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Alain Keruzoré (Traducteur)
EAN : 9782743600525
350 pages
Payot et Rivages (24/11/1996)
3.79/5   101 notes
Résumé :
Divorcé depuis peu, Víctor, scénariste pour la télévision, et nègre à l'occasion, est invité un soir à dîner chez Marta, mariée, mère d'un enfant. Alors qu'ils sont dans la chambre «à demi vêtus et à demi dévêtus», Marta se sent de plus en plus mal, jusqu'à agoniser et mourir. À trois heures du matin, dans un appartement inconnu à Madrid, que doit faire Víctor ? Se débarrasser du cadavre ? Prévenir le mari ? Réveiller l'enfant endormi ? Víctor choisira de fuir. Avan... >Voir plus
Que lire après Demain dans la bataille, pense à moiVoir plus
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« Demain, dans la bataille, pense à moi, et que ton épée tombe émoussée ! Désespère et meurs ! [...] et que, sous le poids du remords, ta lance tombe de tes mains ! Désespère et meurs ! » Nous ne sommes pas au théâtre, lorsque les spectres de ses victimes maudissent le Richard III shakespearien, mais dans la vie de Victor, le narrateur, un homme quelconque qui vit dans l'ombre, à écrire des scénarios morts-nés et à servir de nègre à un autre nègre. Un soir, alors qu'un flirt l'a conduit chez une dénommée Marta en l'absence du mari, avant même que la jeune femme ne devienne son amante, celle-ci – aberrant coup de sort ! – est victime d'un malaise et meurt dans ses bras. Que faire, seul avec le très jeune fils de cette presque maîtresse dans cet appartement inconnu ? L'homme choisit la fuite, mais incapable d'effacer aussi facilement sa conscience, trouve le moyen de revenir chez Marta par le biais de la famille. L'on va alors découvrir les incommensurables conséquences, non pas de ce décès dans lequel il n'est pour rien, mais de ces quelques heures d'escamotage qui auront bel et bien tout changé...


Dans un style inimitable qui dévide une première fois le fil de pensée du narrateur, lorsqu'il ignore encore les événements parallèles vécus par le mari en voyage d'affaires Outre-Manche, puis lui en fait remâcher les longues phrases-fleuves avec cette fois la connaissance de cet envers du miroir et de sa responsabilité involontaire sur cette partie des faits, l'auteur déplie son histoire pour nous révéler en ses creux des thématiques récurrentes dans son oeuvre : le hasard, la fatalité, ces effets papillon inattendus qui scellent notre destin, parfois à notre insu, et, nous faisant « tomber d'un côté ou de l'autre, très vite, » d'une « frontière ténue », nous exposent sans cesse - « il suffit d'un moment d'inattention » - « aux plus grands bouleversements », ceux que nous réservent « le revers du temps, son dos noir » - expression dont il fera le titre d'un autre roman.


Bien plus observateur que réel acteur de son histoire, Victor, déjà invisible par profession, s‘efface encore lorsqu'il prend la fuite, puis, revenu constater les traces laissées par l'événement qui le taraude, mesure à quel point la vie s'est entre temps jouée de leur ignorance et de leur cécité à tous, les réagençant comme d'insignifiants atomes interagissant à leur insu, en une longue chaîne d'effets non maîtrisables. « Des gens meurent à cause de nous et nous ne le savons pas. » Ce narrateur qui avait déjà tellement conscience de n'être personne, en plus d'être convaincu de l'inéluctable effacement de tout être et de toute chose à mesure du passage du temps et des générations, réalise aussi comme le destin de chacun ne tient jamais qu'à un aléatoire enchevêtrement de fils. Alors, puisque « tant de choses arrivent sans que personne ne s'en rende compte ni ne s'en souvienne », que bientôt « tout est oublié ou prescrit », il lui devient facile de conclure qu'il serait vain de s'appesantir sur les remords et les regrets. Laissons les secrets et leurs ombres disparaître d'eux-mêmes à leur tour : face à l'absurdité du monde, tout cela de toute façon ne pèsera guère…


Javier Marias, un des plus grands noms de la littérature contemporaine espagnole, signe ici une création magistrale, où mensonge et dissimulation se dissolvent dans les brumes de la fatalité et du hasard.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Imaginez que vous êtes un homme tout juste divorcé, scénariste travaillant pour une chaîne de télévision espagnole et exerçant de temps en temps une activité de " nègre " pour personnalités incultes, que vous vous appelez Victor Francès et que vous faites par hasard la connaissance d'une femme encore jeune, une enseignante du nom de Marta Téllez. Peut-être êtes-vous déjà un peu amoureux d'elle. Elle vous invite à dîner chez elle ce soir-là, alors que vous vous connaissez à peine, son mari est en voyage d'affaires à Londres. C'est comme un rendez-vous galant, il y a peut-être déjà l'attrait du désir, celui qui précède le moment où vous deviendrez amants. Tout se passe bien, mais il y a ce jeune enfant, un petit garçon de deux ans qui est là, qui se promène dans vos jambes, sa présence vous agace un peu et vous n'éprouvez qu'une hâte, c'est que sa mère se décide enfin à aller le coucher...
