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Critique de BazaR


Hé bien, il en fallait de l'audace pour représenter des pièces telles que celles-ci au 18ème siècle.
Marivaux est réputé pour égratigner, au travers de ses comédies romantiques en apparence inoffensives, les inégalités sociales de l'ancien régime. Dans ces deux pièces en un acte, il se débarrasse même de l'apparence badine et attaque directement le sujet tout en gardant le ton de la comédie.
L'auteur montre ainsi à voir, dans les deux cas, un laboratoire isolé du monde réel – en l'occurrence une île, afin d'éviter la contagion – où il s'essaie à des expériences sociales.

L'Île des Esclaves est probablement la plus connue des deux pièces. Iphicrate le maître, Arlequin son esclave, Euphrosine la Dame et Cléanthis son esclave (l'époque est la Grèce antique pour justifier de l'existence de l'esclavage) ont fait naufrage sur une île occupée par une république d'hommes et de femmes qui fait de l'égalité des droits le pilier de sa politique. Afin de sevrer les nouveaux venus de leurs défauts de comportement – l'inégalité maître-esclave perçue comme naturelle – la république (en la personne de Trivelin) les oblige à inverser les rôles.
Au départ Arlequin et Cléanthis cherchent à retourner sur leurs maîtres la cruauté et les brimades qu'ils ont subies. Mais ils se lassent vite et s'amusent ensuite à les imiter quand ils sont en société. L'auteur montre ainsi que les maîtres ne présentent jamais leur vrai visage en société. Tout est jeu d'apparence. Cette futilité ennuie rapidement les anciens esclaves qui ne parviennent pas à laisser leur naturel de côté. Finalement ils pardonnent à leurs maîtres et eux-mêmes admettent s'être comporté avec trop de brutalité. Il ne s'agit pas pour Marivaux de trop ruer dans les brancards. le système social redevient ce qu'il est mais avec plus de compréhension, limite de respect entre les classes. Finalement, l'auteur prône un monde à la Downton Abbey : chacun à sa place, fier d'y être et respecté par les autres pour cela.
Vous voyez donc l'audace, mesurée de notre point de vue, du propos. C'est plutôt impressionnant. le jeu des anciens esclaves mimant leurs maîtres est plutôt drôle. Cependant je n'ai pas complètement accroché car tout cela est ramassé, compacté en peu de scènes, ce qui m'a donné l'impression que les esclaves étaient comme des enfants qui changent dix fois de jeu en une journée. Tout est trop rapide. Bon, c'est vrai que les licences théâtrales autorisent et justifient tout.

La Colonie s'attaque à l'inégalité entre hommes et femmes. Echoués sur une île, les hommes cherchent immédiatement à établir des lois en ne tenant évidemment pas compte de l'avis des femmes (une femme n'a d'ailleurs pas à avoir d'avis). Celles-ci décident de former leur propre république. Et l'on rit de les voir énumérer les comportements misogynes des hommes.
Cependant la république des femmes dégénère rapidement. Leur front commun s'écroule et ça chicane pour des futilités (qui est jolie, qui ne l'est pas). le propos amusant nuit quand même au procès à charge contre l'inégalité des sexes.
Marivaux assassine abruptement son message dans une fin où les femmes viennent se cacher derrière leurs hommes suite aux rumeurs (propagées par les hommes) d'arrivée de tribus sauvages. le système inégal revient donc, ouf !
Malgré toutes ces précautions, cette pièce n'a apparemment pas eu de succès. L'inégalité des sexes avait encore de beaux jours devant elle.

Malgré l'aplomb du propos, ces deux pièces auraient mérité un peu plus de place pour bien s'exprimer, pour installer les situations comiques et laisser du temps pour le final. Elles sont agréables à lire, cependant.
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