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Georges Kassai (Traducteur)Zéno Bianu (Traducteur)
EAN : 9782253082866
448 pages
Le Livre de Poche (20/09/2006)
3.98/5   64 notes
Résumé :
Antifasciste avant la guerre, "ennemi de classe" sous l'ère soviétique, témoin d'un monde qui se délite, Saindor Marai connut avant son exil officiel vers les États-Unis un tragique exil intérieur. Rédigés vingt ans après les événements évoqués, ces Mémoires composent une fresque saisissante de la Hongrie à une époque cruciale de son histoire et mettent en lumière le trajet bouleversant de l'auteur des Braises. Avec verve et sensibilité, Marai raconte l'entrée victo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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« La nuit était calme, le train s'ébranla sans bruit. Quelques instants plus tard, nous laissâmes le pont derrière nous et poursuivîmes, dans la nuit étoilée, notre voyage vers un monde où personne ne nous attendait. Pour la première fois de ma vie, j'éprouvai un terrible sentiment d'angoisse. Je venais de comprendre que j'étais libre. Je fus saisi de peur. »

Il existe des découvertes littéraires qui s'impriment durablement dans la mémoire d'une lectrice. C'est exactement ce qu'il m'est arrivé dès les premières pages de ma lecture et comme les mots me manquent pour définir mon ressenti, je retranscris une critique du magazine LIRE :

« Marai ? C'est la littérature en manteau de vison, la petite musique d'une écriture mozartienne, l'élégance d'une aristocratie de l'esprit ».

Sandor Marai est doué, sa prose est percutante, talentueuse. Mais sa plume est aussi redoutable, ironique, mordante, d'une analyse sans concession des travers de l'être humain.
Sa façon de brocarder le monde politique comme ses semblables plus opportunistes les uns que les autres, sont des instants savoureux malgré la sombre période. Son observation, sa justesse de ton et sa clairvoyance en font un auteur hors du commun.

Journaliste, chroniqueur, poète, traducteur – il traduira Kakfa – auteur dramatique, admiré dans son pays pendant la période de l'entre deux guerres, il fut longtemps oublié à la suite de son exil volontaire aux Etats-Unis en 1948. Redécouvert grâce aux Editions Albin Michel dans les années 1990, il fait partie du cercle de ces écrivains exceptionnels de la Mitteleuropa comme Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler et Robert Musil.

A partir de 1943, il rédige des carnets de note qui seront édités plusieurs années après, ce formidable témoignage se veut un ouvrage à la fois politique, historique et autobiographique.

« Mémoires de Hongrie » est à rapprocher de « le Monde d'hier : souvenirs d'un européen » de Stefan Zweig. Sandor se suicidera à l'âge de quatre vingt neuf ans, veuf et dans un isolement assez difficile ! Ces deux livres sont, pour nous, aujourd'hui, des documents d'une grande valeur.

« Mémoires de Hongrie » commence avec l'entrée des soviétiques dans la Hongrie de 1944 afin de libérer celle-ci des nazis, pour se terminer au moment de l'exil de l'auteur vers les Etats-Unis en 1948. Antifasciste, démocrate convaincu, opposant à toute forme de régime totalitaire, marié à une femme d'origine juive, le couple Marai quitte Budapest pour se réfugier à la campagne. C'est là qu'ils vont assister à l'entrée victorieuse des chars soviétiques. Contraints et forcés, ils vont devoir cohabiter avec des soldats russes pendant un certain temps. La découverte de l'Autre, cet inconnu, incite Sandor à regarder avec curiosité teintée d'inquiétude, le fonctionnement de ces slaves venus d'orient, un peu comme on étudie le petit peuple des fourmis et c'est cette distanciation qui rend le récit instructif. D'origine russe par ma mère, c'est la curiosité qui m'a poussée à ouvrir ce livre, quel regard pouvait-on porter sur ce peuple ?

