"Alors , dit Sancho, le proverbe vient à point : dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es."
(
Cervantès, "Don Quichotte")
"
Notre vénérée chérie" ("Burnt Offerings", 1973) est un honnête et efficace roman de terreur, qui ne dépareille pas parmi les joyaux du genre comme "La maison d'à côté" de Siddons, "
Walhalla" de
Masterton, ni même "Shining" de King.
Mais je vais commencer autrement...
Il y a quelque temps, j'ai vu un film d'horreur français appelé "Livide". Malgré la présence de
Catherine Jacob,
Béatrice Dalle et la danseuse
Marie-Claude Pietragalla, je suis bien d'accord avec les critiques que ce film est une daube. Une bande de gamins décide de braquer la luxueuse et sinistre demeure d'une veille femme immobilisée dans son lit. On sait que tôt ou tard, quelque chose va inévitablement se "passer" ; cependant, avant que cela ne se "passe" (hélas !), ce navet avoisine le chef d'oeuvre. La tension qui accompagne la découverte de la maison est insoutenable...
Le roman de Marasco fonctionne exactement sur le même principe de "bombe à retardement", mais il sait entretenir la tension malaisante jusqu'au bout. Sans recourir à de grands effets spéciaux, tout arrive par petites touches, par signes distillés aussi régulièrement que le tic-tac d'une antique horloge... et cette lente et redoutable gradation va aboutir à une fin explosive qui nous pousse à revenir vers le début et vérifier un tas de détails qu'on trouvait alors insignifiants, comme le dit si bien Pecosa dans son billet.
Tout commence en toute innocence par une petite annonce...
L'été arrive, et Marian s'ennuie dans son appartement étriqué et bruyant du Queens. Elle l'aime, pourtant, cet appartement, et elle passe son temps à l'astiquer et à dépenser l'éventuel surplus des maigres économies familiales en mobilier. Car Marian aime les belles choses... peut être même trop pour résister à certaines tentations. Et l'annonce de Mme Allardyce propose la location d'une magnifique demeure perdue à la campagne, pour tout l'été, à un prix ridiculement bas.
Certes, la maison est quelque peu délabrée, Roz Allardyce et son frère sont de drôles d'oiseaux, et la condition supplémentaire - apporter trois fois par jour le repas à leur vieille mère, leur "vénérée chérie" qui ne sort jamais de sa chambre - est on ne peut plus fantaisiste... Mais au diable la rationalité : Marian sent que c'est elle, l'élue destinée à s'occuper de toutes ces belles antiquités dont la maison est remplie : des meubles, de la serre, du petit salon de la vieille Mme Allardyce plein d'anciennes photos, où elle passe de plus en plus de son temps à rêvasser. Parfois jusqu'à oublier la présence de son mari, du petit Dave et de la tante Elisabeth qui passent leurs vacances à ses côtés.
Puis, tout doucement, les choses commencent à se "passer". Quel prix faut-il payer pour que les horloges de la demeure se remettent en marche et que les anciennes fissures disparaissent ? Marian tisse des liens de plus en plus étroits tant avec la maison qu'avec la vieille Mme Allardyce, même si elle ne la voit jamais. La porte sculptée reste fermée, et les repas intacts... la vieille dame est-elle seulement réelle ? Mais rarement - très rarement - elle trouve l'assiette vide. Que se cache t-il derrière la porte sculptée ? Marian saura t-elle faire le bon choix entre ses rêves et sa famille ?
La thématique de la "maison hantée" peut prendre différentes formes, toutes aussi rentables. Ces demeures peuvent être remplies de présences maléfiques réelles, comme chez
Masterton. Ou alors, les apparitions se terrent seulement dans l'esprit dérangé du protagoniste principal. Parfois on ne sait pas, et on ne saura jamais, comme dans "Le tour d'écrou" de James, "
La Chute de la maison Usher" de
Poe ou "Hantise" de
Shirley Jackson. Et parfois encore, on se passe complètement de fantômes, et c'est la maison elle-même qui réclame son dû, afin de pouvoir continuer à traverser les siècles...
Il n'est pas évident de décider dans laquelle de ces catégories classer le roman de Marasco et s'il faut y prendre les citrouilles pour des lanternes, mais ça ne fait que contribuer à son charme hypnotique.
4/5, en comparaison avec les meilleurs classiques du genre, mais prévoyez tout de même une nuit blanche, et une culotte de rechange à l'approche du dernier chapitre.