En juin 1959,
Boris Vian mourait, à l'âge de 39 ans, des complications résultant d'une malformation cardiaque qui l'avait amené, se sachant condamné, à vivre à cent à l'heure plusieurs vies en même temps, celle d'un ingénieur (de formation)-bricoleur, artisan-artiste (dessinateur, peintre ou sculpteur à ses heures), d'un musicien-trompettiste-amateur de jazz-chansonnier, d'un chroniqueur acharné (de disques, notamment), d'un traducteur de romans américains, d'un écrivain atypique, "marathonien de l'écriture" et enfin d'un jeune et émérite satrape du collège de ‘pataphysique.
Ce sont toutes ces vies que
Valère-Marie Marchand nous offre dans cette biographie, "
Boris Vian, le sourire créateur", que j'ai lue avec grand plaisir.
J'avais découvert l'auteur (il y a… un certain temps !) avec "
L'écume des jours" et "
J'irai cracher sur vos tombes" et ses chansons les plus célèbres (la plupart figurant sur le CD accompagnant cette biographie). le cinquantenaire de la mort de l'écrivain (et la lecture commune du blogoclub de lecture de ce jour, à choisir librement autour de
Boris Vian) m'ont donné envie de mieux le connaître en tant qu'individu, sans le réduire à cette figure de Saint-Germain-des-prés à laquelle on le cantonne souvent. Dans une telle optique, la démarche de
Valère-Marie Marchand est pertinente.
Son approche, en effet, si elle respecte le fil biographique, s'avère résolument multiple et en cela fidèle à l'image de l'homme, qu'elle permet aussi de resituer dans un contexte, celui de la seconde guerre mondiale (
Vian, réformé pour inaptitude médicale, faisait ses études sous l'Occupation) et de l'après-guerre.
Preuve, à mon avis, qu'elle est réussie, cette biographie se lit comme un roman, car le personnage de
Boris Vian, déjà passionnant en lui-même, s'inscrit dans un ou des univers, familiaux et socio-historiques eux aussi dignes d'intérêt.
Au fil des pages, l'auteur dresse le portrait d'un touche-à-tout génial, intellectuel et manuel, à la fois brillant et discret, attachant et ironique voire sarcastique et toujours pugnace, dans ses entreprises comme dans son dessein de vivre, jusqu'au bout, sans gaspiller une parcelle de ce temps précieux qui lui est, il le sait, compté. Exhaustive, elle s'attache autant à ce qui a pu défrayer la chronique (le scandale provoqué par la sortie de "
J'irai cracher sur vos tombes", analysé avec rigueur) qu'à des aspects moins connus (au moins pour ce qui me concerne) de la vie de
Boris Vian, comme ses difficultés à chanter sur scène.
Si l'auteur n'évite pas, à quelques occasions, les répétitions provoquées notamment par l'utilisation juxtaposée de nombreux témoignages (ainsi sa reprise, à quelques pages de distance, de la description de certaine bague déjà précisément évoquée), elle réussit cependant l'essentiel, tracer avec justesse, au sein des événements biographiques, les contours de l'homme, de sa personnalité ou du moins de ce qui peut en être appréhendé. Et pour le lecteur qui se trouverait en manque de repères chronologiques en cours de narration, elle reprend ensuite, annexées dans une poignée de pages, les étapes et dates essentielles de la biographie.
Enfin, pour compléter ce tableau déjà très expressif, elle ajoute un lexique en forme d'abécédaire, qui lui permet de revenir sur des aspects déjà abordés ou d'évoquer ceux qui n'ont pas trouvé leur place au cours de la présentation du parcours de
Boris Vian. On trouve ainsi des entrées consacrées à sa famille, à ses inventions (telle sa fameuse roue élastique, dûment brevetée) mais aussi à des points particuliers relevés dans ses écrits, concernant les accessoires, l'habillement, les pseudonymes etc.
Au final, une biographie (joliment parsemée de petits dessins de l'auteur) rédigée d'une plume agréable et vive et, surtout, que j'ai trouvée éclairante, c'est-à-dire conforme à ce que j'en attendais.