Je fais ici un aparté : Sandor constate que les soldats sont passionnés par les montres, les réveils. Ce sont des enfants plutôt sauvages et imprévisibles. Ce qui me rappelle une anecdote que racontait mon grand oncle français : prisonnier en Allemagne, il fut libéré par les russes. Il a vu un soldat soviétique demander à un prisonnier de lui faire deux montres dans un réveil, le prisonnier lui disant que c'était impossible, le soldat lui a tiré une balle dans la tête.

Revenons à Sandor Marai. Très imprégné de la culture occidentale, Sandor éprouve quelques difficultés à entrer dans la psychologie des soldats russes. Il les interroge et il s'interroge, il reste perplexe devant la personnalité de ces hommes et se pose la question de leur venue en Hongrie.

A l'issue du siège de Budapest, le couple retourne vivre dans les décombres de la ville qui annoncent les décombres de la pensée, des valeurs, des institutions magyares que les communistes vont petit à petit faire disparaître au profit d'un régime totalitaire. La Hongrie bascule d'une catastrophe vers une autre. Après la Première guerre mondiale, le traité de Trianon découpe la Hongrie, bouleverse ce pays. de nouveau, la Seconde guerre mondiale étouffera ce pays sous le joug communiste.

Sandor Marai assiste et note la manière dont l'installation graduelle du régime communiste s'effectue. La mise en place de la Terreur dans l'immeuble du 60, rue Andrassy à Budapest, l'abandon de l'esprit critique, l'abandon de la liberté d'écrire de l'écrivain sacrifiée au profit de la censure, les purges.

Le remplacement des politiques par des hommes corrompus à la solde de Moscou, des hommes sans conviction mais terriblement opportunistes, l'élimination de la bourgeoisie hongroise, dépossédée de ses biens pour mieux profiter aux nouveaux dirigeants, les sociaux démocrates sont balayées, c'est l'heure des chaises musicales, des uniformes remplacent d'autres uniformes.

Et dans cette période, privé de tout d'autant plus qu'il est un écrivain, Il écrit « Un médecin m'apprit que le nombre des suicidés était désormais plus élevé que durant la guerre ou au lendemain du siège, pendant les premiers mois de l'occupation russe, afin de fuir cette terrifiante absurdité. »

Malgré ces évènements dramatiques, il souhaite rester dans son pays avec l'espoir de faire vivre la langue hongroise. C'est désespéré qu'il en arrive à cette conclusion :

Si je décidais de rester, je me verrais soumis à cette technique mystérieuse du lavage de cerveau, plus dangereuse encore que les menaces physiques, ces drogues par lesquelles, dans les prisons et dans les chambres de torture, les geôliers cherchent à annihiler la conscience des détenus. Je serais alors contraint d'anéantir volontairement mon moi protestataire. Car c'était bien cela qu'ils visaient. Et ils disposaient à cet effet de méthodes perfectionnées et tous ceux qui tombaient entre leurs mains finissaient par perdre le sens des réalités et de leur propre destin, Il arrive nécessairement un moment où, par lassitude, indifférence ou désespoir, l'individu finit par admettre que tel est l'ordre des choses. La liberté n'est pas un état permanent mais une aspiration continue, que le lavage de cerveau cherche précisément à annihiler. L'individu qui le subit finit, un jour, par ne plus désirer la liberté en se persuadant qu'il y a renoncé « dans l'intérêt du peuple ».

C'est un récit passionnant, à aucun moment je ne me suis ennuyée si ce n'est juste au milieu du livre où Sandor se pose la question de l'éthique chez l'écrivain que j'ai trouvé un peu long. Après cette lecture intense, je vais m'attacher à la découverte de « Les Braises ». Quelque soit le fond, je peux vous affirmer que la forme est magnifique.
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Dans ses « Mémoires de Hongrie » Sándor Márai revient sur des années sombres de l'histoire de la Hongrie, petit pays d'Europe centrale, envahi par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale, puis tombée aux mains des Soviétiques.

