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Bertrand Brequeville (Autre)
EAN : 9782843772290
135 pages
Charles Léopold Mayer/ECLM (06/05/2021)
5/5   1 notes
Résumé :
Depuis les années 1980 et l’avènement du sans-frontiérisme, l’humanitaire s’est peu à peu laissé conquérir par la rationalité néolibérale. Ses missions reposent sur des principes nobles, mais présumés intangibles et nourris de représentations occidentales, qui ont fini par devenir un facteur d’inertie. Malgré une histoire associée aux droits de l’homme et à la démocratie, l’humanitaire, tel qu’il est pensé aujourd’hui, décontextualise les situations de souffrances, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Pour la constitution d'un humanitaire de combat face au néolibéralisme

Les formes historiques des rapports sociaux ont été modifié par quarante ans de politiques néolibérales. L'idéologie de l'individu·e seul·e responsable de sa vie et de ses capacités, de la soi-disant liberté d'entreprendre et d'être, de l'impuissance des formes délibératives et collectives de gestion des affaires de la cité a largement été diffusée.

Le marché et le commerce ont été naturalisés dans la négation des contradictions et des contraintes que les rapports sociaux font peser sur les individu·es.

La destruction des choix démocratiques et des institutions relevant de la politique, pour laisser place à la « gestion » et à la « gouvernance », au marché et à la concurrence « libre et non faussée » a été une condition majeure (conditionnalité) pour bénéficier de prêts des organismes internationaux (plans d'ajustement structurel). Une nouvelle langue, truffée de termes vagues mais bien utiles pour certains, une novlangue semble s'imposer tant au niveau national qu'international.

Les mots et l'idéologie néolibérale ont profondément pénétré et souvent dénaturé jusqu'aux organisations qui se réclamaient de l'émancipation sociale. La liberté version libertarienne écrase les espérances d'égalité, de solidarité et de coopération.

Dans les creux de ces destructions des institutions de « communs » (par ailleurs très largement critiquables), d'autres agencements et organismes sont apparus, (je n'aborde pas ici les regroupements de résistance aux effets des politiques menées) des fondations, des associations caritatives, des congrégations, des associations sous contrôle de fondamentalistes divers, des associations humanitaires…

Il me semble nécessaire de souligner une certaine consubstantialité de l'actuel « humanitaire » avec le néolibéralisme…



« … par ce que l'engagement de ces humanitaires mérite toute notre admiration que celle-ci doit s'accompagner d'une attention aux périls qui guettent les ONG. Leur prise en tenaille croissante par l'écosystème néolibéral est de ceux-ci ». Dans sa préface, Boris Martin aborde, entre autres, quelques idées forces de l'auteur, le « glissement vers un humanitaire satisfait de lui-même », l'absence de regard critique sur la doctrine, les postures et leur « valeur explicative », le refus de traiter des facteurs générateurs des « crises », le rôle inquiétant des industries militaires, les relations avec des entreprises privées, « les épidémies comme le changement climatique doivent être appréhendés au prisme des industries lourdes, notamment polluantes », l'empire des industries du luxe, les partenariats public-privé et les impacts sociaux des contrats, l'analyse de la « matrice humanitaire » – « l'humanitaire n'est pas un à-coté du néolibéralisme, il en est le compagnon de route » -, les effets délétères du système humanitaire actuel.

Le préfacier en conclut : « parce que, là aussi, les ONG humanitaires ont bien souvent été en première ligne, elles devraient garder la main, s'engager dans la bataille et ainsi retrouver leur substance »…



En introduction, Bertrand Bréqueville revient, entre autres, sur la pandémie et les millions de mort·es, la nocivité des politiques économique néolibérales, les politiques d'austérité et leurs impacts sur les soins et la santé, l'extension de la logique concurrentielle du capitalisme, « Cette logique a besoin d'institutions, de normes, d'incitations et, par conséquent, des Etats », la complexité apparente de la rationalité néolibérale et « la réalité de ses effets en termes politiques, économiques, sociaux et individuels », les dégradations du droit du travail… et aussi des conflits sociaux, « une volonté de ne plus subir », le caractère universalisable des luttes…

