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Un livre plein de surprises, à commencer par son titre. le lecteur attend un argumentaire en neuf points passionnants, le lyrisme des neuf muses filles de Zeus appelées à la rescousse pour chanter le logos. J'ai cherché en vain… Je m'attendais à un « antimanuel » de grec ancien, ce livre est beaucoup plus que cela, un essai sur l'agonie des mots et peut-être leur réincarnation par celles et ceux qui les font vivre. Je m'empresse de préciser que dans ma période lycéenne et universitaire erratiques je n'ai suivi aucun enseignement de latin ou de grec ancien. Disons le d'emblée, malgré la promesse de la quatrième de couverture, pas toujours facile de suivre le propos de l'auteure pour le lecteur qui ne dispose d'aucun point de repère académique en grec voire en linguistique. A cet égard, pour le vocabulaire technique un glossaire aurait été le bienvenu. Naturellement, la lecture de cet essai apporte d'autant plus de plaisir si les univers de Platon, Sophocle … ne sont pas totalement inconnus, mais on imagine que celle ou celui qui ouvrira ce livre a déjà quelque affinité et plus avec « l'été grec » pour reprendre le titre du magnifique livre de Jacques Laccarière. Abstraction faite de l'écueil susévoqué, affleurement de récifs égéens dans l'azur des cyclades, on se laisse emporter par la fougue, la passion, la drôlerie de l'auteure. Assurément, pas besoin d'être docteur es études homériques pour percevoir le legs du grec à la langue française, ces lieux philosophiques légendaires « l'académie » de Platon, le « lycée » d'Aristote si différents aujourd'hui et bien sur cette richesse étymologique qui donne sens au mot à commencer par « philosophe », qui aime la sagesse et non pas le sage, ce n'est pas tout à fait pareil cela peut même être très différent. Andrea Marcolongo chante les subtilités de cette « langue morte », rien de dénigrant dans mon propos, le français est devenu à maints égards une langue morte, immolé sur l'autel de la pensée moderne binaire utilitaire et son affreux appendice la novlangue. Parmi ces subtilités j'ai notamment fait connaissance avec ce mode optatif. L'optatif exprime le désir, le souhait, l'espérance, dans les interstices du « réel », ainsi que le rappelle l'auteure, « la frontière qui sépare un désir réalisable d'un désir impossible est aussi subtile, délicate » (P. 112) Cette langue qui ignore l'univers carcéral du temps tronçonné en passé, présent, futur… le plus important était le « comment » plus que le « quand » ; apprécier le début, le déroulement, la conclusion « Difficile de penser sans le temps, mais le temps n'existe pas, ce qui existe c'est une fin pour chaque commencement, et un commencement pour chaque fin (…) difficile pour nous mais non pour le grec ancien cette langue qui percevait non le temps mas le processus et qui grace à l'aspect du verbe, exprimait la qualité des choses qui semblent toujours nous échapper – quand la question que nous nous posons toujours sans jamais percevoir comment. » (p. 14) Autre délicatesse du grec ancien, le « duel », qui s'ajoute au singulier et au pluriel ; le duel par lequel, on ne comptabilise pas, la somme un plus un, mais l'alliance et l'exclusion, un petit air de yin & yang si j'ai bien suivi le propos. Deux éléments contraires mais qui ne sont pas contradictoires, la terre et le ciel, l'homme et la femme…., l'un ne se dissous pas dans l'autre ou dans une transcendance aliénante Ce n'est pas naturellement le premier ouvrage de cette nature, les « petites leçons sur le grec ancien » de Jacqueline de Romilly et Monique Trédé (2008) suit un fil d'Ariane assez proche et ambitionne aussi d'être simple et pédagogique mais quelle différence dans le souffle ! Dans ce second ouvrage, la sensation de lire une démonstration de patinage artistique avec les figures imposées exposées parfaitement mais un cours d'amphithéâtre in vitro, pas l'amphithéâtre de la vie, in vivo, celui de la comédie (« kômôdia ») et de la tragédie (« tragôdia »). Le grec ancien est victime d'une politique culturelle étriquée et aussi de l'évolution des préférences de la « démocratie de l'usage », (démocratie encore un mot grec,...) qui plébiscite l'expression sms et se moque de Montaigne. L'auteure constate avec raison « Quoiqu'on dise aujourd'hui à l'ère de twitter et de whatsapp, ce sont eux qui changent avant que la langue change et non l'inverse. » (p. 126) Tragédie du grec ancien mais aussi des « humanités » que l'on laisse agoniser à petit feu dans les établissements d'enseignement Un livre pétillant pour danser et rire avec les mots dans le tragique Contribution faite dans le cadre de masse critique.Un grand merci à babelio et aux éditions « Les belles lettres » + Lire la suite |