Ecrivain, considéré comme bourgeois, il va tout perdre : d'abord son logement et toute sa bibliothèque, détruits par des bombardements puis peu à peu avec la bolchevisation de la société, la possibilité de vivre de sa plume. Partagé entre le désir de rester pour continuer à défendre sa langue, sa culture, son peuple, il finit par se rendre à l'évidence : plus rien n'est possible dans un pays dominé par la terreur, ou plus aucune liberté n'existe, où les valeurs d'humanisme qu'il a défendu sont devenues suspectes, voir criminelles.

N'étant plus autorisé à se déplacer librement, ayant abandonné son travail de chroniqueur, voyant disparaître une à une ses connaissances, seul dans une ville en ruines, ressentant la solitude d'un petit pays oublié de tous, il prend la décision en 1948 d'émigrer.

Il nous fait partager l'histoire de son pays, ses combats de naguère contre les envahisseurs ottomans, autrichiens, sa littérature encore peu connue mais riche, les difficultés liées à une langue rare, très peu parlée dans le monde. Des anecdotes également sur la vie en Hongrie, avant, pendant et après la guerre, avec les Allemands puis l'arrivée des Russes. Enfin l'instauration d'un régime qui nie toute humanité. Il prend conscience au fil des pages qu'il va devoir partir pour éviter la mort ou le renoncement au sentiment d'appartenir à un peuple libre. Un très beau livre.
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Föld, Föld ! ...
Traduction : Georges Kassai & Zéno Bianu

ISBN : 9782253082866

Deux extraits de "Mémoires de Hongrie" sont disponibles sur Babelio


Ces "Mémoires ..." débutent lors de la victoire définitive des troupes soviétiques sur l'éphémère gouvernement fasciste de Ferenc Szálasi, que les Nazis avaient mis en place en 1944. Nous sommes donc en avril 1945 et c'est, pour les Hongrois, le premier contact avec l'occupant soviétique qui, peu à peu, va s'installer et mettre le pays en coupe réglée avant d'y instaurer à son tour un gouvernement inféodé à l'URSS. le livre s'achève lorsque son auteur se décide enfin à quitter son pays natal, dans la seconde moitié de 1948, soit à peu près un an avant la proclamation officielle de la toute nouvelle République populaire de Hongrie, le 20 août 1949.

C'est dire que ces quatre-cent-quarante-cinq pages, en édition de poche, sont loin d'être animées par l'esprit de la joie ou par celui de l'espérance. Résolument hostile à tout totalitarisme, Sándor Márai a toujours été considéré comme un écrivain avec qui il fallait compter, même à l'époque du Régent Horthy, puis de l'Occupation nazie. Comme il a toujours pris soin de se tenir à l'écart de tout clan littéraire ou politique, il a pu mener, jusque durant les années les plus sombres qui ensanglantèrent l'Europe, une vie relativement normale, voire protégée - ce dont, d'ailleurs, il ne se cache pas et qu'il ne regrette pas. L'entrée en scène effective des nazis y met plus ou moins fin car l'épouse de l'écrivain, Ilona, est d'origine juive. du coup, les Márai doivent fuir Budapest, où ils avaient leurs aises, et faire profil bas. Mais cela ne durera qu'un an : l'arrivée des Soviétiques, plus préoccupés de piller ce pays que les aléas de son histoire et l'incurie de ses dirigeants ont placé, en cette après-guerre, dans le camp des vaincus, que de se soucier de l'origine ethnique et religieuse d'un tel ou d'une telle, leur sauve la mise.

Cela n'empêche pas Márai, pour qui son pays est simplement en train de troquer un totalitarisme pour un autre, de s'interroger sur la nature du Slave, et particulièrement du Slave communiste. S'il y a bien un écrivain pour qui le mot "intellectuel" semble avoir été inventé, c'est bien Márai qui, à partir de la victoire des Alliés et des Soviétiques, ne va plus cesser, semble-t-il, de s'interroger.

