre, selon le mot de Sciascia (p. 14) !
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Voilà un essai époustouflant ! Paru en 1840, il raconte une affaire peu banale prenant place à Milan en 1630, en pleine épidémie de peste et par conséquent d'une psychose collective incontrôlable, où des innocents vont être torturés, condamnés, exécutés à partir d'aucune preuve, d'aucun fait avéré, tout ceci de manière absolument légale.

Une femme, Caterina ROSA, a vu, pas cru voir, mais bel et bien vu monsieur Guglielmo PIAZZA, commissaire à la santé, enduire les murs d'une rue de la ville d'un liquide gluant et jaunâtre. Elle attise elle-même la rumeur jusqu'à ce que le sieur PIAZZA soit arrêté. L'onguent en question, également badigeonné sur poignées et serrures, aurait répandu la peste au coeur de Milan. C'est le barbier Giacomo MORA qui l'aurait fabriqué puis fait appliquer par une tierce personne (PIAZZA) moyennant rémunération.

Un simple et minuscule fait divers devient rapidement une sorte d'affaire d'État. PIAZZA et MORA sont (illégalement) soumis à la torture à plusieurs reprises, ainsi que d'autres possibles complices. Car c'est bien la torture qui est au coeur de cet événement : les lois italiennes sont alors pourtant assez précises sur ce point et il est indéniable que dans cette affaire la justice les a bafouées. MANZONI s'applique à un travail minutieux d'historien pour dénoncer cette énorme erreur judiciaire. le liquide soi-disant assassin n'a pas été analysé, le seul témoignage de Caterina ROSA a suffi pour faire condamner deux innocents. Il paraît évident par ailleurs que PIAZZA n'était pas en train d'enduire les murs de cet onguent mais bien de frotter ses mains sur ce même mur après avoir écrit et tâché ses doigts d'encre.

Quoi qu'il en soit, il fallait des coupables durant cette période d'hystérie collective. Dans ses arguments, MANZONI passe au crible les mensonges, qui prennent une part prépondérante dans cette affaire : des mensonges de dame ROSA jusqu'à ceux de la justice qui devait à tout prix trouver des têtes pour l'exemple, rassurer la population. Bien sûr les mensonges de certains accusés qui finissent par raconter n'importe quoi sous l'effet des tortures à répétition.

Des tortures illégales qui d'ailleurs ne servent à rien puisque la conviction des juges est faite : PIAZZA et MORA sont coupables. Il faut lire ces pièces du procès où chaque « preuve » est faite par l'absurde : si un accusé donne un témoignage que le tribunal ne veut pas entendre, il ment. S'il donne une version contraire ensuite, il ment encore. Et comme si ce n'était pas assez, le propre fils de MORA va être arrêté, toute la famille va devoir déménager. Comble du raffinement : la maison de MORA sera détruite et à sa place sera érigée une colonne, la fameuse colonne infâme, rappelant les faits (inventés par la justice) et la culpabilité des accusés. MANZONI a repris le procès. Il s'appuie notamment sur l'essai de Pietro VERRI « Considérations sur la torture » (1777), où VERRI venait de prendre conscience de la gigantesque mise en scène dans cette invraisemblable affaire.

Témoignage de l'un des accusés, que l'on pourrait appliquer à chacun d'eux : « Je n'ai commis ni ce crime, ni aucun autre, et je meurs parce qu'une fois, dans un moment de colère, j'ai donné du poing dans l'oeil d'un de mes semblables (…). Je n'ai point de complices, parce que je m'occupais de mes affaires, et n'ayant point fait la chose, je ne pouvais avoir de complices (…). Votre Seigneurie peut faire ce qui lui plaira, je ne dirai jamais ce que je n'ai point fait ; je ne veux point damner mon âme. Mieux vaut endurer ici trois ou quatre heures de souffrances, que d'aller en enfer souffrir éternellement ».

Délirant : la colonne infâme survivra jusqu'en 1778. Plus tard il sera enfin reconstruit des bâtiments sur les ruines (il était stipulé sur la colonne qu'il ne devait plus jamais être bâti quoi que ce soit à cet endroit).