C'est plus tard chose faite et vous pouvez enfin prendre Marta dans vos bras, l'étreindre, l'embrasser, penser au vertige de la nuit qui vous attend... Mais bientôt la jeune femme qui est dans vos bras ne se sent pas bien, elle est prise d'un malaise qu'elle ne sait pas expliquer. Je vous rassure, cela n'a rien à voir avec vous, mais en êtes-vous bien sûr ? Elle ne veut pas que vous appeliez son mari, elle veut que vous restiez là près d'elle, votre présence la réconforte et bientôt l'ironie du sort voudra qu'elle meure dans vos bras. Vous l'allongez sur le lit, elle est à moitié nue, elle semble dormir à présent d'un sommeil paisible. Vous recouvrez son corps immobile, légèrement recroquevillé, d'une couverture. Vous hésitez sur la suite des événements à donner. Que faut-il faire dans cet appartement madrilène qui vous est inconnu à trois heures du matin ? Il y a cet enfant qui dort paisiblement dans la chambre d'à côté. Que devez-vous faire ? Vous débarrasser du cadavre ? Prévenir le mari ? Réveiller l'enfant endormi ? Alors, vous préférez la fuite, vous vous en allez, vous quittez l'appartement comme si vous n'y aviez jamais mis les pieds...
Et vous lecteurs, qu'auriez-vous fait ? Vous avez deux heures et trois cent-cinquante pages pour rendre votre copie...
Alors, vous devenez le narrateur de cette histoire qui vous échappe déjà, à peine est-elle commencé, qui vous échappera constamment tout au long du récit jusqu'à ce final à la hauteur de notre étonnement, inattendu comme la manière dont commence le roman...
Il est vrai que c'est une entrée déroutante, dont on ne sait que penser au premier abord, entre grotesque et tragique, entre vaudeville et thriller psychologique. Mais peut-être n'est-ce rien de tout cela ? Peut-être est-ce tout simplement une histoire d'amour qui n'a jamais commencé.
Vous devenez le narrateur, acteur de cette histoire et en même temps sujet ballotté par le tangage des mots, soliloquant dans ce flux de conscience qui vous anime et nous chahute, pris dans la nasse d'un destin qui vous oblige à revenir sur vos pas, sur les pas de Marta Tellez et des siens, lorsque sa famille apprendra sa mort tout en se posant forcément des questions... de quoi est-elle morte ? Qui était près d'elle ce soir-là ? Et pourquoi cette personne n'a jamais appelé les secours ?
Demain dans la bataille pense à moi est un étrange et envoûtant roman qui saisit le narrateur dans un enchevêtrement de rencontres qui n'en finit pas de se dérouler comme un écheveau de laine, tirant le fil sur lequel un autre récit vient brusquement s'enchâsser et où viennent résonner des thèmes forts comme le mensonge, la faute, la culpabilité, la duperie, le remords, mais aussi le hasard, la fatalité... La manière qu'a l'auteur de fouiller l'âme des personnages jusque dans leurs tréfonds ressemble au vertige qui peut nous agripper lorsqu'on se penche au-dessus d'un puits sans fond.
J'ai aimé l'errance hypnotique du narrateur, j'avais parfois l'impression de mêler mon ombre à la sienne, de vouloir à chaque instant le retenir par l'épaule pour qu'il renonce à se mêler de ce qui ne le regardait pas, mais l'instant d'après j'étais aussitôt habité par cette ivresse qui m'emportait et lui intimait l'ordre d'accélérer le pas...
Demain dans la bataille pense à moi, c'est aussi le début de la tirade d'une pièce de Shakespeare, Richard III, qui revient tout au long du récit comme un écho lancinant et donnant sens au déroulement de l'histoire.