Sur la Hongrie du passé, bien sûr, qu'il nous représente comme en pleine déliquescence et dansant, il est vrai comme tant d'autres nations à cette époque, sur un véritable volcan. Sur son propre rôle sous le gouvernement Horthy : aurait-il pu - aurait-il dû déjà - choisir l'exil et non rester là, sur place, à travailler sur des romans dont l'un, "Les Braises", fut, malgré ou en raison de l'époque, un véritable succès de librairie ? Au fait, pourquoi n'est-il pas parti ? Mais parce que pour lui, sa patrie, c'est la langue hongroise ! Et il faut savoir - Márai nous l'apprend en des pages passionnantes - que le hongrois est une langue finno-ougrienne, appartenant donc à la famille des langues ouraliennes et sans aucun rapport avec les langues indo-européennes. Cette langue, parente du finnois, de l'estonien et du livonien, ne se parle qu'en Hongrie - et dans quelques rares "poches" magyares comme en Roumanie et en Slovaquie, par exemple. Parler le hongrois à l'étranger, Márai s'en sentait bien la force, mais pas trop longtemps : pour créer, pour écrire, il lui fallait son pays. Voilà, en tous cas, ce qu'il nous affirme. Cela peut étonner mais l'écriture a ses lois que la raison ignore ...

Bien entendu, Márai s'interroge aussi sur le communisme, sur le marxisme, sur le fascisme, sur la lâcheté, sur la médiocrité ... Un rien le fait, nous l'avons dit, tomber dans des abîmes de réflexion. Mais ses meilleures pages sont, sans conteste, celles où il ne s'interroge pas - ou alors très peu : celles sur sa langue maternelle ou encore celles sur la littérature de son pays.

D'où vient alors que l'on peine à achever ce livre, pourtant bourré de détails et d'anecdotes plus intéressantes les unes que les autres ?

Ce n'est ni une question de style, ni une question de talent mais bel et bien une question de "feeling", comme diraient nos amis anglo-saxons. En effet, il devient très vite difficile, pour ne pas dire impossible, de souscrire sans se rebeller à l'égocentrisme forcené dont, du début jusqu'à la fin et, semble-t-il, sans qu'il en ait la moindre conscience, fait preuve l'écrivain hongrois. Les tribulations de sa patrie, les événements qui la font et la défont, les bombes, les morts, les occupants qui passent ... on dirait que rien de tout cela n'aurait de sens si Márai ne le rapportait directement à lui. Qu'il l'ait voulu ou non, il émane du portrait qu'il nous donne de lui-même une arrogance incroyable - celle de l'Homme-Supérieur-Qui-Est-Seul-A-Detenir-La-Vérité, attitude, soit-dit en passant, hautement totalitaire par excellence.

