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Critique de Zazette97


Publié en 2003, "J'abandonne aux chiens l'exploit de nous juger" fut l'avant-dernier roman de l'écrivain et ancien reporter de guerre français Paul M.Marchand.
Basé sur des faits réels, ce roman nous raconte plusieurs années de la vie de Sarah, une jeune femme de 17 ans, et sa relation amoureuse avec Bruno, un homme de 20 ans son aîné et qui n'est autre que son père...

Quand Liliba a proposé de faire voyager ce livre, j'ai immédiatement repensé aux impressions ressenties à la lecture de "Lolita" de Nabokov, un roman qui avait fait scandale lors de sa parution et qui figure encore parmi les plus contestés de la littérature.
Mais aussi une histoire magnifiquement écrite et qui m'avait réellement bouleversée tant elle avait éveillé en moi de questions comme de sentiments contradictoires.

Le moins que je puisse dire est que l'auteur démarre en force en plongeant immédiatement le lecteur dans l'intimité des deux amants... Une contextualisation très brutale qui m'a fait refermer le livre au bout de 10 pages.
Après une pause de quelques jours, j'ai repris ma lecture et ne l'ai plus lâchée avant la fin.
Sous la forme d'aller-retours chronologiques, l'histoire est racontée par Sarah, une jeune femme vouée à une belle carrière juridique. Choyée par des femmes, elle a cependant toujours ressenti le manque d'une présence masculine, ce qui l'amène fatalement à interroger sa mère quant à l'identité de son géniteur.
Alors qu'elle imaginait découvrir un père, elle voit avant tout en Bruno un homme qui lui plaît. Et il s'avère que l'attirance est réciproque.
Sarah et Bruno savent tous deux qu'il est trop tard pour rattraper le temps perdu mais aussi que, malgré l'absence de liens affectifs, les liens du sang condamnent d'avance toute relation amoureuse.

Ce roman m'a mise mal à l'aise, non par son contenu ou son écriture mais par le cas de conscience qu'il a soulevé en moi.
Dans la mesure où Bruno n'a jamais su qu'il avait une fille - fruit d'une amourette de vacances sans lendemain - avant que celle-ci ne le contacte et qu'il ne l'a donc jamais connue en tant que bébé, petite fille et pré-adolescente, je ne pense pas qu'on puisse lui attribuer d'intentions perverses.
Sarah dit d'ailleurs elle-même que si ils s'étaient rencontrés plus tôt, leur relation n'aurait sans doute pas été du même ordre.
Cela dit, il est certain qu'au moment de la rencontre, ils savaient tous les deux très bien qui ils étaient techniquement l'un pour l'autre.
Leur relation ne commencera pas tout de suite mais au bout de deux ans. Deux années durant lesquelles ils apprennent à se connaître et à s'apprécier, sans que toutefois un lien filial ne s'établisse. Jusqu'au jour où la limite est franchie.

Alors que Benoît sombre dans la culpabilité, Sarah, elle, prétend voir les choses de manière plus adulte et le pousse dans ses retranchements, à grand renfort d'arguments et en occultant les implications de leur relation.
Ce qui m'a dérangée chez Sarah, c'est que j'ai ressenti en elle une certaine provocation dans cette façon appuyée de dénommer Bruno "son père" (les guillemets rappelant constamment au lecteur le caractère incestueux de cette relation) et d'ajouter par moments à sa culpabilité afin qu'il cesse de fuir (pour ceux qui ont lu le livre, je pense ne fut-ce qu'à la toute première scène où elle lui rappelle qu'elle est issue de son sperme...).
Aussi, quand elle prétend avoir une part de responsabilité dans son suicide, j'ai bien eu envie d'acquiescer tant elle le pousse à dévoiler au grand jour cette relation invivable et qu'il n'est pas prêt à se pardonner à lui-même.

Cette histoire à l'allure de tragédie grecque aurait pu s'arrêter là sauf qu'au final on bascule dans une espèce de plaidoyer en faveur de l'inceste amené, selon Sarah, à se banaliser dans les années à venir et à faire l'objet d'une législation positive. Elle table sur l'évolution des moeurs et va jusqu'à comparer leur situation à celle des homosexuels, au nom du droit à la différence et à la diversité humaine.
Et là on vire un tantinet au cauchemar (sauf peut-être pour Sigmund qui passerait la tête de sa tombe en proclamant "Je vous l'avais bien dit!") et je ne pense pas que la société saurait reconnaître un jour un "droit à l'inceste" dans la mesure où l'Homme se plaît depuis des lustres à revendiquer ce qui le différencie des animaux...
Dernier bémol (mais pour certain(e) s c'est peut-être un détail) : cette couverture chick-litt qui donne cette impression de frivolité à une histoire qui est loin d'être légère.

Malgré mes réserves, je suis d'avis que ce roman mérite que l'on s'y attarde, non seulement pour son indéniable qualité d'écriture (certains l'ont trouvé crue, je ne suis pas du tout de cet avis) mais aussi pour les questions qu'il soulève et dont les réponses s'avèrent plus nuancées qu'il n'y paraît avant lecture.
Je pense que, sans cautionner nullement l'inceste, on peut néanmoins apprécier cette histoire particulière. Mais elle est aussi grandement affaire de sensibilité et ne trouvera donc pas aisément ses lecteurs.
Lien : http://contesdefaits.blogspo..
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