J'ai été happé par l'écriture saisissante, pour ne pas dire sublime, de Javier Marías que je découvre ici pour la première fois, c'est une écriture qui bouscule, tangue, chahute, chatoie, enivre.
Dans un style dense, ce récit nous embarque, nous déroute.
Comment le fragment d'une relation d'amour à peine commencée peut-il devenir la pièce d'un puzzle complexe en train de se construire sous nos yeux ?
Je me suis alors demandé, que serait devenue cette histoire si Marta Téllez avait survécu ?
Sans doute le métier de Victor Francès n'est pas anodin, - écrire, inventer des histoires pour d'autres qui n'en n'ont pas ou sont incapables d'y mettre des mots et pourquoi ne pas le dire : incapables de les vivre... Ce récit serait-il une ironique allégorie de la vie dans sa splendide et absurde vacuité ?
La force de ce livre, ce fut pour moi de continuer d'y penser sans cesse, longtemps après en avoir achevé la lecture comme si cette histoire m'était arrivé, comme si Marta Téllez était morte dans mes bras alors qu'elle avait peut-être dans le coeur un vertige abyssal qu'elle s'apprêtait à verser dans le mien....
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Victor Francés scénariste pour la télévision et à l'occasion "prête-plume" pour célébrité inculte, est invité un soir à dîner chez Marta Tellez. Elle est mariée à un industriel en déplacement à Londres. Leur fils Eugenio 2 ans assiste à ce repas. Victor n'est pas très à l'aise en présence de l'enfant et est soulagé lorsque celui ci s'endort enfin.
Alors que les deux futurs amants sont à demi devêtus dans la chambre, Marta a un malaise, elle se sent de plus en plus mal jusqu'à agoniser et mourir. Pendant tout ce temps là, Victor reste sans réaction, il ne cherche pas à lui apporter son aide, n'appelle pas les secours ou une personne de l'entourage de Marta.
Après le décès de Marta, Victor prendra la fuite en laissant l'enfant avec sa mère dans l'appartement. La culpabilité et la dissimulation de la réalité pousseront Victor à prendre des nouvelles de l'enfant, il se rapprochera de la famille de Marta afin de réparer ses fautes et de rétablir la vérité.
Javier Marias est un grand écrivain qui entraîne le lecteur dans un récit dont on ne veut pas sortir. Il est excellent pour décortiquer les personnages jusqu'au tréfonds de leurs êtres. Sa sublime et étonnante écriture nous plonge dans une histoire dont on ressort ébloui et ce roman reste longtemps en mémoire.
Son style est dense, grandiose, Javier Marias déroule petit à petit les différents événements de sa narration. En immergeant le lecteur lentement dans la culpabilité de Victor Francés, ce livre est une extraordinaire et puissante réflexion sur la dissimulation, l'intention, indécision, les blessures que l'on peut infliger aux autres par manque de volonté ou par duperie.
Je vous conseille ce livre si vous aimez les romans qui demandent de la patience et de la concentration.
C'est un roman magnifique à lire!
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Marta, trente-trois ans, était trop jeune pour mourir, mais on ne choisit pas son heure. Elle est morte dans son lit, non, je devrais dire sur son lit parce qu'elle n'a pas eu le temps de se glisser sous ses draps. Un malaise qui ne passe pas, qui s'aggrave et qui vous emporte silencieusement, presque calmement au début de la nuit. A-t-elle souffert ? La question rituelle des proches ; il faudrait la poser à son mari mais il n'était pas là, en déplacement à Londres. Alors la réponse, c'est l'invité de passage, celui qui ce soir-là lui tenait compagnie sur le lit, qui nous la donne puisque c'est lui le narrateur. La clandestinité, le travail à la place du titulaire habituel, « honorer dans l'ombre et en secret », il connaît, c'est même son métier. « Ruibérriz reçoit beaucoup de commandes et s'il ne publie pas il écrit continuellement, ou plutôt il écrivait, car ces derniers temps…il préfère prendre du bon temps et se permet de refuser la plupart des commandes, ou plus exactement il les accepte et me les repasse avec soixante-quinze pour cents des bénéfices, afin que je les honore dans l'ombre et en secret. Ainsi, il est ce qu'on appelle en langage littéraire un nègre – dans d'autres langues un écrivain fantôme – et moi j'officie en tant que nègre du nègre, ou fantôme du fantôme du point de vue des autres langues, double fantôme et double nègre, double personne. »
Que faire, que dire, qui prévenir ? Emmener l'enfant en bas âge qui dort dans la chambre à côté ou prendre la fuite en le laissant seul ? le premier chapitre est tout simplement formidable et même si les phrases sont longues, le roman très cérébral (l'essentiel se passe dans les pensées du narrateur), vous n'aurez qu'une envie : celle d'écouter jusqu'au bout ce « double nègre, double fantôme » cherchant à se délivrer de ce fardeau qui le hante.
