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Critique de Alzie


Alzie
16 septembre 2018
Un mariage qui tombe à l'eau le jour même de sa célébration : le curé refuse d'officier prétendant qu'on le menace de mort s'il ose unir les deux tourtereaux ! le fiancé, Renzo, tombe des nues lorsque Don Abbondio finit par lui avouer de quoi il retourne... le portrait en pleutre de l'ecclésiastique distille déjà une plaisante ironie. Sa réputation de couard établie et validée par sa gouvernante Perpetua, le lecteur ne doute plus qu'elle lui collera durablement à la soutane tout au long du roman. C'est l'entrée en matière disons réjouissante de cette « histoire milanaise au XVIIe siècle » (sous-titre qui annonce les très belles pages du début sur le lac de Côme), à propos de laquelle Manzoni écrivait à son ami français Fauriel, en 1822, pendant qu'il travaillait à Fermo e Lucia (Les Fiancés en sont la deuxième mouture épurée, profondément remaniée, publiée en 1825/1827) : « A cet effet je fais ce que je peux pour me pénétrer de l'esprit du temps que j'ai à décrire, pour y vivre. Il était si original que ce sera bien ma faute si cette qualité ne se communique pas à la description ».

Qui sont les fiancés et pourront-ils un jour convoler ? Tel est le sujet. Ce couple empêché est formé d'un jeune fileur de soie, Renzo, qui ne s'en laisse pas trop conter par le curé récalcitrant et sa promise, l'obéissante Lucia, bien plus perméable que lui aux préceptes de la religion. En but à l'officiant qui contrarie leur projet Renzo découvre bientôt tous les dessous scandaleux à l'affaire. Commanditée par le seigneur du coin Don Rodrigue qui convoite en fait Lucia sa chaste dulcinée. Maître sans scrupules qu'assiste une bande d'affidés peu recommandables pour faire régner un ordre de terreur sur les populations environnantes.

Nous sommes en lombardie sous occupation espagnole, au XVIIe siècle. Un temps de misères politiques et sociales où la religion régit les âmes en s'appuyant s'il le faut sur un pouvoir civil qui ne dédaigne pas non plus les abus, les édits obscurs, les jugements avariés ou dévoyés. Où Autorités royales, princières et militaires, espagnoles, vénitiennes, germaniques et françaises et cohorte d'officiers et de ministres d'Eglise se font face avec à leurs pieds le petit peuple ! Un "temps de crasse pompeuse" dont Manzoni a méticuleusement réuni les archives (entre autres les écrits d'un témoin de l'époque Ripamonti) pour documenter les quelques huit cents pages de son roman fleuve, le seul qu'il ait laissé mais dont il a écrit trois versions.

Après ce début corsé la mère de Lucia, Agnese, a tôt fait de souffler à Renzo furieux une parade aussi obscure que le refus du curé, pour déjouer l'affront du potentat Rodrigue. Les stratégies d'Agnese et de Rodrigue font mouche et ne tardent pas à se télescoper donnant lieu à une scène nocturne, au son du tocsin, digne des meilleures épopées. Mais Don Rodrigue devient vite un sous-tyran comparé à celui dont il sollicite bientôt les services, appelé "l'Innomé", pour activer son plan de rapt de Lucia. Ce super tyran au-dessus du tyran qui fait son apparition dans un rôle de converti assez improbable à la moitié du livre lui impulse une nouvelle direction très inattendue...

Quelques chapitres supplémentaires permettent une mise au point. Ce brave curé de Lecco n'est sans doute qu'un contre modèle utile aux intentions littéraires ou plus moralisatrices de l'auteur. Face à lui deux autres figures d'ecclésiastiques offrent un contraste édifiant d'exemplarité et de courage : le cardinal Frédéric Borromée et le capucin Cristoforo sorte d'ange gardien des fiancés. le curé de campagne est bien à mille lieues de l'ardeur exaltée de ces deux là, ou de la foi de L'Innomé, à dispenser sans relâche et quelles que soient les circonstances la parole salvatrice de l'idéal chrétien ! Idéal dont Manzoni se réclame et dont il est le chantre plus modéré au début du XIXe siècle estimant que la littérature doit porter un message de vérité moralement utile par le biais de l'Histoire. Et plus précisément par les événements qu'il décrit dans ce Milanais sous domination étrangère au moment de la succession du duché de Mantoue. Guerre, famine et épidémie de peste qui en découlèrent notamment à Milan laissent leur macabre référence sur plusieurs longs chapitres de la deuxième moitié du roman en faisant planer une ombre sur son issue...

La visée extrêmement moralisatrice du roman paraît pesante aujourd'hui. On peut y lire aussi la philosophie de l'histoire de l'auteur avec le peuple des humbles embarqué et englouti dans l'indifférence de son cours : Agnese, Renzo, Lucia et tous leurs amis en font partie, pris en étau entre "le sabre et le goupillon". Un monde sans pitié pour eux mais dans lequel ils sont déterminés à vivre quoi qu'il en coûte. La "pêche" de Renzo et l'esprit combinard d'Agnese font merveille sur ce terrain. Plus loin c'est encore une religieuse protectrice de Lucia et sa mère, Gertrude, double de la religieuse de Monza, qui offre au lecteur à travers des considérations sur les conditions troubles de sa vocation forcée, la première des énooooormes digressions qui ont été si vivement reprochées à Manzoni dès la première parution.

Si tous les événements historiques et leurs digressions savantes servent les rebondissements de l'intrigue et donnent le pouls d'une époque, comme l'espérait Manzoni dans sa lettre à Fauriel, ils ont tendance à couper le lecteur du fil romanesque et ne sont pas sans incidence sur le rythme du récit. Les fiancés et leurs comparses disparaissent parfois pendant plusieurs chapitres… Il faut s' y faire ou bien tout lâcher en rase campagne. Choix délibéré de donner cette amplitude à de tels développements en y ajoutant même des commentaires. Rigueur d'un écrivain très sourcilleux qui précise en introduction comment il s'est permis d'agencer l'histoire. Mais l'historien et le romancier cohabitent ici plus qu'ils ne convolent, seul petit bémol dans un plaisir global de lecture que la préface de l'édition folio introduit très bien (Giovanni Macchia).

Macchia éclaire la genèse du roman et le resitue dans l'histoire de la littérature italienne et européenne depuis le XVIIe siècle, il voit Manzoni qui a lu les deux plus proche de Sterne que de Scott. Il pointe tout particulièrement l'énorme travail de création de son auteur (plus connu pour sa poésie et ses tragédies) et ses intentions, dans le contexte politique et culturel italien du début du XIXe siècle qu'on ne peut laisser de côté. On comprend pourquoi Manzoni s'échina après la première publication pendant de si nombreuses années à « toscaniser » Les Fiancés, travaillant le style et la langue de son roman afin de le rendre plus accessible à ses lecteurs, jusqu'à ne valider la publication définitive qu'en 1840/1842. L'oeuvre fait date en Italie où elle eut un immense succès et un retentissement tout aussi considérable alors que l'idée de l'unité commençait à germer. La littérature est souvent partie prenante de l'histoire des nations. Il existe également une autre préface passionnante sur Manzoni (René Guise) jointe à une édition plus ancienne de 1968, en deux volumes, des Fiancés, (éditions du Delta), dont j'ai lu le premier tome seulement achevant ma lecture avec cette édition poche par commodité de format.







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