Comme l'écrivain connaît son métier ; comme, pourvu qu'il en soit sacrée victime première et principale, il se passionne réellement pour les tempêtes de l'Histoire ; comme il aime, en outre, parler langue et littérature, son lecteur n'en continue pas moins à avancer, cahin-caha, dans ces "Mémoires de Hongrie" qui en disent long sur une époque de chaos et d'illusion. A lire, donc mais en songeant que l'on s'apprête à écouter une causerie tout à fait passionnante, malheureusement faite par un homme terriblement aigri, dont on perçoit avec gêne l'atrabilarité obstinée et orgueilleuse, lequel, pour couronner le tout, se double d'un orateur trop sûr de lui, qu'afflige en outre une voix de fausset ou de rogomme. ;o)
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Mémoires de Hongrie, Sandor Marai a écrit, publié en 1972, il avait quitté la Hongrie en 1948.
Ses mémoires couvrent les années 1944 à 1948.
Deux parties les constituent, la première raconte, restitue, l'arrivée et l'occupation des soldats soviétiques (ils combattent les allemands et libèrent le territoire). Sandor Marai nous en livre son témoignage, étonnant.
Parce qu'il s'attache à des détails profondément humains. Il observe. Il cherche à pénétrer le coeur et l'âme de ces soldats soviétiques, pourtant impénétrables, il cherche le pour... quoi et le pourquoi. Son regard magyar, profondément revendiqué, l'amène à examiner ces soldats soviétiques sous un angle culturel et apparaissent l'emprise de soviétisation, l'entreprise d'anéantissement de la personnalité.
Nonobstant, Sandor Marai, s'attachant tellement à observer et à comprendre, donc à apprendre, qu'il réussit à rendre abordables, voire aimants, ces soldats, eux aussi sous emprise, soldats d'une libération qui n'apportera pas la liberté.
La deuxième partie du livre se situe à la fin de la guerre, et court donc du printemps 1945 à 1948.
L'oeuvre alors s'échappe du cadre simple du témoignage. En effet, il nous est offert à découvrir, à comprendre et à aimer, cette Hongrie ratatinée en 1920, spécifique par sa langue qui ne se rattache à aucune langue en Eurasie excepté le Finnois.
Je me suis alors souvenue de mes lectures d'Agota Kristof qui avait tant souffert de la perte de sa langue.
Dans cette deuxième partie, Sandor Marai fait oeuvre d'historien de la littérature et donc de la Nation. Entre Germains et Slaves, entre Occidentaux et Orientaux, entre Chrétiens et Ottomans, Sandor Maraî explique avec une belle lucidité et une clarté unique l'originalité de "sa" Hongrie.
Ecrit en 1972, Sandor Marai est mort en 1989, il n'a pas vu l'effondrement du communisme soviétique, il n' a pas vu l'éclatement des frontières (et la Hongrie y a bien contribué), il n'a pas vu l'intégration de la Hongrie dans l'Europe (une Europe dont il rêve me semble-t-il, mais pas forcément la même)...
A lire ce "petit" ouvrage de mémoires, j'y ai trouvé tous les fils pour re-voir d'un oeil plus vif et avec un champ élargi, la place de cette nation en Europe et revoir également notre présentation (française) de l'histoire de l'Europe.
Cette Europe dominante qui a trianonisé une de ses soeurs, l'a réduite à presque rien, a ignoré sa culture et son histoire, l'a considérée comme tout juste bonne à faire le tampon entre l'Orient et l'Occident et à absorber, éponger les dégâts collatéraux. Comme tout au long du XXème siècle. Alors rien d''étonnant.
Les Mémoires de Hongrie de Sandor Marai, c'est un trousseau de clés pour appréhender la Hongrie d'aujourd'hui, pour l'aimer aussi.
Donc c'est une oeuvre d'historien, écrite avec le style fluide et bienveillant d'un magnifique écrivain.
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La littérature hongroise, qui prétend la connaître ? En France, elle est quasiment inconnue. Deux-trois noms sortent du lot, mais sinon, c'est le vide. Et pourtant ! La Hongrie n'a pas à rougir de sa littérature ! C'est ce qu'avait bien compris Ibolya Virag au début des années 90, lorsque les éditions Albin Michel la laisse en charge de leur collection "Les grandes traductions". Virag va alors en profiter pour faire découvrir la littérature de son pays natal en France, et grand bien lui en a fait !