Puisqu'on évoque l'aspect fantomatique du narrateur, faisons un sort au titre, extrait de Shakespeare, dans lequel le spectre d'une de ses victimes vient hanter Richard III, tyran usurpateur et infanticide, à la veille d'une bataille. Bien choisi, n'est-ce pas ?
«Demain dans la bataille pense à moi, et que ton épée tombe émoussée!
Demain dans la bataille pense à moi, quand j'étais mortel, et que ta lance tombe en poussière. Que je pèse demain sur ton âme, que je sois un plomb dans ton sein et que finissent tes jours dans une sanglante bataille.
Demain dans la bataille, pense à moi, désespère et meurs.»
Le reste de l'intrigue, qui ménage quelques surprises finales, est également l'occasion d'une brillante dissertation sur la mort, la vieillesse, le mensonge et la confession. La mort et surtout l'effacement et l'oubli. «Avant on les vénérait ou du moins leur mémoire, et on allait leur rendre visite sur leurs tombes avec des fleurs et leurs portraits trônaient dans les maisons, on gardait le deuil pour eux et tout s'interrompait un temps ou diminuait, la mort de quelqu'un affectait l'ensemble de la vie, le mort emportait en fait avec lui quelque chose des autres vies, des êtres chers… Aujourd'hui on les oublie comme des pestiférés, à la rigueur on les utilise comme boucliers ou comme fumier pour rejeter sur eux la faute et les responsabilités de la situation lamentable qu'ils nous ont laissée… »
La vieillesse : « C'était cette naïveté feinte, si courante chez les vieux, grâce à elle ils finissent par faire et dire ce qui leur passe par la tête sans que personne ne le leur reproche ou n'en tienne compte, ils feignent d'être pré-morts pour avoir l'air inoffensifs, sans désirs et sans attente d'aucune sorte, alors qu'on ne cesse jamais d'être dans la vie tant qu'on est conscient et qu'on ressasse des souvenirs, d'ailleurs ce sont les souvenirs qui font de tout vivant un être dangereux et désirant et en perpétuelle attente…on ne peut s'empêcher de penser que ce qui a été une fois peut être de nouveau, si quelqu'un avait la certitude qu'il a fait l'amour pour la dernière fois il mettrait fin à sa conscience et à son souvenir et se suiciderait… »
Le mensonge… « Comme il est fatigant de garder un secret ou d'entretenir un mystère, que de travail représentent la clandestinité et la conscience permanente que nos proches ne peuvent pas tous savoir la même chose… Ce n'est pas toujours par intérêt personnel ou par peur ou parce que nous avons commis une véritable faute que nous le cachons, c'est très souvent pour ne pas déplaire ou ne pas décevoir et pour ne pas faire de mal, d'autres fois c'est par pure courtoisie, il n'est pas bien élevé ni civilisé de se donner à connaître entièrement, sans parler de dévoiler tares et manies. »…mensonge qu'il nous faut bien accepter « Etre trompé est facile et c'est même notre condition naturelle et en réalité nous ne devrions pas en être si affectés ».
Et pour finir, la confession libératrice, la révélation de la vérité : « C'est pour cela que ce qui a eu lieu est toujours beaucoup moins grave que les craintes et les hypothèses, les conjectures et l'imagination et les mauvais rêves. » « Celui qui raconte sait en général bien expliquer les choses et sait s'expliquer, raconter c'est comme convaincre ou se faire comprendre ou faire voir, ainsi tout peut être compris, même ce qu'il y a de plus infâme, tout peut être pardonné s'il y a quelque chose à pardonner. » « On lit parfois que quelqu'un avoue un crime quarante ans après l'avoir commis…et les candides, les justiciers et les moralistes croient que cette personne a été vaincue par le remords ou le désir d'expiation ou la torture de la conscience, alors que la seule chose qui l'ait vaincue est la fatigue et le désir d'être d'une seule pièce, l'incapacité à continuer à mentir ou à se taire… »
Intrigant, brillant, percutant !
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Un point de départ très original et déroutant : le soir d'un premier rendez-vous, une jeune femme meurt dans les bras de son amant. Ce dernier fait le choix de partir discrètement de chez elle (le mari est en voyage d'affaires), en laissant aussi un petit garçon de deux ans avec sa mère morte...