Cette « Histoire de la colonne infâme » devait à l'origine figurer dans le roman « Les fiancés » de MANZONI (1827), mais l'auteur gardera son idée bien au chaud pour en faire un vrai livre. le matériel dont je dispose n'est pas la dernière édition et ne comporte donc pas la préface d'Éric VUILLARD (c'est grâce à lui que j'ai découvert ce petit joyau) de la dernière réédition, mais il est indéniable que VUILLARD a dû s'inspirer de cet essai pour son oeuvre, tant les points communs d'approche sont nombreux. Ce bouquin est court, dense et percutant, il marque bien sûr une époque précise, mais peut être décliné éternellement pour mettre en exergue les erreurs judiciaires dans leur globalité, il en est peut-être un véritable cas d'école.

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En 1630, à Milan, des juges condamnèrent au supplice et à la mort des individus accusés d'avoir propagé la peste par des stratagèmes aussi insensés que non avérés. Ce jugement fut estimé si digne de mémoire que l'on construisit sur les ruines de l'habitation d'un de ces malheureux, une colonne dite infâme – détruite en 1778 – pour laisser à la postérité le crime et la peine. Par "Histoire de la colonne infâme", en 1840, Alessandro Manzoni a voulu relater cette condamnation d'innocents sous la torture et faire ainsi son «j'accuse».

Au départ, les faits sont simples, une femme aperçut de sa fenêtre un homme qui, tard le soir, longeait les murs et semblait les frotter avec les mains. Identifié et arrêté, l'individu mis au supplice finit par avouer qu'il cherchait à empoisonner la ville. Il fut ainsi poussé à livrer des complices et commanditaires et cita le nom d'un pharmacien qui aurait fourni l'enduit mortel, puis d'autres. Sous la douleur, qui ne dirait n'importe quoi pour qu'elle cesse ? Les lois sur la torture étaient incertaines à l'époque – mais elle était permise –, et, alors que la peste sévissait, la pression populaire était forte sur les juges : il fallait des boucs émissaires.

Ce beau petit livre, très soigné, est proposé par Zones Sensibles ; j'y ai particulièrement apprécié la préface d'Eric Vuillard et l'apostille de Léonardo Sciscia. le texte de Manzoni, bien que court, est plus ennuyeux, écrit dans une langue précise mais lourde, récit lent et détaillé de faits d'enquête judiciaire. On en retient surtout la légèreté avec laquelle des magistrats recoururent au supplice, s'affranchissant des quelques lois existantes ou les contournant. Dans l'apostille [revue en 1981 pour la version proposée], Sciscia insinue une analogie entre le procès, le supplice et la mort des propagateurs de la peste avec les camps d'extermination nazis : "Ces juges furent des «bureaucrates du Mal» ; et ils le savaient".