Bon, j'avoue que les Mémoires de Hongrie de Sandor Marai est le seul livre hongrois que j'ai lu, et que je ne connaissais rien de l'auteur, sauf qu'il me faisait un peu penser à Stefan Zweig. Mais franchement, quel livre ! On ne s'ennuie pas une seconde !
De l'invasion allemande au début de la Guerre à celle du communisme, ces mémoires ne sont pas simplement une retranscription des événements, c'est aussi pour l'auteur l'occasion de réfléchir sur la Hongrie. Il écrit sur la place de la Hongrie dans l'Europe, l'identité hongroise, la littérature hongroise par rapport aux autres...Et nous permet de découvrir un pays que l'on ne connaît que trop peu, et qu'on range trop vite dans le placard 'pays satellite de l'URSS qui s'est reconverti en usine géante'.
Et tout cela passe à merveille grâce à une traduction excellente, et surtout grâce au style de Marai, qui se lit avec un plaisir rare. Intelligent et cultivé, l'homme était cruellement conscient que sa nation était oubliée dans l'engrenage mondial, et qu'elle était vouée à rester éternellement sur le côté, sans voir ses plus grandes oeuvres atteindre le reste de l'Occident. Encore aujourd'hui, même si la situation s'est amélioré, pas grand chose n'a vraiment changé !

Mais ce qui rend ce livre si mémorable, c'est cette façon crue de voir la vérité et de retranscrire la douleur, la colère, et les questions qu'elle inspire. Témoignage d'une rare lucidité, Mémoires de Hongrie est un must-read pour tous les lecteurs.
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Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
L'inflation, cette invisible hémophilie, avivait le ressentiment. En cette phase du grand procès historique, ce n'était plus la bourgeoisie et la classe ouvrière qui se dressaient l'une contre l'autre, mais les paysans et les autres couches de la population. Certains propagandistes sournois s'efforçaient d'accréditer auprès de l'opinion publique le mythe d'une paysannerie détentrice de forces "vives" "ancestrales", sur lesquelles reposerait l'existence de la nation. Or, la grande majorité de la société hongroise ne voyait dans les paysans que des citoyens travaillant dans l'agriculture, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que le reste de la population. (La Ligue des droits de l'Homme existait déjà mais personne ne songeait à fonder La ligue des devoirs de l'Homme!). Dans un geste de générosité quelque peu ironique, les communistes distribuèrent la terre aux paysans et attendirent, riant sous cape, le moment où ils allaient pouvoir les chasser à coups de gourdin, comme ils avaient chassé les grands propriétaires. Le procès millénaire dont l'enjeu était le sort des paysans sans terre, victimes d'une spoliation éhontée, faisait désormais partie d'une stratégie cynique et grotesque. Il fallait le conclure en Hongrie, comme il l'avait été auparavant à l'Ouest. Se frottant les mains, les communistes jouaient au Père Noël tout en sachant que leur "réforme agraire" ne faisait qu'inaugurer un nouveau servage, plus inhumain encore que celui qu'on avait aboli au siècle précédent.

Les paysans pourtant se méfiaient. Certes, ils acceptèrent la terre - mais sans l'enthousiasme prévu, espéré par leurs "bienfaiteurs". A vrai dire, ils se demandaient comment finirait cette fabuleuse distribution de cadeaux.

Page 201
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Au cours des trois semaines suivantes, nous eûmes l'occasion de nous familiariser avec la structure de l'Armée Rouge. En 1939, lors de l'agression des puissantes troupes soviétiques contre la petite Finlande, la lenteur de leur avance avait fait dire à certains commentateurs qu'elles avaient "dissimulé" leur force pour mieux tromper les Allemands…..Était-ce le cas ? Nul n'en sait rien. Mais en janvier 1945, l'Armée rouge nous révéla son omnipotence. Cette fois, il n'y avait plus rien à "camoufler", l'état major soviétique avait bel et bien jeté toutes ses forces dans la bataille.

