Ces
lettres de
Katherine Mansfield à son mari John Murry, au frère de celui-ci, Richard Murry, ou à ses amis et protecteurs sont à la fois bouleversantes et d'une fraîcheur extraordinaire.
Elles sont bouleversantes car elles nous montrent l'exil contraint dans lequel est placée
Katherine Mansfield en raison de la tuberculose qui la ronge. Nous la suivons donc du midi de la France à l'Italie, de l'Italie à la Côte d'Azur et de la Riviera à la Suisse, ces longues retraites étant entrecoupées de séjours plus courts en Angleterre. Chaque nouvelle villégiature suscite de l'émerveillement, la santé de la jeune femme s'améliore, avant de se dégrader à nouveau, puis survient la détestation du lieu auparavant adoré et les récriminations contre son entourage. Nous voyons la lutte permanente que mène Katherine pour continuer à écrire malgré l'épuisement dans lequel la maintient la maladie, nous éprouvons sa tristesse à être séparée de son mari, sa douleur de se voir refuser ce qu'elle aimerait : un foyer, des enfants, le cocon protecteur d'un peu de confort matériel. En dépit de toutes ses difficultés, elle garde intacte sa capacité d'éblouissement devant la nature, sa sensibilité au spectacle des saisons et des transformations du ciel et de la lumière. D'une plume vive et ciselée, elle nous enchante en quelques lignes en décrivant un oiseau ou les frondaisons d'un arbre et l'on sent palpiter son coeur aussi délicatement que celui des minuscules créatures qu'elle saisit en quelques mots.
Mais, vivre à l'ombre de la maladie épuise les amitiés et
Katherine Mansfield se montre souvent agacée, voire irritée, par Leslie Moore, ou cette Ida Constance Baker qu'elle a rencontrée au collège et qui l'accompagne dans ses retraites forcées (« L. M... et moi nous ne nous entendons que lorsque nous sommes silencieuses ou éloignées l'une de l'autre !!! » 2 février 1921). La sollicitude des autres la ravit, mais bientôt elle retourne à la solitude de son état et s'écarte du monde qui l'isole dans son statut de perpétuelle malade. « Je suis lasse de mes petites histoires comme d'oiseaux nés en captivité » (31 décembre 1922). La vie de Katherine s'épuise et ses pensées restent prisonnières d'un corps de plus en plus affaibli par la toux et les hémorragies.
Pourtant ce qui demeure, une fois le livre refermé, c'est l'amour profond de Katherine pour la vie, un amour humble parce que ses forces sont comptées, et exigeant parce qu'il illumine chaque instant de répit face à la lente dégradation de celles-ci.