Drôle de vie la vie. Être assis ici, à nous parler et nous écouter, enfiler les phrases les unes à la suite des autres sans regarder aucun livre, ne pas en souffrir, avaler une boisson qui sache emprunter le chemin voulu et bifurquer au bon moment, être nourris par l'air quand d'autres ne le sont plus, avoir envie d'une chose et de son contraire et permettre que cette envie détermine notre destin, cela fait beaucoup à la fois non ? C'est trop, et le plus drôle c'est que nous trouvions cela normal.
Parfois je pense, dis-je comme si je réfléchissais à haute voix, que l'ont ment parce que l'on est incapable de supplier les autres de vous accepter tel que vous êtes. Quand on refuse d'avouer le désarroi de sa vie, on se déguise en autre chose, on trouve le truc pour inventer et on passe à la chimère pure, on n'arrête pas de brinquebaler avec un masque sur le nez, en s'éloignant du chemin au bout duquel on aurait pu découvrir qui on est.
Un soir elle m'emmena et nous fîmes des achats dans une rue pleine de bazars. Elle parlait peu, et je crois qu'elle était triste, comme si elle n'avait plus goût à rien. Elle soupira à plusieurs reprises. " Pourquoi soupire-t-on? " lui demandai-je. Avant de répondre, elle laissa échapper un nouveau soupir, puis elle dit : " Parce qu'on a du chagrin, de l'impatience ou de la peur. Ou parce qu'on est soulagé. " Mais elle parlait sans me regarder, et je compris qu'elle ne voulait pas d'autres questions; et aussi qu'elle ne soupirait pas de soulagement.