L'auteur dresse un sombre tableau de l'« humanitaire », de la concentration des financements, « seulement douze ONG internationales et institutions onusiennes se sont partagé les deux tiers des financements humanitaires mondiaux en 2017 », des réponses au « résultat direct et indirect des méfaits du système capitaliste néolibéral »… Il convient donc d'interroger les interactions de l'action humanitaire avec le néolibéralisme. « Sans négliger les jeux de pouvoir ni les déficits démocratiques structurels, souvent délétères, au sein des ONG humanitaires, la question essentielle sur laquelle nous nous pencherons sera néanmoins celle de la place donnée aux personnes concernées par l'aide humanitaire dans les mécanismes décisionnels »…



Dans un premier chapitre, « le sans-frontiérisme ou la rencontre de l'humanitaire avec le néolibéralisme », Bertrand Bréqueville discute des mythes fondateurs, du Biafra à l'Afghanistan, de la « nouvelle philosophie » et de son renoncement à la transformation sociale (sans oublier que « nos anciens nouveaux philosophes se sont révélés être de zélés va-t-e-guerre »), de l'« antitotalitarisme » et de sa mutation en « anti-tiers-mondisme », du déni de la figure collective, de l'humanitaire d'urgence « plus spectaculaire et plus médiatique », des liens réels ou supposés entre « humanitaire » et « développement », des théories « postmodernes », de sociologie de « droite bien trempée », du mythe d'un possible engagement neutre « apolitique et complètement désidéologisé », de la « porosité originelle entre le sans-frontièrisme et le néolibéralisme », de l'absence de projet alternatif, de l'utilisation abusive du qualificatif humanitaire, « L'humanitaire n'est pas un à-coté du néolibéralisme, il en est le compagnon de route »…

Dans le second chapitre, l'auteur aborde la logique humanitaire des droits sociaux dans le néolibéralisme, le passage des droits de l'homme (il serait plus juste d'écrire droits des êtres humains, pour ne pas réduire l'humanité aux seuls hommes) aux droits humains, le remplacement de l'égalité matérielle par la notion floue de suffisance, la résonance particulière de certains droits sociaux dans l'agenda humanitaire, la non remise en question des « déterminants liés au pouvoir et à la répartition des richesses », le déni de la question de la propriété privée, l'absence d'ambition politique, « Ils sont historiquement passés d'une logique de justice sociale à une logique de subsistance, d'une rhétorique de l'égalité matérielle à une rhétorique de réduction de la pauvreté », le glissement des droits sociaux à la protection sociale (et la privatisation de celle-ci), l'égalité des chances se substituant à l'égalité des droits, l'usage immodéré et abusif de la notion de « résilience », la naturalisation des phénomènes sociaux, l'appropriation des mots et l'effacement de leur potentiel subversif…

Il y a à la fois une absence d'analyse des causes systémiques des formes d'exploitation et de domination et une dépolitisation des possibles, sans oublier le silence sur « la violence sociale inouïe ». Les propositions humanitaires restent compatibles avec la doxa néolibérale…

J'ai notamment apprécié les paragraphes sur « L'humanitaire, machine à investir », la pénétration des termes de la rationalité néolibérale dans le champ humanitaire, la soi-disant théorie du capital humain et sa vision économiciste des êtres humains, les circuits de financement, les mécanismes contractuels et leurs effets, les discours bienveillant vis-à-vis du secteur privé lucratif, le rôle des fondations, les stratégies d'« évitement fiscal », le pouvoir réel sur les politiques publiques agricoles ou sanitaires…

Le troisième chapitre est consacré à l'imaginaire tout-puissant de l'humanitaire, l'absence d'analyse des rapports sociaux, les sources d'illusions et d'inertie, les « principes présumés infaillibles » (indépendance, neutralité, impartialité, humanité). Les analyses de l'auteur sont pertinentes, en particulier sur ces manières de voir ou « de ne pas voir », sur l'espace humanitaire, sur les impensés dont le développement, « S'il enrichit l'imaginaire humanitaire d'un leurre supplémentaire, le nexus humanitaire-développement assèche considérablement celui de la transformations sociale »…