Déjà, très intriguant, mais ça met nettement mal à l'aise. Et le malaise ne fait qu'augmenter quand le narrateur décide de côtoyer la famille de la femme décédée (son père, sa soeur, et même son mari), tout ça pour savoir plus ou moins si tous savent qu'elle n'était pas seule lors de son décès...
Mais sans doute aussi d'autres motivations (pourquoi le mari n'est pas rentré tout de suite ? quels sont ces messages sur le répondeur ? et la soeur, elle est séduisante...).

Bon, je vais l'avouer tout de suite, j'ai cru ne pas pouvoir aller au bout de ce roman. Les phrases sont longues au point de nous perdre, les digressions souvent inutiles et geignardes de la part du narrateur, qui quant à lui est à la fois peu crédible et franchement gênant tant il est autocentré et malsain... Même si je reconnais la valeur du style littéraire, je dois avouer que trop c'est trop, tout ça devient bien trop alambiqué.
J'ai néanmoins aimé le "twist" final, la grande explication... Sinon, un roman trop long, trop intellectuel peut-être, qui me laisse un arrière-goût d'ennui.
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Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
Quand les choses s’achèvent elles ont enfin leur nombre et le monde dépend alors de ses narrateurs, mais pour peu de temps et pas entièrement, on ne sort jamais tout à fait de l’ombre, les autres ne s’achèvent jamais et il y a toujours quelqu’un qui se trouve devant un mystère. Cet enfant ne saura jamais ce qui s’est passé, son père et sa tante le lui cacheront, moi-même je le lui cacherai et ça n’a pas d’importance car tant de choses arrivent sans que personne ne s’en rende compte ni ne s’en souvienne, ou tout est oublié ou prescrit. Et comme il reste peu de chaque individu dans le temps inutile comme la neige glissante, comme sont rares les choses qui laissent des traces, et comme on en parle peu, et de celles dont on parle on ne se souvient plus tard que d’une infime partie, et pendant peu de temps : tandis que nous voyageons vers notre lent évanouissement pour simplement passer dans le dos ou revers de ce temps, où l’on ne peut plus penser ni faire ses adieux : « Adieu rires, adieu offenses. Je ne vous verrai plus, vous ne me verrez plus. Adieu ardeur, adieu souvenirs. »
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Je n'ai pas fait mon testament, je n'ai pas grand chose à laisser et je n'ai jamais beaucoup pensé à la mort qui pourtant semble venir et d'un seul coup fausse et bouleverse tout, ce qui était utile et faisait partie de l'histoire de chacun devient en un instant inutile et sans histoire, personne ne sait pourquoi, comment, ni quand ce tableau a été acheté ou cette robe, ni qui m'a offert cette broche, d'où ou de qui me vient ce sac ou ce foulard, quel voyage ou quelle absence l'a apporté, s'il fut la compensation d'une attente, l'ambassade d'une conquête ou l'apaisement d'une mauvaise conscience; tout ce qui avait un sens et laissait une trace les perd en un instant et toutes mes affaires se figent, incapables soudain de révéler leur passé et leur origine; quelqu'un les entassera et avant de les envelopper ou de les mettre dans des sacs de plastique mes soeurs ou mes amies décideront peut-être de garder quelque chose en souvenir ou parce que ça peut servir, ou de conserver la broche pour que mon fils, quand il sera grand, puisse l'offrir à une femme qui n'est sans doute pas encore née. Il y aura des choses dont personne ne voudra parce qu'elles ne peuvent servir qu'à moi - mes pinces à épiler, mon eau de toilette entamée, mes sous-vêtements, ma sortie de bain et mon éponge, mes chaussures et mes chaises d'osier qu'Eduardo déteste, mes lotions et médicaments, mes lunettes de soleil, mes cahiers et mes fiches et mes coupures de presse et tous ces livres que je suis seule à lire, ma collection de coquillages et mes disques anciens, le poupon de mon enfance, mon petit lion - il faudra peut-être même payer pour les faire enlever, il n'y a plus de ces chiffonniers avides et complaisants d'autrefois, qui ne faisaient pas la fine bouche et parcouraient les rues...