Nous ne pouvions mesurer l'importance numérique de cette armée : parfaitement équipées, affluant sans cesse et de toutes parts, ses troupes nous donnèrent une fascinante démonstration de leur redoutable puissance. Nous fûmes tout particulièrement impressionnés par l'inexorable détermination avec laquelle les soldats s'appropriaient toute chose, exécutant leurs ordres sans le moindre ménagement, toujours plus obéissants, toujours plus soumis, impitoyables entre eux et vis-à-vis de la population civile. En quelques heures, le village était devenu méconnaissable.

page 69
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En cette phase de la guerre, je n'étais pas le seul - moi, écrivain hongrois "bourgeois" vivant dans une maison de la campagne magyare - à me tourner avec un intérêt anxieux vers les Russes : Anglais, Français, Américains les observaient également et s'interrogeaient, plutôt perplexes, sur leur comportement. Voilà un grand peuple qui, au prix d'immenses sacrifices, avait, à Stalingrad, renversé le cours de l'Histoire universelle - et l'homme que j'avais rencontré dans l'après-midi était manifestement l'un des témoins de cette force.

Pour les persécutés du nazisme, ce jeune Russe apportait une sorte de libération : il les délivrait de la terreur nazie. Mais il ne pouvait leur apporter la liberté - car lui-même ne l'avait pas. Ce que tout le monde ne savait pas encore.
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Pourtant, il existait aux yeux de chacun quelque chose de plus précieux encore que le pain, que l'emploi, que tout ce qu'il risquait de perdre à l'issue de la grande épreuve qu'il subissait - à savoir l'estime de soi. Après tant de mensonges, tant de parodies éculées, la population avait compris que le fait même de lui imposer une doctrine à laquelle elle ne croyait pas constituait la plus grande des menaces. Adhérer "sincèrement" à une idée qu'elle méprisait - quelle absurdité ! Le pouvoir prétendait nous priver d'un droit plus important que n'importe quel rôle social, plus important que le bien-être ou la carrière : celui de rester des hommes et des femmes dignes de ce nom, c'est-à-dire libres de construire, selon leurs convictions, la société au sein de laquelle ils entendaient vivre.

pages 332/333
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[...] ... La génération des grands écrivains français restait présente, certes, et les journaux évoquaient toujours quelques grandes oeuvres en chantier. Mais cet inventaire ne me paraissait guère convaincant : le Livre était bel et bien en crise. Malgré quelques grands noms, l'espoir de voir les livres "répondre" [= aux grandes questions de l'après-guerre] se dissipait. Qui demeurait encore après la Seconde guerre mondiale, qui avait survécu au second quart du siècle ? Valéry était là, et son esprit méditerranéen jetait toujours des étincelles. La sincérité d'un Gide, ce condensé intellectuel, puissant comme quelque solution chimique, bouleversait encore ses lecteurs. Camus, l'homme d'un seul livre ("L'Homme révolté"), demandait la parole mais il n'eut pas le temps de délivrer son message. Les feux d'artifice forains de Giraudoux appartenaient désormais au passé. Martin du Gard, lui, avait déjà rejoint le Panthéon de la littérature bourgeoise, aux côtés de Flaubert et de Maupassant : semblables à l'inscription "Défense d'uriner" rappelant au public qu'il est interdit de profaner certaines statues, les jaquettes de ses livres avertissaient le lecteur qu'il convenait de respecter un tel monument. Malraux se demandait déjà s'il allait échanger son statut d'écrivain contre celui d'un condottiere - avec droits à la retraite - dans un régime paranoïde dont seul une feuille de figuier masquerait le caractère dictatorial. Montherlant continuait imperturbablement à se vanter de sa virilité - ce qui, à tout le moins, était piquant. Et en toile de fond, grandissait sans fin l'ombre de Proust, son oeuvre émerveillante, redoutable, infernale, dont les fumées sulfureuses couvraient jusqu'aux horreurs du siècle. Proust ... assurément le sommet de ce qui avait fleuri au cours du siècle dans la grande génération de la littérature française. Pourtant, et manifestement, le Livre n'était plus ce qu'il avait été : ce "lieu privilégié" qui naguère faisait encore autorité et avait voix au chapitre dans les grandes affaires de l'humanité. Ce qui ne manquait pas d'inquiéter. ... [...]
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« Les braises », de Sandor Marai, c'est à lire au Livre de poche.
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