Dans les écoles de publicité, on apprend qu'une fois l'attention du prospect attirée, il faut : 1. ne pas vouloir trop en dire ("plus le message est complexe, moins il a de chance d'être perçu, compris et retenu") ; 2. "sans cesse marteler le même message" ; 3. s'inscrire dans la continuité et la durée" (si les campagnes changent formellement, "en réalité, ce sont toujours les mêmes" : Reputation is repetition) ; 4. viser la "cohérence globale" ("s'assurer de l'unité", éviter la diversité). Ce que résume ce slogan d'Hachette : "on ne vous le répétera jamais assez." Ajoutons que la publicité se distingue de la réclame par sa tendance à faire fortement appel aux émotions.
Il est frappant de constater que ces virtuoses de la propagande que furent les nazis (avec les communistes) insistaient exactement sur les mêmes recommandations. Selon Hitler, pour "attirer l'attention des masses", la propagande doit "se limiter à un petit nombre d'objets et les répéter constamment" ; "aucune diversité ne doit en modifier la teneur". "Toute réclame, qu'elle s'opère sur le terrain des affaires ou de la politique, porte le succès dans la durée." Enfin, "son action doit toujours faire appel au sentiment et très peu à la raison". "Son niveau spirituel doit être situé d'autant plus bas que la masse des hommes à atteindre est plus nombreuse." Quant à Goebbels, il définissait la propagande comme l'"art de la répétition constante", l'"art de s'adreser surtout aux instincts, aux émotions, aux sentiments et aux passions populaires", l'"art de présenter les faits avec l'apparence de l'objectivité", l'"art d'occulter les faits désagréables", l'"art de mentir tout en étant crédible".
Le but de ces rappels n'est pas d'assimiler les publicitaires aux nazis, mais de souligner que les propagandistes, que ce soit dans le domaine politique ou économique, préconisent les mêmes méthodes qui se résument toutes au bourrage de crâne. Certes, le contenu du message est très différent. La publicité, même si elle peut véhiculer des stéréotypes racistes ("Y'a bon Banania"), ne fait appel ni à la peur ni à la haine de l'autre. Par son humour, elle invite plutôt à la gaieté et à l'ouverture sur le monde... du consumérisme transnational. pour autant, il s'agit de faire en sorte que, à force d'être entendues constamment, les propositions finissent par apparaître "naturelles et incontestables". Cathelat, qui ne tombe pas dans le "politiquement correct" de ses collègues, a donc raison de définir la publicité comme une "propagande appliquée à la vente" :
"Les techniques publicitaires ne sont pas impuissantes lorsqu'il s'agit de diffuser des idées. On leur reprochera alors de tomber dans la propagande pure, sans en avoir les convictions ; mais c'est un fait que la publicité commerciale, après avoir emprunté ses schémas d'intervention à la propagande politique ou religieuse, l'a aujourd'hui techniquement surclassée." (Publicité et société)
Si ce baron de la publicité était aussi savant en histoire des totalitarismes qu'en technique de propagande, il aurait pu préciser que l'histoire allemande est exemplaire de cette connexion évidente. Après la guerre, les collaborateurs de Goebbels se reconvertirent naturellement vers la publicité. Et Goebbels s'était lui-même inspiré de la publicité de son époque. En 1932, il annonçait l'emploi, pour la propagande électorale d'Hitler, de "méthodes américaines à l'échelle américaine". Comme le rappelle l'historien Peter Reichel, il "était devenu un expert en marketing. Il a en particulier utilisé le concept de "Führer" et l'idéal de la "communauté nationale" comme des noms de marque. L'image des "produits" devait alors coïncider avec l'"image des désirs" de ce public d'acheteurs-électeurs.
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