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Quel malheur de savoir ton nom si demain je ne dois plus connaître ton visage, le visage que nous cessons de voir un jour se trahira et nous trahira dans le temps qui lui appartient et qui lui reste, il s’éloignera de l’image dans laquelle nous l’avions fixé pour mener sa propre vie en notre absence volontaire ou regrettée. Visage de ceux qui sont partis pour de bon parce que nous ne les avons pas retenus ou parce qu’ils sont morts, de plus en plus flou dans notre mémoire qui n’est pas une faculté visuelle, même si parfois nous nous trompons et croyons voir encore ce que nous n’avons plus devant nous et que nous évoquons voilé de brume, cette figure floue de nos mirages ou de notre nostalgie, de notre malédiction parfois, s’appelle l’œil intérieur ou œil de l’esprit. Je pourrais croire ne t’avoir jamais connue si je ne savais ton nom, resté immuable sans la moindre dégradation avec son éclat intact et qui continuera ainsi même si tu as disparu tout à fait et même si tu es morte. C’est ce qui reste et la liste des vivants n’est en rien différente de la liste des morts, qui plus est c’est la seule façon de nous reconnaître et de ne pas perdre la raison, car si quelqu’un nie notre nom et nous dit : « Ce n’est pas toi, même si je te vois, ce n’est pas toi, même si tu te ressembles », alors nous cesserons effectivement d’être nous-mêmes aux yeux de celui qui nous le dit et nous nie, et nous ne le serons plus jusqu’à ce qu’il nous rende ce nom qui nous a accompagnés comme l’air que nous respirons. « Je ne te connais pas, vieillard », dit le prince Hal quand il fut Henri V à son ami Falstaff, « je ne sais qui tu es et de ma vie je ne t’ai vu, ne me demande rien, ne viens pas me dire des douceurs car je ne suis plus ce que je fus, et toi non plus. J’ai tourné le dos à mon ancien moi, ainsi donc lorsque tu entendras dire que je suis à nouveau celui que j’ai été tu pourras t’approcher de moi et tu seras celui que tu fus. » Et si cela nous arrivait à nous nous penserions avec effroi : « Comment se peut-il qu’il ne me reconnaisse pas et qu’il ne m’appelle plus par mon nom ? » Parfois en revanche nous pourrions penser avec soulagement : « Heureusement qu’il ne m’appelle plus par mon nom et qu’il ne me reconnaît pas, il n’admet pas que ce soit moi qui puisse faire ou dire ces choses qui me sont impropres, mais comme il me les voit faire et me les entend dire et qu’il ne peut les nier, il me nie moi par pitié, pour que je ne cesse d’être celui que je fus à ses yeux, et ainsi me sauver. »
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Nous avons honte de beaucoup trop de choses, de notre aspect et de nos croyances passées, de notre ingénuité et de notre ignorance, de la soumission ou de l'orgueil dont il nous est arrivé de faire preuve, de la flexibilité ou de l'inflexibilité, de tant de choses proposées ou dites sans conviction, d'être tombés amoureux de qui nous sommes tombés amoureux et d'avoir été l'ami de qui nous l'avons été, les vies sont souvent trahison et négation continuelles de ce qu'il y eut avant, tout s'altère et se déforme au fil du temps, et pourtant nous continuons à avoir conscience, même si nous nous trompons, que nous gardons des secrets et que nous entretenons des mystères, bien que la plupart soient banals.
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« Le mimétisme est facile, on peut se convaincre de tout, on peut avoir toujours raison et toute chose peut se raconter si elle est accompagnée de son exaltation ou de sa justification ou de son explication ou de sa simple représentation, raconter est une forme de générosité, tout peut arriver et tout peut s’énoncer et être accepté, de tout on peut sortir impunément, et même indemne, personne ne fait quelque chose s’il est convaincu de son injustice, du moins au moment de le faire, raconter non plus, quelle étrange mission ou tâche est-ce là, ce qui arrive n’arrive pas vraiment tant que ce n’est pas découvert, tant que ce n’est pas dit et tant que ce n’est pas su, et entre-temps la conversion des faits en simple pensée et en simple souvenir, en rien, est possible. Mais en réalité celui qui raconte le fait toujours plus tard, ce qui lui permet d’en rajouter s’il veut, pour prendre de la distance : “Mais j’ai tourné le dos à mon ancien moi, je ne suis plus qui j’étais ni ce que j’étais, je ne me connais ni ne me reconnais. Je ne l’ai pas cherché, je ne l’ai pas voulu.” Et à son tour celui qui écoute peut écouter jusqu’à la fin et même ainsi dire ce qui est toujours la meilleure réponse : “Je ne sais pas, je n’ai pas de preuves, on verra.” »
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