Jean Markale est ce que l'on appelle un folkloriste. C'est-à-dire un spécialiste des mythes et des légendes populaires. Homme de lettres, il étudie les textes, les techniques littéraires, parfois l'évolution des thématiques et des idées dans ces écrits que
L Histoire a laissé. Mais Markale a également un fâcheux défaut : il tend à s'auto-proclamer expert sur la société celte et vouloir faire de l'Histoire. Cette position lui a valu de nombreuses critiques : on lui a par exemple reproché de se baser beaucoup sur la linguistique pour fonder ses thèses alors que sa maitrise de la linguistique est assez moyenne. Bref, Markale n'aurait pas les compétences de ses prétentions. Personnellement, je trouve ces critiques un peu sévère. Certes, Markale n'a pas la rigueur scientifique d'un historien ou d'un anthropologue. Mais Markale ne se proclame ni l'un ni l'autre ! Il est évident, à la lecture de ses livres, qu'il fait preuve d'une bonne foi évidente, qu'il cherche toujours à être le plus honnête possible en démêlant le vrai du faux.
Quoi qu'il en soit, voilà "
Montségur et l'énigme cathare", un livre que je trouve passionnant même si, il faut le dire, il a mal vieilli. C'est un livre qui a mal vieilli car les ¾ des informations historiques contenus dans ce bouquin sont aujourd'hui dépassées. Les thèses qui étaient dominantes sur le catharisme à l'époque de Markale ont été largement remises en cause. À ce titre, il est un peu dommage que les éditions
France Loisirs (version dans laquelle j'ai lu le livre) republie cet ouvrage sans y insérer une Note aux lecteurs ou quelque chose du genre : ils diffusent beaucoup de bêtises. Reste le talent littéraire de l'auteur car c'est là, selon moi, la grande qualité de ce bouquin : c'est divinement bien écrit, l'enchainement des mots est un régal qui craque sous la langue. Markale a un talent évident pour raconter des histoires – à défaut de maitriser
L Histoire (avec un grand H).
Le livre se décompose grosso modo en trois partie.
1- Contexte de développement du catharisme
C'est peut-être la partie la plus scandaleusement fausse. L'idée de Markale est que le catharisme a subi une sorte de complot ourdi par l'Église catholique et le royaume de France, tous deux s'étant acharné pour voir cette « hérésie » disparaître. Et cet acharnement serait bien la preuve qu'il y a un « secret » cathare, quelque mystère à élucider qui explique la fascination toujours bien vivante pour ce mouvement mort il y a plusieurs siècles.
SAUF QUE nous savons aujourd'hui que le roi de France ne voulait pas lancer la « croisade contre les Albigeois ». le contexte était celui d'une lutte entre les « Français » (actuelle France du Nord) et les « Anglais » qui occupait une bonne partie de la cote ouest de l'actuelle hexagone, et il y avait peu à gagner et beaucoup à perdre à se lancer dans une guerre ouverte contre le Comte de Toulouse et ses alliés occitans. Mais Rome insista tant et tant pour massacrer les hérétiques (elle avait besoin d'hérétiques pour affirmer son orthodoxie, à ce sujet lire Robert Moore) qu'une croisade finit par s'initier dans le dos du Roi. C'est-à-dire que des seigneurs du Nord s'organisèrent eux-mêmes, que Simon de Montfort pris la tête de cette expédition, pour punir ces gens du Sud bien peu pieux et, au passage, piller leurs terres. Et le roi de France laissa faire. Nous n'avons donc pas un acharnement du Roi de France, mais plutôt une indifférence assez manifeste. Ce qui met un sacré coup de plomb dans l'aile de la thèse de Markale.
Malgré tout, cette première partie du livre reste l'occasion de lire de somptueuses descriptions. Je n'avais jamais lu de témoignages aussi beau sur les Pyrénées, le Razès et le Sabarthès (vallées de l'Ariège). Je le répète : Markale écrit vraiment très bien.
2- La pensée et la religion cathare
Ici, Markale ne fait que répéter ce qui était la thèse dominante à son époque. On ne peut pas trop lui en vouloir, même si cette thèse a été battu en brèche depuis. Cette thèse, c'était que le catharisme n'est pas réellement une hérésie chrétienne mais plutôt une résurgence d'une religion dualiste héritée de la nuit des temps. En ce sens, le catharisme serait plus proche du manichéisme ou de mazdéïsme, voire même des bogomiles, que du christianisme. Sauf que cette thèse s'appuyait sur les écrits médiévaux des prêtres qui avaient combattu
les cathares, et qui accentuaient évidemment les points de désaccord de ces derniers avec la doctrine chrétienne officielle pour bien montrer combien ils avaient raison de les traquer. Depuis, on a traduit des textes cathares. On connait donc mieux la doctrine cathare puisqu'on y a accès par ses théoriciens directement et non plus seulement par ses ennemis. Et il se trouve que le catharisme n'est pas si oriental qu'on l'avait cru, que c'est du christianisme assez classique finalement, même si c'est une sorte de « christianisme d'extrême gauche » puisque très critique vis-à-vis de l'accaparation des richesses par le clergé. Il y a un livre qui résume magistralement toutes ces questions et les apports des principaux historiens : "
Les archipels cathares" de
Anne Brenon.
3- le « mystère » cathare
Là aussi c'est un peu dépassé. Markale reprend la thèse d'un vieux livre, "L'énigme sacrée", qu'on peut résumer ainsi : Jésus aurait eu des enfants avec Marie-Madeleine, qui se serait cachés en France, et le secret cathare consisterait à protéger cette lignée issue du Christ. Plus tard, ce même bouquin servira de base au best-seller Da Vinci Code. Et du coup il sera sévèrement décortiqué par tout un tas d'historiens. Résultat : la thèse est originale et séduisante sauf qu'elle prend pour pierre de voute un document signe du « Prieuré de Sion », prieuré qui n'a jamais existé sauf dans la tête de certains adeptes de la théorie du complot. Thèse assez bancale donc. Quand au prétendu « secret » cathare… On le cherche encore.
En écrivant cette critique je me rends compte que je suis assez négatif sur ce livre. Et pourtant je l'ai lu trois fois ! En vérité, je me régale à lire du
Jean Markale. C'est un auteur qui a une plume délicieuse, un sens de l'ironie fabuleux, et surtout un talent à conter des anecdotes incroyables.
Mais peut être aurait il du rester hommes de lettres, et ne pas avoir trop de prétention historiques. Ses ouvrages ne sont pas très solides, résistent mal au temps (surtout ce "Montségur…"). À lire pour le joli travail littéraire malgré tout.