Quelques mois se sont écoulés depuis le dernier tome, mais la santé du patriarche, Oscar Thibault se dégrade et Antoine sent bien qu'il doit redoubler d'efforts pour retrouver son frère. Une piste inattendue s'offre à lui et relance les possibilités. Une nouvelle parue dans une revue littéraire et signée d'un pseudonyme transparent.
Une nouvelle qui renvoie le lecteur au troisième tome de cette fresque, en cet été 1910 pendant lequel Jacques n'a su que se tourmenter, encore et encore. Pris entre des rêves d'absolu et les tourments des hormones adolescentes. Cet été à la fin duquel il a mystérieusement disparu avant que d'entrer à Normal Sup dont il avait pourtant réussi brillamment le concours.
Une nouvelle qui a jeté un certain trouble dans mon esprit de lectrice, me demandant ce que Jacques avait bien pu faire effectivement au cours de cet été, s'il était allé plus loin que ce que l'auteur avait osé nous en dire, et s'il était encore plus éloigné de ses idées de pureté que ce que la lecture avait laissé entrevoir.
En suivant Antoine le long de cette nouvelle piste, on retrouve donc Jacques, qui se résigne face à l'arrivée de son frère et à l'irruption de son passé dans la vie qu'il s'est maintenant construite en Suisse. Un Jacques qui a coupé tous les ponts mais qui accepte facilement de se voir à nouveau agrippé par le harpon familial, un Jacques qui vit selon ses idéaux, proche des milieux socialistes les plus militants, mais qui ne semble pas plus heureux pour autant.
C'est donc à nouveau un Jacques assez antipathique, pas sûr de lui, revêche et incapable de sourire que le lecteur retrouve. Un Jacques qui ne se soucie pas de la souffrance qu'il a pu inspirer à son entourage, un Jacques toujours difficile à décrypter et avec qui les liens seront bien difficiles à retisser, comme s'en aperçoit vite Antoine qui, à la fin de ce tome, ramène son frère à Paris sans se faire beaucoup d'illusions sur son retour définitif.
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Ici l'auteur nous offre une nouvelle qui se lit tres vite et tres bien avec une vraie histoire et des rebondissements bref un bon moment !
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« Vois-tu, Antoine, ce qui est effrayant, c’est de ne pas savoir ce qui est… normal… Non, pas normal, c’est idiot… Comment dire ?… Ne pas savoir si les sentiments qu’on a… ou plutôt les instincts… Mais toi, médecin, tu le sais, toi… » Les sourcils froncés, le regard perdu dans la nuit, il parlait d’une voix sourde et butait à chaque mot. « Ecoute », reprit-il. « On éprouve quelquefois des choses… On a des espèces d’élans vers ceci… ou cela… Des élans qui jaillissent du plus profond… N’est-ce pas ?… Et on ne sait pas si les autres éprouvent la même chose, ou bien si on est… un monstre !… Comprends-tu ce que je veux dire, Antoine ? Toi, tu as vu tant d’individus, tant de cas, tu sais sans doute, toi, ce qui est… mettons… général, et ce qui est… exceptionnel. Mais, pour nous autres qui ne savons pas, c’est terriblement angoissant, vois-tu… Ainsi, tiens, un exemple : quand on a treize, quatorze ans, ces désirs inconnus qui montent comme des bouffées, ces pensées troubles qui vous envahissent sans qu’on puisse s’en défendre, et dont on a honte, et qu’on dissimule douloureusement comme des tares… Et puis, un jour, on découvre que rien n’est plus naturel, que rien n’est plus beau, même… Et que tous, tous, comme nous, pareillement… Comprends-tu ?… Eh bien, voilà, il y a, de même, des choses obscures… des instincts… qui se dressent… et pour lesquels, même à mon âge, Antoine, même à mon âge… on se demande… on ne sait pas… »
(p. 120-121, Chapitre 12).
Lorsque Antoine, surpris de cette brusque retraite, voulut le rejoindre, il l’aperçut, dans la pénombre, immobile : les paupières obstinément closes sur ses larmes, Jacques faisait semblant de dormir.
(p. 121, Chapitre 12).
Non, ne proteste pas, c’est la vérité. Dieu l’a voulu ainsi ; Dieu ne m’a jamais accordé la confiance de mes enfants… J’ai eu deux fils. Ils m’ont respecté, ils m’ont craint ; mais, dès l’enfance, ils se sont écartés de moi… Orgueil, orgueil ! Le mien ; le leur…
(p. 21, Chapitre 2).
Discours de Roger Martin du Gard pour le prix Nobel (1937).