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Critique de Arakasi


En leur temps, les Nazgûls ont été la voix de toute une génération. Ils ont chanté et hurlé la rage, les peurs et les espoirs de dizaines de milliers de jeunes gens, soulevé et enflammé des foules entières, affolé les médias et fait gronder des hordes de conservateurs échaudés… Mais cette ascension spectaculaire a pris brutalement fin le soir du 20 septembre 1971, quand un coup de feu tiré de nulle part a fracassé la tête du chanteur du groupe, Patrick Hobbins, alors qu'il interprétait sur scène la dernière création des Nazgûls « Armageddon/Resurrection Rag ». Panique totale. Des milliers de spectateurs fuient en hurlant le site du festival de West Mesa, laissant derrière eux les cadavres piétinés de pauvres malchanceux. le bilan est terrible : une dizaine de morts, la fermeture du festival, la ruine de la maison de production des Nazgûls et, finalement, la dissolution du groupe lui-même dont les trois membres survivants traumatisés se refusent à monter à nouveau ensemble sur scène. Ce spectaculaire martyr public hisse les Nazgûls au statut de légende et, si l'anonymat et l'oubli engloutissent bien vite les anciens musiciens, leurs chansons restent vibrantes et vivantes dans l'âme des nostalgiques des tumultueuses années 60.

Jusqu'au jour, une quinzaine d'années plus tard, où les Nazgûls sortent de leur tombes de la façon le plus lugubre qu'il soit : leur ancien impresario a été retrouvé dans sa maison de campagne, le coeur arraché, l'anniversaire même de la mort de Patrick Hobbins – meurtre affreux qui semble faire échos aux paroles d'une ancienne chanson du groupe « Baby you cut my heart out, Baby you make me bleed ! ». Sandy Blair, ancien fan des Nazgûls et écrivain en panne d'inspiration, mène l'enquête pour un journal spécialisé dans la musique Rock, pas tant dans l'espoir de débusquer un éventuel meurtrier que pour le plaisir un peu masochiste de remuer les cendres de son propre passé.

Blair est en effet confronté à l'éternelle question de tous les trentenaires : quand ai-je cessé d'être un jeune rebelle pour devenir un crétin mature et responsable ? Que sont devenus les choses auxquelles je croyais, les amis que j'ai aimés, les salopards que j'ai honnis ? C'est donc les mains dans les poches que Blair se lance sur les routes des Etats-Unis, mais son road-trip nostalgique va vite prendre une tournure plus effrayante et plus violente qu'il ne l'avait imaginé. Car les Nazgûls sont sur le point de remonter sur scène et ils y joueront une musique comme personne n'en a jamais entendu et n'en entendra après eux, oh non ! Une musique à réveiller les morts…

Malgré l'excellente opinion que j'ai de l'oeuvre de George R.R (Raoul ? Robert ?) Martin en général, j'ai longuement hésité à me lancer dans son roman « Rock and Roll », et pas seulement parce que je suis une sale radine et que je voulais absolument le trouver d'occasion. C'est que le Rock, il faut bien reconnaître que je n'y connais pas grand-chose, en dehors des indémodables classiques comme les Rolling Stones ou les Beatles, et que j'avais peur d'être larguée face à ce roman qui promettait d'être très générationnel et donc pas forcément accessible à n'importe quel glandu de moins de quarante ans. Et j'avais tort, car George R.R (Ricky ? Rafael ?) est décidément un grand auteur et il pourrait blablater pendant 600 pages de courses de bagnoles qu'il n'en serait pas moins passionnant – et pourtant Dieu sait que je déteste les courses de bagnoles.

Pour rester dans les métaphores voiturières, la moindre des choses est de dire que « Armageddon Rag » ne commence pas sur les chapeaux des roues. le roman débute tranquillou au rythme des déambulations mélancoliques de Sandy Blair à travers les Etats-Unis à la recherche de son temps perdu. Tout ceci est réellement intéressant et fort bien écrit, mais malgré le voile oppressant qui semble peser sur le récit, on a un peu de mal à savoir où l'auteur veut en venir… Puis sans nous prévenir, Martin enfonce brutalement l'accélérateur, met la sono à fond et, avant d'avoir eu le temps de dire « Oh fuck », nous voici en train de foncer à tout allure dans un décor apocalyptique où rugissent les baffles et explosent les champignons atomiques. Ca gueule, ça hurle, ça frappe du pied, ça fracasse des guitares dans des gerbes d'étincelles ! C'est du grand art. Moi qui suis à peu près insensible au Hard Rock, j'avoue avoir vibré comme un câble électrique au récit des concerts des Nazgûls qui rythment la dernière partie du roman. Les fans purs et durs de fantasy seront peut-être un peu déçus – faut avouer que l'aspect fantastique du roman reste assez discret – mais les autres auraient tort de se priver de cette ébouriffante partie de jambes en l'air littéraire !

George R.R Martin, je t'aime.

(Ouais, ça fait groupie, mais au moins on ne pourra pas me reprocher de ne pas être dans l'ambiance.)
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