Bertrand Bréqueville aborde ensuite les questions de la démocratie, « l'humanitaire comme à la fois facteur et expression d'un appauvrissement de la démocratie, la question du partage du pouvoir avec les personnes concernées par l'humanitaire, et la manière dont la démocratie s'exerce au sein des ONG humanitaires », le déficit de culture démocratique, l'idéologie de la substitution, la convocation à géométrie variable des « droits humains », la confusion autour des mots bénéficiaires ou usager·es par exemple, les justifications des interventions militaires, l'usage de terme néolibéral gouvernance, les formes indécentes et outrancières de campagnes de communication, l'expertise comme lobbying, la conduite de projets tournés vers des résultats et les dispositifs de gestion relevant bien de la gestion néolibérale et privative, le pouvoir bien gardé au sein des ong humanitaires, le poids pris par les « experts » et la non association des salarié·es, « le refus de partager le pouvoir, c'est par définition le contraire de la démocratie »…

Dans le dernier chapitre l'auteur propose de « désarrimer l'humanitaire du néolibéralisme », de repenser dans son intégralité la doctrine humanitaire, de mener une bataille linguiste et culturelle, « il n'est pas possible de lutter efficacement contre un ennemi en reprenant les éléments de langage de sa propagande », de puiser à d'autres imaginaires, de développer de nouvelles pratiques sociales, d'éduquer certains bailleurs de fonds et d'en oublier d'autres, de favoriser l'autonomie, de se placer « dans une logique de coopération, d'entraide et de réciprocité ».

Il parle d'humanitaire politisant au service de la transformation sociale, de « pluriversalisme », d'information et d'éducation populaire plutôt que de communication et de de marketing…

Contre les refus d'analyses structurelles, le prisme de la transformation sociale, de l'auto-organisation démocratique et de la solidarité internationaliste.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Je ne suis jamais déçue par cette maison d'éditions, qui publie des ouvrages toujours passionnants. En voici un de plus ! Avec courage, clarté et rigueur, l'auteur explique en quoi les ONG humanitaires jouent le jeu du système néolibéral, malgré (voire à cause de la mauvaise interprétation et mise en pratique de) leurs valeurs et principes. Comment continuer à se contenter de soigner les maux d'un système sans dénoncer ce système ? Et pourquoi ? Quelles sont les options de changement envisageables ? Quel futur pour un humanitaire et non un humanitarisme dénué de sens et ne misant que sur le capital humain ? Comment et pourquoi la politique à sa place dans l'humanitaire ? Avec qui mener ce combat ? Autant de sujets abordés dans cet ouvrage, court, bien construit et facile à lire. J'ai noté de nombreux passages, des références, j'ai relu plusieurs chapitres, je suis convaincue de l'utilité d'un tel ouvrage. Je sais que je vais régulièrement ouvrir ce livre et le promener avec moi ! Foncez, ça n'est pas un ouvrage pessimiste, loin de là ! Merci à l'auteur pour ce grand travail de qualité
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Les programmes de lutte contre la pauvreté, auxquels certaines ONG humanitaires participent aujourd'hui, contribuent malheureusement plus au maintien du système capitaliste néolibéral (lutte contre la pauvreté pour toujours plus de consommation et toujours plus de croissance) qu'au changement social et politique (lutte contre les inégalités).
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Sans négliger les jeux de pouvoir ni les déficits démocratiques structurels, souvent délétères, au sein des ONG humanitaires, la question essentielle sur laquelle nous nous pencherons sera néanmoins celle de la place donnée aux personnes concernées par l’aide humanitaire dans les mécanismes décisionnels
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l’humanitaire n’est pas un à-coté du néolibéralisme, il en est le compagnon de route
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L'approche par les droits sociaux ne remet pas en question les déterminants liés au pouvoir et à la répartition des richesses.
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l’humanitaire comme à la fois facteur et expression d’un appauvrissement de la démocratie, la question du partage du pouvoir avec les personnes concernées par l’humanitaire, et la manière dont la démocratie s’exerce au sein des ONG humanitaires
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