Ce qu'on ne savait pas encore à l’époque et ce qu'aucune étude ne pouvait affirmer avec certitude, c'est qu'en se nourrissant de cette chair génétiquement modifiée, toutes ces nouvelles caractéristiques allaient se transmettre à l'Homme. Année après année, décennie après décennie, l’humanité a été transformée comme nous l’avions fait avec les autres espèces animales. Presque cinquante ans après la commercialisation de notre gène, à l'âge de dix ans, un enfant en paraissait vingt et de manière analogue ses besoins en viande avaient eux aussi augmenté. En conséquence de quoi, l'Homme a dû faire pousser davantage de maïs et de soja pour nourrir une population toujours grandissante de poissons, de bovins, de porcs ou même de poulets génétiquement modifiés. Inexorablement, à cause des monocultures, la moindre parcelle de terre exploitable devint stérile. Malgré les procédés modernes de culture-hors sol, la planète ne pouvait plus fournir les ressources nécessaires à l’élevage intensif et puisque l’appétit de l'Homme, accru par notre gène, l'avait forcé à chasser le plus petit organisme vivant, germa alors l'idée que nous devrions nous nourrir de nos propres congénères pour assurer notre survie.
Depuis des décennies, toutes les activités de génie génétique sont strictement encadrées par les gouvernements. Ces abattoirs n'ont jamais eu de raison valable d'exister, pas plus que ces immenses constructions où l’on peut acheter de la viande. La seule chose qui maintient ce système en place, c'est l’appât du gain et les lobbies. La race humaine est prisonnière tout comme tu l'étais et sa condition est bien trop profitable à ceux qui exploitent cette unique faiblesse qu'est devenue la sienne : le besoin de se nourrir de congénères sains.
Vous êtes une personne intelligente et un atout remarquable pour ma société, mais le moule qui a fait de vous un grand soldat vous a surtout conditionné à envisager les choses par la petite lorgnette de votre profession. Laisser faire, laisser perdurer a depuis la nuit des temps été un choix conscient favorisant les affaires. En 2008, la « crise », comme certains l'ont appelée, a permis au 1 % des plus fortunés de posséder dans les dix ans qui ont suivi plus de 50 % des richesses de notre planète. Aujourd'hui, ce 1 % en détient 100 %.
— Pourquoi ne pas prendre un de ces gardes en otage et le forcer à nous libérer le passage ?
— Parce que ce serait du pur suicide. Ils n’hésiteraient pas à le sacrifier pour nous avoir, j'en suis certain. Tu en es consciente toi aussi : ici, une vie humaine ne vaut plus grand-chose.
Comprenez bien que lorsqu’on le connaît vraiment, et croyez-moi, je l'ai vu à l’œuvre durant plus d’un siècle, l’Homme n’est en définitive qu’un loup pour l'Homme. En devenant cannibale, il n’a finalement fait qu’épouser ses véritables aspirations.