De
la Goulue, on sait qu'elle fit la renommée du cancan et du Moulin Rouge et qu'elle fut la muse
De Toulouse-Lautrec qui la rendit immortelle.
On lui suppose une vie à la mesure de cette Belle-Epoque fascinante et de ce Paris un peu canaille dont elle fut l'une des gloires. On l'imagine arpentant les bals de Montmartre avant que Montparnasse ne supplante la butte dans le coeur des artistes, des bohèmes et des demi-mondaines.
La Goulue est devenue une légende, mais sait-on qu'elle avait pour nom Louise Weber? Qu'elle se fit dresseuse de fauves à la foire du trône? Qu'elle mourut dans la misère et le quasi-oubli?
Les légendes sont toujours plus belles quand on ne cherche pas à creuser les zones d'ombres, quand on ne s'encombre pas de ce qui ne figure pas sur l'image d'Epinal, dorée et froufroutante ici, presque pailletée. C'est vrai que laisser le réel supplanter la légende, c'est prendre le risque de la déception mais outre que c'est rendre à César ce qui lui appartient vraiment et leur vérité aux êtres devenus personnages et caricatures à forces d'histoires et de rumeurs, c'est accepter de se rendre compte que la vérité, souvent plus crue et sans fards, peut être plus intéressante encore que la légende... Celle de
la Goulue paraît brillante, mais elle a contraint Louise, n'a donné d'elle à la postérité que l'image un peu cruelle d'une danseuse un peu grasse et incapable de la moindre réflexion, d'une jouisseuse pétrie de vices et de vulgarité.
Spoiler:
la Goulue était cette danseuse, mais elle était bien davantage et il était temps qu'on s'intéresse un peu à elle et qu'on rende compte de sa personnalité complexe et attachante, qu'on rende compte de sa modernité et de sa soif de liberté, en totale désaccord avec son temps qui ne laissait à la femme qu'un place... réduite.
Dépeindre la vraie Goulue, chercher Louise sous l'amoncellement de dentelles et de jupons, c'est donc tout l'enjeu de cette biographie signée
Maryline Martin qui pour rédiger son ouvrage a pu avoir accès à des sources inédites, à commencer par le journal intime de
la Goulue elle-même ou à des archives rares er exhumées pour elle par la Société d'Histoire et d'Archéologie des 9° et 18° arrondissements de Paris le Vieux Montmartre ou par le service de la Mémoire et des affaires culturelles de la préfecture de Police. Il en ressort une biographie passionnante alliant à la rigueur historique et à la justesse une chaleur qui rend hommage à son sujet plus riche qu'on ne pourrait le croire, femme fantasque et incroyablement libre en même temps qu'un portrait en creux de la Belle-Epoque -à laquelle je suis bien incapable de résister, dussé-je en avoir la volonté!-, période de bouillonnement culturel et de bouleversements sociétaux, de fêtes et de misères, d'irréconciliables paradoxes, période au sein de laquelle les femmes se battaient déjà pour être autre chose que ce que les hommes attendaient d'elles.
Un voyage dans le temps aussi passionnant que poignant..
La Goulue qui s'en va dans l'oubli c'est aussi la fin d'une époque et ces passages sont toujours empreints d'une ineffable nostalgie: celle d'un Paris qui tourbillonnait au rythme du cancan quand la guerre n'avait pas fait perdre aux hommes les idéaux qui les habitaient.