Eric Vuillard, enfourchant son cheval de bataille, explique en préface que "Histoire de la colonne infâme" était d'abord au départ une digression du grand roman historique de Manzoni "Les Fiancés". Il a fallu vingt ans à l'écrivain italien pour l'en détacher et en faire une sorte de pamphlet. La situation politique et sociale en Italie était nébuleuse, le Risorgimento se préparait : "[...] en dernière analyse, par-delà le chef-d'oeuvre du roman historique que sont réellement Les Fiancés, les malheurs de Renzo et Lucia, leurs tribulations, relèvent de l'artifice d'une intrigue, avec coups de théâtre, retrouvailles, sombres figures allégoriques, final heureux de convention. Et tout cela est insuffisant pour parler des problèmes véritables auxquels Manzoni et ses contemporains s'affrontent. Les péripéties des Fiancés se déroulent trop loin de la vie sociale réelle, et c'est pourquoi La colonne infâme s'en sépare."
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Lorsque l'injustice instrumentalisait la torture sous la pression populaire supposée, en 1630.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/07/03/note-de-lecture-lhistoire-de-la-colonne-infame-alessandro-manzoni/
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"Lecture fort instructive quant aux dérives que peut fomenter une situation exceptionnelle. "
Pierre-Romain Valère
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Et pour finir dans l’actualité la plus brûlante – en face des lois sur le terrorisme et de la semi-impunité qu’elle accorde aux terroristes, improprement qualifiés de repentis -, il convient de relire, extraites du troisième chapitre, les considérations que Manzoni avance à propos de la promesse d’impunité faite à Piazza : « Mais la passion est malheureusement habile et courageuse pour trouver des voies nouvelles, et pour éviter celle du droit, quand elle est longue et incertaine. Ils avaient commencé avec la torture de la souffrance physique, ils recommencèrent avec une torture d’un nouveau genre… » : et c’était celle de l’impunité promise, qui, plus que la torture, put convaincre Piazza d’accuser faussement, d’associer d’autres que lui, comme lui innocents, à son atroce destin. (Préface de Leonardo Sciascia)
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Et, chose qui, dans un roman, serait traitée d’invraisemblable, mais qu’explique trop bien l’aveuglement de la passion, il ne leur vint pas à l’esprit, ni à l’une ni à l’autre, qu’en décrivant pas à pas, la première surtout, les tours et les détours de cet homme dans la rue, elles n’avaient pourtant pas pu dire qu’il fût entré dans cette allée ; sans doute aussi ce n’était pas « grand-chose » que celui-ci qui, pour faire une pareille besogne, avait voulu attendre le lever du soleil, y fût allé avec si peu de circonspection qu’il n’eût pas même jeté un coup d’œil sur les fenêtres ; qu’il fût revenu tranquillement sur ses pas dans la même rue, comme s’il était d’usage aux malfaiteurs de s’attarder plus qu’il n’était besoin sur le théâtre de leur méfait ; qu’il eût manié impunément une matière faite pour donner la mort à ceux qui « en souillaient leurs vêtements », et tant d’autres invraisemblances également singulières. Mais le plus singulier et le plus atroce, c’est que ces invraisemblances n’aient pas paru telles au magistrat lui-même, et qu’il n’ait sur ce point demandé aucune explication. S’il en demanda, on s’étonne plus encore qu’il n’en ait pas été fait mention au procès.
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Le 21 juin 1630, vers les quatre heures et demie du matin, une femme de petite condition, nommée Caterina Rosa, se trouvait par hasard à une fenêtre d’une arcade qui existait alors à l’entrée de la rue de la Vetra de’ Cittadini, du côté qui donne sur le cours de la Porte du Tessin, presque en face des colonnes de San Lorenzo. Cette femme vit s’avancer un homme vêtu d’une cape noire, ayant son chapeau sur les yeux, et dans une main un papier « sur lequel, dit-elle dans sa déposition, il appuyait l’autre comme pour écrire ». Elle l’aperçut qui, à l’entrée de la rue, « s’approchait le long des maisons qui sont tout de suite après qu’on a tourné le coin et qui, de distance en distance, traînait ses mains sur le mur. Alors, ajoute-t-elle, il me vint à l’idée si par hasard ce ne serait pas un de ceux qui, ces jours passés, mettaient quelque chose après les murailles. » Agitée d’un tel soupçon, elle passa dans une autre chambre qui regardait la rue dans sa longueur, pour ne pas perdre de vue l’inconnu qui allait toujours son chemin : « et je vis, dit-elle, qu’il avait encore ses mains sur la muraille dont j’ai parlé ».
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Les juges qui, à Milan, en 1630, condamnèrent aux supplices les plus atroces quelques individus accusés d’avoir propagé la peste, à l’aide de certaines inventions non moins stupides qu’elles étaient horribles, crurent avoir fait une chose tellement digne de mémoire que, dans la sentence même, après avoir ordonné, par surcroît de châtiments, la démolition du logis d’un de ces malheureux, ils décrétèrent encore que, sur l’emplacement de cette maison, serait élevée une colonne qu’on appellerait la Colonne infâme, avec une inscription chargée de transmettre à la postérité, avec la connaissance du crime, le souvenir de la peine. En quoi ils ne se trompèrent pas. Ce fut là, sans nul doute, un jugement mémorable.
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Heureux les jurés s'ils arrivèrent à l'audience bien persuadé qu'ils ne savaient encore rien ; s'il ne leur resta dans l'esprit aucun retentissement des rumeurs du dehors, s'ils se souvinrent qu'ils étaient non pas le pays, comme on le dit souvent par une de ces métaphores qui font perdre de vue le caractère propre et essentiel de la chose, métaphore cruelle et sinistre dans le cas où le pays a déjà formé son jugement sans en avoir eu les moyens, mais des hommes exclusivement investis du pouvoir sacré, nécessaire, terrible de décider si d'autres hommes sont coupables ou innocents. (p. 48)
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