L’animal existe toujours, éternel comme la mort de Colette, et j’entends les chiens des tempêtes qui hurlent, se prenant pour des loups dans ma tête, et j’aperçois la minuscule main blanche de ma petite sœur me faisant un signe dans la ruelle où je devine son corps disloqué, dispersé en juillet sous une pluie d’étoiles et je pleure…
Je deviens soudainement le prédateur et lui la proie. Il ne me connaît pas, c’est là tout mon avantage. Quelques années de prison pour un meurtre gratuit, inexpliqué et inexplicable. Tuer pour tuer. Il la connaissait à peine. Un tumulte s’est déclenché en moi dès que je l’ai reconnu. Les mots comme pardon ou rémission, mots de la raison, n’ont plus de sens, et un flot de pensées à la fois séduisantes et irrationnelles liées à la vengeance m’envahissent. Reste à savoir si le geste aura le courage de la pensée.
Le maquillage n’arrive plus à atténuer l’usure d’une vie rude et instable. Une femme née sous le signe de la déception. Un à un ses rêves se sont éteints, comme les derniers clignotements d’étoiles à l’aube. Mais Evelyne se bat, à sa façon, contre un destin de misère. Elle l’affronte de son mieux, lui oppose l’espoir tenace, la volonté de ne pas glisser vers l’abîme si près certains jours quand plus rien ne va, quand le malheur habite toutes les heures.
J’ai songé à une bête qu’on écrase du pied, un cancrelat. J’ai fait mine de fureter. Chaque fois, je suis envahi par une rage sourde et mon cœur accélère la cadence. C’est comme une drogue : venir ici cultiver l’envie de l’assassiner. Rôder autour de la charogne tel un vautour. Je me fais honte, mais en même temps je ne résiste pas à ce mal qui me fait du bien. Je joue à la perfection le rôle du client habituel, du type indécis qui cherche et regarde.
Quand j’ai bu c’est pire, les souvenirs de cette époque ne se dissolvent jamais dans mon verre, ne se mélangent pas à l’eau comme le pastis et je les avale à l’état pur. Il ne faut pas avoir été trop heureux vu la dégringolade à venir. Malheur à ceux dont la jeunesse fut dorée et qui plus tard sont condamnés à combattre le vert-de-gris accumulé. Un autre verre pour oublier le temps qui passe et les déceptions que la vie tisse.