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Critique de karenbzh


Lipstick Traces a été écrit par Greil Marcus, critique de rock américain. C'est un essai musical et surtout sociologique. Dans ce texte, Greil Marcus tente de retracer l'histoire, parfois oubliée ou cachée, secrète de notre culture occidentale du XXème siècle. Il cherche à démontrer que l'histoire musicale, en particulier le rock, a eu beaucoup plus d'impact sur notre société que l'histoire politique en tant que telle.
De l'anabaptisme aux Sex Pistols
Il choisit d'axer son essai autour d'un groupe de rock mythique de la seconde moitié du XXème siècle : les Sex Pistols avec son fondateur Mc Laren et son leader : Johnny Rotten (ou John Lydon). le groupe des Sex Pistols a été fondé par Malcom Mc Laren qui a eu l'idée de monter un groupe avec quelques jeunes sans repères et révoltés qui erraient dans son magasin londonien. Ce groupe devient le premier groupe punk, ce qui va conduire à la vague punk sur l'ensemble du territoire britannique.
A partir de ce groupe légendaire des années 70, Greil Marcus joue à décrypter les différents courants contestataires ou révolutionnaires du XXème siècle qu'il tente de relier les uns aux autres.
Au fil de cette lecture, on est surpris de voir l'auteur mettre en relation les Sex Pistols avec le mouvement Punk, avec des mouvements intellectuels tels que le Dadaïsme ou encore le Surréalisme. Ces rapports invisibles entre ces différents mouvements partiraient d'après lui de certaines hérésies du Moyen Age telles que l'Anabaptisme de Jean de Leyde à Munster.
Lipstick Traces démarre donc à partir du phénomène punk anglais et nous amène à découvrir les différents courants et manifestations européens, en particulier français, (parfois occultés) qui ont fait le XXe siècle :
Selon Greil Marcus, ces mouvements, s'inspireraient des hérésies médiévales et plus particulièrement de l'anabaptisme : secte protestante du Moyen Age, incarné par Jean de Leyde qui en était le prophète, semble selon l'auteur, être à l'origine de tous ces différents courants contestataires radicaux. Tout comme les Punks, les anabaptistes de Jean de Leyde étaient des marginaux, en marge d'une société qui les condamnait. Leur message, bien que divin, est aussi politique. Utopistes, les anabaptistes rêvaient d'une société « de la liberté de conscience » et « du tout en commun ». Jean de Leyde prônait le partage des richesses, dans un pamphlet, il écrit : « Les plus pauvres d'entre nous qui étaient souvent méprisés comme des mendiants, se promènent maintenant aussi bien vêtus que les plus grands et les plus distingués ».
Dans la même lignée, on peut considérer les communards, bien qu'athées, comme les dignes successeurs de Jean de Leyde dans une idée de communion. Dans leur désir de destruction des symboles, abattent notamment la colonne Vendôme, emblème de Napoléon Ier et du Ier empire. Comme eux, les Punks brisent toutes les conventions de la société bien pensante et rejettent eux aussi la bourgeoisie.
De la même manière, le dadaïsme est à l'origine une contestation politique rejetant une société qui méprise le bien-être du peuple.
Créé au printemps 1916, Dada s'inscrit d'abord dans un rejet de la 1ère guerre mondiale et de ses atrocités, en choisissant de les nier.
« Tandis que grondait dans le lointain le tonnerre des batteries, nous collions, nous récitions, nous versifiions, nous chantions de toute notre âme. Nous cherchions un art élémentaire qui devait, pensions-nous, sauver les hommes de la folie furieuse de ces temps(…)Rien d'étonnant à ce que les « bandits » n'aient pas pu nous comprendre. Leur puérile manie d'autoritarisme veut que l'art lui-même serve à l'abrutissement des hommes ».
« Aucun de nous n'avait ce genre de courage, qui consiste à se faire fusiller pour les idées d'une nation qui, dans le meilleur des cas, n'est qu'un consortium de trafiquants de fourrures et de peaux et, dans le pire, une association de psychopathes s'en allant, comme dans la « patrie » allemande, avec un livre de Goethe dans leur havre-sac pour embrocher à la baïonnette Français et Russes »
Ses membres (Tzara, Ball, Huelsenbeck…) se réunissent au cabaret Voltaire à Zurich : le choix de ce philosophe des Lumières n'est pas anodin, les dadaïstes jouant de l'ironie tout comme le grand maître Voltaire : « Être dadaïste, cela voulait dire être un homme de réalité qui aime le vin, les femmes et la publicité ; avoir un sourire aux lèvres, une chanson dans le coeur et un crâne dans la poche ». Duchamp s'amuse à défigurer la Joconde en l'affublant de moustaches par exemple. le punk s'inscrit dans le prolongement de Dada en adoptant des idées anarchistes et révolutionnaires dans la provocation de la société et avec une vision également nihiliste. Les dadaïstes, comme les punks n'attendent rien du futur, tout comme ils rejettent le passé. Tzara disait qu'il se « fichait de savoir s'il y avait eu des hommes avant lui », Ball, quant à lui parlait du « besoin d'effacer tout ce qui a été écrit ». Il y avait une volonté de détruire ce qui avait été fait précédemment ; le mot de Dada lui-même symbolisant les morceaux de cette destruction. L'auteur nous dit que les deux syllabes Da-da sont « les morceaux que Lefèvre avait autrefois promis d'écraser. Maintenant, il les avait dans la bouche comme si c'étaient des morceaux de la pierre philosophale ».
Dada est considéré comme de l'anti-art, le punk, lui, est considéré comme de l'anti-rock. Toujours dans une volonté de destruction de la société, bien que très condamnable puisqu'il faisait l'apologie de la xénophobie, Greil Marcus nous cite l'union britannique. Créé par Sir Oswald Mosley, ce parti fasciste des années 1930, inspiré par Mussolini provoquait des émeutes dans les quartiers juifs londoniens. de la même manière, les punks commettent des exactions envers les personnes de « couleur ». Tout comme Hitler l'avait fait avec la croix gammée (svastika inversée), les punks s'affichent à leur tour de svastikas punks caractérisant une « célébration du racisme à l'état pur ». La reprise de la svastika et la réhabilitation d'Oswald Mosley par les punks a surtout un but provocateur, le punk veut choquer la « bourgeoisie ». L'idée est de tomber dans tous les excès, sans aucune limite.
Dans cet esprit de provocation du mouvement punk, on retrouve le Surréalisme, d'inspiration dadaïste, qui lui aussi se plait à choquer en réalisant des oeuvres d'art hors norme. Contrairement à Dada, les Surréalistes se projettent dans le futur, cela explique pourquoi ils ont beaucoup plus marqué l'histoire artistique que les Dadaistes. Fondé par Isidore Isou, juif-roumain dans la France d'après-guerre, l'Internationale lettriste se revendique le droit de créer, de faire de l'art. Dans sa théorie, Isidor Isou pense que la création est une forme de divinité ; en créant, il se voit à l'image de Dieu, voire supérieur. le mouvement situationniste, avec des porte-paroles tels que Debord ou encore Lefèbvre semble avoir beaucoup marqué les esprits et l'art en général.
Les situationnistes se disaient des enfants « perdus », se trouvant de nombreuses filiations : « Les surréalistes, les dadaïstes, les révolutionnaires manqués du premier tiers du XXème siècle, les Communards, le jeune Karl Marx, Saint-Just, les hérétiques médiévaux ». La théorie de Greil Marcus quant à des liens entre ces différents mouvements est mise en lumière par ces propos.
Le premier groupe de Rock'n roll : les Orioles était composé de cinq jeunes afro-américains, ils ont été découverts par hasard en 1948, par une jeune juive américaine que cette musique innovante a subjuguée. C'est ainsi que le premier enregistrement voyait le jour avec la rencontre improbable de membres de population exclues dans les Etats Unis de l'après-guerre.
Mai 68, dans son contexte révolutionnaire et contestataire d'une société opprimante est le symbole par excellence de la vision punk. Dans les slogans soixante-huitards, on peut aisément relier le Dadaïsme au phénomène punk. Certains slogans de mai 68 venaient de Dada et d'autres furent repris très largement par les différents groupes de rock punk tels que les Sex Pistols.
Michael Jackson lance la musique pop ; grâce à son succès phénoménal, elle devient un élément central de la culture américaine. Une telle réussite d'un artiste noir relevait de l'exploit et aucun n'aura pu l'égaler à un tel niveau jusqu'ici. Avec Michael Jackson, on sort du schéma nihiliste et négatif de groupes punks tels que les Sex Pistols qui imposaient de choisir entre « oui » ou « non ». Avec lui et le genre qu'il représente, le spectateur est libre de ses choix. Une de ses chansons le résume assez bien : « That choice is up to do »
D'après Greil Marcus, le phénomène punk serait donc un prolongement de ces différents mouvements. On est étonné de s'apercevoir que le punk, contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer a donc des bases intellectuelles et politiques.
Suivant les théories d'Adorno, le mouvement punk joue sur la négation. Tous les « oui » se transforment en « non ». Il y a une inversion des codes moraux de la société, le « mal » devient « bien » et inversement. Les punks font une apologie de la mort, des maladies… Des chanteurs s'infligent volontairement des maladies, simulent la mort et vont même parfois jusqu'à se tuer sur scène, au grand plaisir d'un public friand d'un tel « spectacle ».
« La nouvelle économie pop reposant moins sur le profit que sur la subsistance, la volonté de choquer, une réponse marginale mais intense du public, une économie pop destinée non à soutenir des carrières mais des raids éclair sur la paix de l'esprit du public ». le punk serait donc, dans sa provocation, une réponse à un malaise d'individus dans une société qu'ils jugent corrompue et qu'ils rejettent violemment. Plus qu'un simple texte sur la musique punk, il s'intéresse davantage à l'ampleur que ce phénomène a pu laisser dans la société par ses différentes manifestations et surtout à ses fondements contestataires.
Les différents courants intellectuels cités au cours de cet ouvrage sont majoritairement français, Greil Marcus, américain, possède une connaissance très précise d ‘un certain nombre de faits de cette culture ignorée en partie par beaucoup de français. Dans cet essai, il a fait pendant plusieurs années un travail remarquable de recherches minutieuses afin de nous éclairer sur tout ce qui fait notre culture.
Lipstick Traces est un texte audacieux ; en effet, il fallait oser effectuer ces comparaisons entre des mouvements qui n'ont à priori rien en commun, au risque de choquer la bienséance…
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